Comment se préparer à vivre dans un monde où l'eau va manquer ? En France, l'été 2022 a été effrayant : plus d'une centaine de communes ont dû être approvisionnées en eau potable par des camions-citernes. Et l'avenir a de quoi inquiéter : les précipitations vont se faire plus rares l'été, la fonte des glaciers s'accélérer alors que le rechargement des nappes phréatiques sera plus lent. Oui, le réchauffement climatique est là. Non, il ne s'arrêtera pas. La délégation à la prospective du Sénat a étudié le sujet et rédigé un rapport intitulé « Comment éviter la panne sèche ? Huit questions sur l'avenir de l'eau en France ». Ses quatre rapporteurs, Cécile Cukierman (PCF), Alain Richard (RDPI), Catherine Belrhiti (LR) et Jean Sol (LR) ont voulu se montrer constructifs, entre réassurance et planification. « Notre objectif n'est pas de dresser un tableau apocalyptique injustifié mais d'avancer avec pragmatisme », a déclaré Catherine Belrhiti, avant d'ajouter ne pas non plus souhaiter mener « la politique de l'autruche ».
Les bassines, un sujet sensible. Première prise de position sans ambiguïté : il faut créer des retenues d'eau en France. Le sujet est sensible, comme l'ont montré les manifestations à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, fin octobre, visant à empêcher la création d'une bassine pour alimenter les exploitations agricoles locales. Mais les rapporteurs estiment fermement que « disqualifier globalement le stockage d'eau ne paraît pas fondé scientifiquement » - sans toutefois citer les sources scientifiques qu'ils prennent en compte. « C'est une analyse au cas par cas, à travers des procédures déjà très exigeantes, qui doit déterminer s'il est possible, territoire par territoire, de créer de nouvelles réserves », peut-on lire dans le rapport.
Aujourd'hui, 17 milliards de m3 d'eau sont nécessaires annuellement pour refroidir les centrales.
Outre l'irrigation, les retenues peuvent être utilisées contre les feux de forêts, pour la production d'énergie ou l'activité touristique. Les retenues seront de toute façon rendues obligatoires par la poursuite de la stratégie nucléaire de la France, au moment où le débit des cours d'eau est amené à baisser. Voilà qui n'apaisera certes pas le débat… car les futurs réacteurs nécessiteront à la fois des retenues en amont pour assurer leur refroidissement et d'autres en aval pour laisser baisser la température de l'eau avant renvoi au milieu. Aujourd'hui, 17 milliards de m3 d'eau sont nécessaires annuellement pour refroidir les centrales.
Un effort demandé aux agriculteurs. Deuxième axe fort : pousser à la sobriété. Consommer moins, donc. Mais plutôt que de donner la priorité à la lutte contre les fuites (qui s'élèvent chaque année à 1 milliard de m3 ) par la rénovation du réseau de canalisations d'eau potable, celle-ci nécessitant des investissements très lourds (de l'ordre de 2 à 3 milliards d'euros par an), c'est plutôt l'agriculture qui est incitée à faire un très gros effort. Ce secteur représente les deux tiers de la consommation d'eau, alors même que l'on considère qu'elle ne rend pas l'eau prélevée au milieu, contrairement au refroidissement des centrales ou à l'eau domestique, qui repart vers les stations d'épuration.
Il faut « accélérer l'adaptation des pratiques agricoles aux nouvelles tensions hydriques », recommandent donc les rapporteurs. Sauf qu'il ne s'agit plus vraiment de trouver de nouveaux ajustements, mais carrément d'effectuer une révolution complète. « Des actions de perfectionnement technique peuvent encore être menées (comme le goutte-à-goutte) mais pour avoir un impact fort, il faut changer de systèmes de culture, ce qui n'est pas toujours économiquement viable », préviennent les sénateurs. « Ce n'est pas facile sans perdre un ou deux ans de production », ajoute Alain Richard. Les conflits d'usage n'en sont qu'à leurs débuts.