Génie civil Laser Mégajoule, un chantier béton à haute précision

Le plus grand laser au monde est en construction au Barp en Gironde. Outil scientifique de pointe destiné à la recherche nucléaire, il exige des conditions draconiennes de stabilité. Bétons spéciaux, murs épais de 1 à 2 m, nombreuses réservations, fondations découplées après rabattement de nappe phréatique en font un chantier exceptionnel.

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Au Barp, en Gironde, se construit depuis 2003 le laser Mégajoule (LMJ), le plus puissant laser au monde. Les équipements installés fonctionnent avec une précision micrométrique, ce qui entraîne des contraintes fortes au niveau du bâtiment en termes de stabilité thermique et structurelle. Ainsi, durant les trois heures qui précèdent une expérience, le bâtiment doit être d’une absolue stabilité, les tables supportant les lasers ne devant pas se déplacer de plus de 10 microns. « Nous savons mesurer et dimensionner les microdéplacements grâce à un logiciel mis au point et développé sur le bâtiment LIL [NDLR : ligne d’intégration laser, prototype du laser Mégajoule], explique Laurent Schmieder, responsable de la direction de chantier pour le Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Le laser Mégajoule est un chantier atypique où se côtoient des opticiens qui travaillent au micron, des mécaniciens au millimètre et des maçons au centimètre. »

L’ensemble du bâtiment du LMJ s’inscrit dans 300 m de longueur et 100 m de largeur. Le bâtiment cubique central de 70 m de côté accueille la chambre d’expérience. Il est bordé par quatre halls de 100 m de longueur.

Intégrer les variations duesà la température, au vent... « Les études de stabilité du bâtiment que nous avons menées intègrent les variations dimensionnelles dues au retrait, au fluage, à la température, au vent, aux fluctuations de la nappe aquifère ainsi qu’aux tassements », détaille Philippe Frey, gérant d’OTH Sud-Ouest.

Préalablement à la construction, un rabattement de nappe a été réalisé pour maintenir un niveau constant (100 à 150 m3/h sont pompés en permanence) et le sol a été traité. Les différents blocs du projet reposent sur des fondations adaptées et découplées. Le hall d’expérience repose sur un radier de 2,45 m d’épaisseur et les couloirs séparatifs sur des pieux de 1,20 m de diamètre et 30 m de longueur. La disposition et l’implantation des locaux techniques permettent de se protéger des actions du vent via ce découplage des fondations. Les tables laser se trouvent ainsi préservées de toute déformation gênante. « Ces tables, constituées d’un radier de 60 cm et d’un plancher de 50 cm reliés par des poteaux en croix, bénéficient d’une forte inertie et transmettent de faibles charges au sol, souligne Philippe Frey. Le tassement final prévu est de l’ordre de 15 mm. »

« Ce chantier est très dense, ajoute Laurent Schmieder. 155 000 m3 de béton sont à mettre en œuvre dont 70 000 dans un carré de 100 m de côté. Nous avons 11 grues en coactivité. » Au programme : 140 000 m2 de planchers et 300 000 m2 de coffrage vertical (Sateco). « Contrairement aux apparences, il y a peu de répétitivité sur le chantier », note Jean-Wilfrid Ferrier, directeur du projet du groupement d’entreprises. Un seul exemple : le cylindre de la salle d’expérience – 33 m de diamètre, des voiles de 1 m d’épaisseur – est une dentelle de béton truffée de réservations – 40 % de vides – pour laisser le passage aux lasers qui convergent vers la cible. « Nous avons dénombré près de 9 000 réservations, ce qui nous a conduit à mettre en place un atelier de menuiserie (12 personnes) et chaudronnerie (8 personnes) pour réaliser les mannequins les plus complexes et parer aux urgences. Nous avons ainsi couvert 50 % de nos besoins, le solde étant sous-traité. » « Il fallait que nos centrales à béton soient au plus près de l’ouvrage, poursuit Jean-Wilfrid Ferrier. En accord avec le CEA, nous avons installé deux centrales sur le site alors qu’elles étaient prévues en dehors. Nous avons ainsi pu réduire la longueur de pompage à 800 m équivalents [NDLR : en ligne droite]. » Un malaxeur de 2,5 m3, secondé par un autre de 2 m3, va assurer la production des bétons dont 70 % seront pompés et mis en œuvre via des mâts de bétonnage dont un au centre de la salle d’expérience. D’où la réflexion d’un chef de chantier: « Ici, le béton coule au robinet. » En moyenne, 1 000 à 1 200 m3 de béton ont été coulés par semaine.

Contractuellement, le béton à mettre en œuvre n’est pas exceptionnel : un B32 dont il faut assurer la pompabilité et limiter le retrait. Ce qui signifie peu d’eau, l’utilisation d’un ciment à faible chaleur d’hydratation – un CEM II de Calcia –  et des superplastifiants. A noter tout de même le recours à un béton « boré » pour le cylindre et le mur d’enceinte de la salle d’expérience. Des voiles de 1 et 2 m de largeur ! L’utilisation de bore est nécessaire pour capter les neutrons libérés lors de l’expérience. Entre 22 et 44 kg/m3 de ce minerai (dont les granulats belges ressemblent à des grains de riz) ont été introduits via un tapis doseur adapté à la centrale. A 130 kg/m3 en moyenne, le ferraillage reste raisonnable mais complexe à réaliser, du fait du grand nombre de réservations mais aussi du fait de l’utilisation de barres de petit diamètre imposé par le calcul au séisme. « Le diamètre moyen des barres pour les halls laser est inférieur à 14 mm, révèle Jean-Wilfrid Ferrier. Cela faisait un petit moment que nous n’avions pas travaillé avec des HA8 en génie civil… »

Comme sur les étoiles. Même si l’Aquitaine n’est pas réputée pour l’intensité de ses séismes, l’ouvrage classé INB – installation nucléaire de base – doit répondre aux exigences des règlements PS92 et RFS (règles fondamentales de sûreté). « En cas de séisme, le bâtiment ne doit pas bouger et doit pouvoir être remis en exploitation rapidement », explique Philippe Frey.

Car le laser Mégajoule est un outil unique qui permettra de réaliser en laboratoire la fusion entre deux variétés lourdes de l’hydrogène – deutérium et tritium –, dernière étape du cycle d’une explosion thermonucléaire. L’énergie de 240 faisceaux laser (similaires à ceux des lecteurs de cédérom) va être décuplée lors d’un long et complexe parcours d’amplification puis sera focalisée dans une chambre d’expérience pour frapper, avec une énergie de 1,8 mégajoule, une microsphère de 2 mm de diamètre contenant les atomes de deutérium et tritium. En quelques milliardièmes de secondes, les atomes soumis à une pression de plusieurs centaines de Mégabars et à une température de plusieurs centaines de millions de degrés vont fusionner, recréant ce qui se produit à la surface des étoiles ou… dans une arme nucléaire. Premières expériences à puissance nominale prévues fin 2010.

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