Franck Boutté dénonce les promesses non tenues de promoteurs en matière environnementale

L’ingénieur en conception environnementale, Grand prix de l’urbanisme 2022, fait état des renoncements fréquents de maîtres d’ouvrage privés sur le volet durable de leurs projets. Au-delà du non-respect des engagements vis-à-vis de la collectivité, Franck Boutté pointe la mise en danger économique de bureaux d’études qui, comme le sien, sont débarqués en cours de route.

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L'ingénieur Franck Boutté déplore des méthodes qui aboutissent à « déshabiller » les projets privés de leurs vertus écologiques et qui fragilisent l’économie des acteurs de la maîtrise d’œuvre.

Il a beaucoup hésité mais l’exaspération, mêlée d’un sentiment d’urgence, l’a emporté. Dans le secteur de la maîtrise d’œuvre où il est rare d’émettre des critiques de peur de devenir candidat non grata, l’ingénieur Franck Boutté a posté le jeudi 17 octobre, sur le réseau social professionnel LinkedIn, une longue publication pour dénoncer les pratiques de promoteurs immobiliers qui, une fois déclarés lauréats de consultations de charges foncières, revoient à la baisse les promesses de leurs projets, et en particulier les ambitions écologiques annoncées. Le spécialiste de la conception environnementale pointe par la même occasion le sort réservé aux bureaux d’études qui, comme le sien, voient souvent leur participation au projet drastiquement revue à la baisse, si ce n’est annulée.

Un projet « ardemment » défendu

Pour appuyer son propos, Franck Boutté a rendu publique une lettre – mais en prenant soin de préserver l’anonymat de son destinataire  – qu’il a adressée à un maire pour l’avertir qu’il n’aurait « malheureusement pas le plaisir de faire avancer et de livrer le projet dont nous avons remporté la consultation il y a quelques mois ». Et d’expliquer qu’après avoir participé à l’élaboration du projet et l’avoir « ardemment » défendu lors de l'oral devant la collectivité, il a été remis en concurrence par le promoteur pour la phase de réalisation. Il n’était alors plus question d’une mission de participation à la conception mais simplement d’assurer la certification de l’ouvrage. Finalement, l’Atelier Franck Boutté n’a pas été retenu.

Au « Moniteur », l’ingénieur explique s’être « rendu compte qu’en l’espace de quelques mois, ce type de mésaventures s’est reproduit quatre ou cinq fois. Des opérateurs nous ont contactés, nous vantant leur forte volonté environnementale. A l’agence, nous ne nous engageons que sur les dossiers auxquels nous croyons. Dans ces cas, nous avons alors été intégrés dans l’équipe de concours. »

Mais une fois la consultation de cession de charge foncière remportée, l’opérateur immobilier a revu les conditions de la participation de l’ingénieur et de ses équipes et a, soit mis fin à cette collaboration, soit amené Franck Boutté à jeter de lui-même l’éponge. « Dans ces cas, nous y avons été obligés car l’opération n’était plus rentable pour nous. Sachant que nos participations aux phases de concours se font déjà à perte », poursuit Franck Boutté qui explique combien ces expériences malheureuses sont « extrêmement déstabilisantes » pour l’équilibre économique de son entreprise. Et plus largement pour les acteurs de la maîtrise d’œuvre.

« Tout le monde en pâtit »

Constatant que le phénomène tendait à « se généraliser chez certains opérateurs et que tout le monde en pâtit », et parce qu’il plaide pour une plus grande « éthique », l'ingénieur a donc décidé de mettre à profit sa notoriété de Grand Prix de l’urbanisme 2022, mais aussi le franc parler qui le caractérise, pour prendre ouvertement position.

La réaction a été massive. Quatre jours après la mise en ligne de son post, ce dernier a été vu par des dizaines de milliers  de professionnels, a suscité plus de 800 « pouces levés » et autres réactions d’approbation et a été commenté à 75 reprises. Notamment par des confrères soumis aux mêmes aléas.

Ainsi, Simon Davies, qui dirige AIA Environnement, constate : « Nous avons également été exposés à de telles pratiques lorsque l'ambition environnementale se réduit drastiquement une fois le concours gagné. La mise en concurrence au profit d'ingénieries environnementales prêtes à réduire les prestations au minimum (voire presque rien) est une pratique courante. Cela se fait souvent aux dépens de la qualité du projet et des futurs usagers. »

« Il faut que cela CESSE »

C’est aussi cette déperdition que déplore Franck Boutté : « Au départ, nous sommes par exemple appelés à travailler à la conception intégrée de logements qui devront être encore vivables à l’horizon 2050. Ensuite, on nous explique que ce n’est plus l’objectif prioritaire. » Tout en prenant soin de rappeler que ce n’est pas le fait de l’ensemble de la maîtrise d’ouvrage privée, il s’agace de ce « déshabillage total du point de vue environnemental. » Et, dans son post, assène : « il faut que cela CESSE», en espérant susciter un mouvement de réaction pour lequel il propose même un slogan : « Respect et Ethique Pour un Immobilier (sou)Tenable = REpIT ».

Mis à part quelques réactions réticentes, des ingénieurs, des architectes, des paysagistes ont applaudi « le courage » de cette prise de parole. Quelques aménageurs aussi, comme Stéfan de Faÿ, le directeur général de Grand Paris Aménagement » qui a apprécié ce « "coup de gueule" malheureusement si justifié. La crise - réelle et dure pour beaucoup d'acteurs immobiliers - n'excuse pas l'instrumentalisation que nombre de "concepteurs" subissent dans les projets. Il est grand temps de revoir le mode de gouvernance des projets immobiliers afin que tous les acteurs collaborent réellement dans la même direction. »

La solution pourrait en effet venir d’un meilleur encadrement par la puissance publique estime Franck Boutté qui regrette que « les collectivités ne soient peut-être pas assez regardantes sur le suivi des projets. Ou alors elles n’en ont pas les moyens. »

L’ingénieur évoque pourtant quelques procédures qui ont permis de contrôler le déroulé des opérations et de sécuriser les projets « comme les protocoles d’innovation et d’engagement mis en place dans le cadre des Appels à projets innovants (API) type "réinventer" ». Sur l’opération Clichy-Batignolles, l’aménageur avait, pour sa part, mis sous séquestre un pourcentage de la charge foncière qui n’était rendu aux opérateurs que deux ans après la réception des ouvrages et s’ils étaient conformes aux attentes. »

Franck Boutté, à l’époque, avait trouvé la méthode sévère. Depuis, il lui est arrivé, dans des missions d’assistance à maîtrise d’ouvrage, de la conseiller. L’idée a pourtant ses limites. En zone détendue, les Villes notamment ont peur que de trop fortes contraintes rebutent les promoteurs.

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