Cette fois-ci, l’exaspération des chefs d’entreprises de bâtiment et de travaux publics est telle dans le Grand Est qu’elle pousse leurs représentations à « tirer la sonnette d’alarme ». Sous ce titre, les présidents des 10 fédérations départementales du BTP s’associent à leur homologue de la FFB régionale Daniel Cerutti pour cosigner un texte dont le but est d’alarmer les pouvoirs publics.
Le sentiment exprimé d’« exaspération » concerne « l’absence de décisions claires qui aggravent les tensions dans le secteur ». Décryptage : le marché est déjà assez compliqué pour ne pas y rajouter un feuilleton sans fin sur le vote de la loi de finances. L’appel s’adresse en effet en premier lieu aux parlementaires afin qu’ils dotent l’Etat d’un budget en bonne et due forme pour 2025, et ainsi qu’ils ne grèvent pas davantage les capacités d’investissements des donneurs d’ordre locaux. « Les effets directs de cette absence de visibilité se répercutent sur les collectivités territoriales, légitimement incapables de planifier leurs budgets sans connaître leur niveau de dotations », écrit le collectif des fédérations du Grand Est.
Celles-ci listent aussi les « mesures immédiates » à faire figurer dans la loi de finances : respect des engagements sur les financements des aides à la rénovation énergétique à l’heure où MaPrimeRénov’ se met en suspens, « soutien aux bailleurs sociaux en leur redonnant une capacité budgétaire suffisante pour l’investissement », extension du prêt à taux zéro à tous les logements en tant que « mesure fondamentale pour la maison individuelle », soutien aux collectivités locales, rétablissement de la TVA à 5,5 % sur les chaudières au gaz et « maintien des aides nationales à l’apprentissage ».
Chute des permis en non résidentiel
Le cri d’alarme retentit dans un certain trou noir dans la région. Sur la plupart des indicateurs de conjoncture compilés par la Cellule économique régionale de la construction (Cerc), le Grand Est affiche des évolutions moins favorables à la moyenne nationale au regard des derniers chiffres, arrêtés à fin octobre 2024. Dans l’habitat, le nombre de logements mis en chantier y a chuté de 20 % à cette date sur un an, contre 18,7 % en France entière, et les réservations (sur les trois premiers trimestres de 2024) ont continué de diminuer, de 2,4 %, alors qu’elles se ont redressées (+ 5,8 %) dans l’ensemble du pays. L’écart est conséquent au niveau des surfaces autorisées de locaux d’activités : -17,6 % à fin octobre dans le Grand Est, ce qui signifie une baisse de plus de 12 points par rapport au national.
Dans ce tableau, des départements importants souffrent encore davantage, comme le Haut-Rhin sur tous les indicateurs, la Marne (-41 % de surfaces de locaux en permis, - 32 % de nouveaux chantiers de logements) ou la Meurthe-et-Moselle. De quoi désoler les représentants de leurs fédérations, en quête d’explications au surcroît de difficultés locales.
« Les commandes par les donneurs d’ordre mettent trop de temps, une fois leur décision prise de lancer les projets », déplore Alban Vibrac, président de la fédération du BTP de Meurthe-et-Moselle (-26 % de mises en chantier de logements à fin octobre 2024). L’entrepreneur avance aussi le fait que le nord du département, limitrophe de Luxembourg, subit par ricochet l’effet de la récession immobilière au Grand-Duché, « qui est une sévère réalité ».
Marché divisé par deux dans le Haut-Rhin
Les « délais qui s’allongent, autant chez les clients professionnels que les particuliers », sont également pointés du doigt dans le Haut-Rhin par Pierre Fuetterer, secrétaire général de la fédération du BTP. « Malgré Chorus Pro et tous les outils de dématérialisation, ces temps sont toujours aussi longs », ajoute le responsable. La faute notamment, selon lui, à un certain pointillisme, comme la tendance « à tout vérifier et revérifier dans les détails avant de déposer une facture dans Chorus Pro ». Dans ce département où les mises en chantier de logements comme de locaux chutent de près de 40 % sur un an, le marché s’en même trouvé divisé par deux en deux ans : 2 400 logements démarrés l’an dernier contre 4 400 en 2022 et 170 000 m2 de surfaces non résidentielles lancées au lieu de 370 000 m2. « Nous avons enregistré 21 liquidations judiciaires en 2024 dans nos professions, contre 10 l’année précédente », ajoute Pierre Fuetterer.
Les grands projets non remplacés
Dans la Marne, « la dynamique des années précédentes est bien coupée », selon le président de la fédération départementale du BTP Philippe Gayet. Son constat vaut aussi bien pour l’habitat neuf que pour l’immobilier d’entreprise. « L’essor dont a bénéficié, sur les deux segments, la zone de Bezannes [au débouché de la gare TGV en périphérie de Reims, NDLR] est derrière nous. Les comparaisons statistiques sont également rendues défavorables par le fait que nous avions concentré dans le département de très gros projets logistiques de plusieurs dizaines de milliers de mètres carrés chacun, aujourd’hui réalisés », ajoute Philippe Gayet. L’intensité est également retombée pour un donneur d’ordre local majeur : la filière du champagne qui a désormais modernisé ses bâtiments.

Dans la Marne, les maisons de champagne traditionnellement pourvoyeuses de chantiers pour les entreprises locales du bâtiment ont pour l’essentiel achevé leurs projets, comme ci-dessus le site restructuré de Pol Roger à Epernay, dont la conception a été assurée par l’agence Pace Architectes. © Fred Laures
Reste, a contrario, la vague des rénovations énergétiques des bailleurs sociaux, à Reims principalement. Mais « elle a déjà été plus haute », selon le président départemental à la tête de la PME familiale de couverture, isolation et chauffage-ventilation. Et son profil de perle rare confine à la foire d’empoigne : « sur le dernier marché d’isolation thermique par l’extérieur, nous étions une dizaine à répondre, au lieu de 3 ou 4 habituellement », rapporte Philippe Gayet.