L'architecte Emile Aillaud (1902-1988) a bâti le grand ensemble HLM des Courtillières, à Pantin (Seine-Saint-Denis), en dix ans. De 1958 à 1968, quelque 1 500 logements ont été construits en barres, en tours et surtout dans les courbes du serpentin cernant un parc de 4 ha. Au siècle suivant, il a fallu plus de vingt ans, dont quinze de chantier, aux architectes-urbanistes de l'AUC pour réparer et repenser 10 ha d'espaces publics du quartier. En 2023, l'agence, lauréate du Grand prix de l'urbanisme deux ans auparavant, a livré les derniers mètres carrés devant le nouveau centre culturel Nelson-Mandela, conçu par l'architecte Jean-Pierre Lott. Pour faire parvis, l'AUC fait jaillir des jets d'eau parmi des bosses de pierre évoquant un banc de baleines. Cette manifestation joyeuse est venue achever ce vaste réaménagement, par ailleurs remarquable de simplicité et d'unité.
Une gageure pour une opération réalisée en 12 tranches de travaux. A la Ville de Pantin, maître d'ouvrage du projet, Stéfany Castel, directrice des espaces publics, tire d'ailleurs son chapeau à l'AUC : « L'agence a réussi à tenir ce travail dans le temps. Entre les premières et les dernières tranches livrées, on ne ressent pas de différences. Une même qualité, une même identité ont été déclinées sur l'ensemble du secteur. »
« Retravailler les lignes de force ». Retour en 2002. Un projet est alors engagé pour réhabiliter ce quartier qui, comme nombre de grands ensembles, s'est dégradé au fil du temps. L'agence RVA se voit confier les travaux sur le serpentin, tandis que l'AUC reçoit la mission de maîtrise d'œuvre des espaces publics, à l'exception du parc central qui sera rénové par le paysagiste Vincent Pruvost. Caroline Poulin, associée fondatrice de l'AUC, se souvient que « la structure des lieux était solide. Nous devions intervenir en finesse et retravailler ce que nous pensions être les lignes de force ». Le site est immense mais il requiert une minutie de dentellière.
A l'échelle du territoire, l'AUC pose les principes d'une meilleure connexion du quartier vers la ville voisine de Bobigny, en créant une nouvelle centralité autour de l'actuelle place François-Mitterrand. A celle des chemins et des pieds d'immeubles, l'agence observe les usages de la population, les trajets qu'elle emprunte, les points de rassemblements, le stationnement anarchique. Elle pose les bases de ce qu'il faut conserver, comme les sentiers spontanés, sauvages mais manifestement plus pratiques, et ce qu'il faut changer. S'il convient de maintenir une place importante pour la voiture, les contours des parkings, organisés en poches, sont dorénavant fixés. De plus, dans la « cité parc » voulue par Emile Aillaud, la végétation est très présente, et la matière est reprise et renforcée avec les paysagistes de Taktyk.
Respect et discrétion. « Nous avons voulu définir l'intervention la plus juste », explique Caroline Poulin dont la devise est : « Mieux vaut faire moins, mais qui tienne longtemps. » Les espaces recomposés s'imposent par leur caractère intemporel. A se demander s'ils n'ont pas toujours été ainsi. Il est vrai qu'en raison du temps long de mise en œuvre, l'AUC se soucie de ne pas créer de fracture entre les secteurs requalifiés et ceux qui attendent de l'être. « Pour ne pas déprécier les existants encore intacts, nous nous devions d'être respectueux, discrets dans nos interventions », poursuit Caroline Poulin. Et l'architecte-urbaniste de s'exclamer : « C'est très modeste, mais ça prend un temps fou ! » Stéfany Castel a pu l'observer, tout est en effet dessiné. « L'impression de facilité qui se dégage de cet aménagement repose sur une grande précision, y compris dans ce qui pourrait paraître de l'ordre du détail », explique-t-elle. Chaque bordure de trottoir est réfléchie et négociée avec les entreprises de travaux. Surtout, dès lors qu'une nouvelle phase est lancée, l'AUC reprend ses plans, réajuste le projet, s'assure de la fluidité entre les différentes étapes. Bref, redessine tout. Mais, la boucle désormais bouclée, Caroline Poulin le garantit : « La logique posée dès le départ est demeurée. »






Informations techniques
Maîtrise d'ouvrage : Ville de Pantin.
Maîtrise d'œuvre : l 'AUC (architecte-urbaniste, mandataire). BET : BATT (aménagement urbain). Taktyk (paysage).
Calendrier : attribution de la mission en 2002 ; lancement de la première tranche en 2008, achèvement de la dernière tranche en 2023.
Superficie totale : 10 ha, dont dernière tranche, 3 100 m².
Entreprises de la dernière tranche : Colas et Paveco (VRD), Derichebourg (éclairage public), Terideal (paysage), CCA Perrot (fontainerie).
Coût total des travaux : 15,13 M€ HT.