Entretien avec Paul-Louis Marty, délégué général de l'Union sociale pour l'habitat

"La vraie condition de réussite d'une politique de la ville c'est sa continuité et sa durée"

Réservé aux abonnés

Quelle vision avez-vous du programme national de rénovation urbaine ?

Le plan Borloo est une étape nécessaire, mais sa mise en oeuvre soulève un certain nombre de questions. Le fait qu'il concentre les moyens sur le renouvellement urbain n'est pas mauvais en soi mais il a l'inconvénient de laisser de côté d'autres quartiers qui rencontrent aussi des problèmes.

Je me demande, aussi, si nous avons les capacités financières, techniques et de production de mener de front une politique ambitieuse en matière de renouvellement urbain et de relance de la construction de logements sociaux. Enfin, le plan Borloo est de fait très orienté sur le logement et le bâti. Or, les problèmes soulevés par la politique de la Ville sont vastes et relèvent de départements ministériels comme l'éducation, l'emploi, la sécurité, qui sont aussi importants que ceux du logement.

Le plan de cohésion sociale n'élargit-il pas le champ d'action du gouvernement ?

Sans doute mais il est très focalisé sur le « hard ». On voit moins, concrètement, ce qui est fait pour traiter les problèmes multidisciplinaires.

Voulez-vous dire que l'on se contente de traiter l'urgence ?

On affiche, par exemple, que l'on va démolir. Or, la démolition n'est pas l'alpha et l'oméga. Ce n'est qu'un outil parmi d'autres et, s'il devenait un élément essentiel, j'y verrais un signe très inquiétant.

Autre caractéristique du plan Borloo : on n'en sentira les effets que dans plusieurs années. L'unité de temps d'une action urbaine de profondeur est la décennie. Un établissement public centralisé comme l'Anru risque d'avoir des difficultés à suivre et faire vivre des projets urbains de long terme.

Par ailleurs, on ne laisse pas suffisamment de responsabilités aux acteurs sur le terrain et l'on a tendance à vouloir juger de manière centrale des projets locaux. Or, il faut que, progressivement, élus et acteurs locaux s'approprient les projets. Sinon, il y aura des effets d'aubaine. Il y a, au niveau central, une tentation de « corriger la copie » des maires : j'ai entendu dire qu'on devrait faire 150 parkings en plus ou en moins sur un projet ! Si on en arrive là, on risque de refaire le système primitif des ZUP. Il est très important de ménager une négociation et une conduite de projet locale. C'est difficile. A l'heure actuelle, les collectivités, les opérateurs, les partenaires sociaux sont parfois mal préparés pour assumer cette responsabilité. Il y a un manque de formation, d'aide à l'ingénierie, à la façon de porter un projet urbain. Les marges de progrès sont très importantes. Nous créons d'ailleurs à l'Union sociale pour l'habitat une école du renouvellement urbain pour les organismes, dans laquelle nous formerons environ 300 cadres. L'Anru et la Caisse des dépôts nous demandent d'élargir cette école aux collectivités. Nous n'y sommes pas opposés. C'est primordial car nous courrons le risque de voir arriver des projets mal maîtrisés où, manifestement, ni la collectivité locale, ni l'organisme, ni les opérateurs ne dominent le sujet. Il faut une maîtrise d'ouvrage forte. Dans certains cas, on ne l'a pas. Or, le problème de la pédagogie, de la formation, et de la capacité à porter les projets, sera la clé du succès.

N'est-ce pas surprenant qu'une maîtrise d'ouvrage forte n'ait pas émergé plus tôt ?

Il est difficile de toucher à l'urbain dans les quartiers où la vie sociale est politiquement très sensible. On n'a pas de recul. On sait faire de la rénovation urbaine ou des villes nouvelles. Mais traiter des quartiers habités avec des problèmes sociaux, on n'a commencé à le faire qu'à la fin des années 70.

Trente ans, est-ce trop court pour la politique de la Ville ?

C'est peu à l'échelle de l'évolution d'une ville et d'une société. En outre, cela concerne des populations qui ne sont pas au centre des préoccupations, notamment parce qu'elles ne votent pas. Rappelez-vous que le premier ministère de la Ville date de 1990. Sur un problème aussi difficile, il ne fallait pas s'attendre à ce que l'on aille plus vite. Il n'y a qu'une minorité d'organismes qui ont une véritable culture urbaine. Or, on ne peut isoler la question du renouvellement urbain de celle du logement.

Que pensez-vous du programme d'action actuel ?

Le fléchage sur la démolition est symboliquement trop fort. Je ne dis pas qu'il ne faut pas démolir. Mais la démolition se justifie par rapport à un projet urbain et social. Très souvent, il y a une assimilation entre problèmes sociaux et formes architecturales. C'est simplificateur. S'il y a des difficultés dans les quartiers, c'est parce qu'on y a relégué certains types de familles. Ce n'est pas la forme architecturale en soi ou l'urbanisme qui sont en cause. On confond les effets et les causes. Parfois, on ne peut que constater l'échec, la vacance. Alors, il faut solder. Mais je deviens très prudent lorsque j'entends dire que plus on démolit, mieux c'est. D'autant que certains ambitionnent de laminer le parc social.

Contester la règle du « 1 pour 1 » par exemple n'a de sens que s'il s'agit de reconstruire ailleurs pour faire de la diversité d'habitat. Au contraire, la respecter a un sens très fort car on maintient un stock de logements sociaux adapté aux besoins. Mais, il faut bien mesurer les effets de l'action en cours : ce que l'on reconstruira n'aura pas le même prix que ce que l'on démolit. C'est important à un moment où l'APL se réduit.

La question des aides personnelles n'a pas du tout été traitée par le gouvernement alors que nous demandions leur indexation. Or, l'effort sur la construction et la rénovation urbaine conduira inéluctablement à une pression à la hausse des loyers. L'indexation des aides personnelles est donc essentielle même si, budgétairement, elle est très douloureuse.

En outre, il faudra un jour rouvrir le dossier du financement du logement. Le logement social relève de mécanismes de solidarité. Et il faut déterminer sur quoi cette solidarité est assise : les aides personnelles reposent sur un système de solidarité générale qui coûte cher. Le financement du logement social est assis sur la solidarité nationale, c'est-à-dire les aides fiscales et budgétaires. Mais les premières ont leur limite et les deuxièmes ont tendance à se réduire comme peau de chagrin. On voit émerger fortement le 1 %. Mais les partenaires sociaux affirment de manière légitime qu'il concerne le logement des salariés. On dit aussi que les organismes d'HLM doivent s'autofinancer davantage. Ce sont alors les pauvres qui paient pour les plus pauvres. Enfin, on passe le bébé aux collectivités : le traitement dépend alors de considérations politiques locales. Il faudra bien une remise à plat.

Que pensez-vous de

la forme des reconstructions : l'individuel, la suppression

des parties communes... ?

A l'heure actuelle, le repli sur soi est consacré à la fois comme mode de vie et comme forme urbaine et architecturale. On privatise les entrées, on clôture. Les questions de sécurité ne relèvent pas du fantasme mais on ne peut nier que la vie sociale et collective n'est pas le fort de notre société en général, et de notre société dans les quartiers populaires, en particulier. Or, on ne peut pas demander à l'architecture de jouer un rôle qu'elle n'est pas capable d'assumer (1). Dans les premières grandes opérations de rénovation urbaine des années 80, nous affirmions que la cage d'escalier devait s'ouvrir sur l'extérieur pour prolonger la rue. Dix ans après, on fermait tout, on installait des interphones et des portes incassables. Les projets urbains et architecturaux sont toujours à la remorque des modes et l'approche marketing dans ce domaine peut aboutir à des solutions très typées, très datées. Tout ceci manque de recul.

En règle générale, sur l'habitat, il y a incontestablement un manque de réflexion sur les usages et la conception. On vit encore sur l'acquis des années 70-80, et l'on est en décalage. C'est très typique d'une société dans laquelle les réflexions sur la vie sociale ne sont pas au centre du débat.

Croyez vous que les promoteurs vont venir dans les quartiers ?

Quand ils arrivent, c'est qu'on a gagné. Je suis favorable à une diversité d'acteurs, de statuts d'occupation et de formes architecturales. La diversité c'est la ville. Mais je ne veux pas que le logement social soit confiné dans le logement de la pauvreté et de l'ultra-pauvreté. Objectivement, les conditions sont remplies pour qu'on y arrive. Je rappelle qu'il y a dix ans, on accusait les HLM de ne pas loger les pauvres !

Je fais partie de ceux qui disent : oui, il faut que nous logions les pauvres, les très pauvres, ceux qui ont zéro revenu. Mais je crains qu'il y ait une séparation des opérateurs entre ceux qui seront de plus en plus en situation de s'occuper de la pauvreté et de la grande pauvreté, et ceux qui se pareront d'un peu de social, type PLS.

Croyez-vous au retour d'activités économiques dans les quartiers ?

On pourra faire tout ce qu'on veut sur le logement, tant qu'on n'aura pas réussi à récréer dans ces quartiers des cercles vertueux qui permettent aux familles de s'insérer, ce sera très difficile. Cela sera long.

L'initiative privée doit être recherchée sur les équipements commerciaux et le problème d'emploi. Il va falloir faire venir dans ces quartiers des acteurs dont le mode d'excellence n'est pas l'habitat mais l'investissement commercial et l'emploi ! Et puis, il y a tout le problème des fonctions régaliennes de l'Etat que sont l'Education nationale, la sécurité.

Il y a des efforts considérables à faire et ce n'est jamais gagné. Ce qui est difficile, c'est le travail dans la quotidienneté. On n'a jamais gagné et on risque de perdre tous les jours. La vraie condition de réussite d'une politique de la Ville, c'est sa continuité et sa durée.

Etes-vous préoccupé par le fait que ce sont des immeubles amortis qu'on démolit ?

Cela conduira à des augmentations de loyers. Je n'exciperai pas du fait que ces immeubles sont amortis pour dire qu'il faut les conserver. Mais avant de les démolir, il faut bien réfléchir à leur fonction. Il ne faut pas démolir pour le plaisir de démolir. Le « 1 pour 1 » dépend du périmètre sur lequel il est fait. Je ne suis pas favorable à ce qu'on reconstruise la même chose sur les grands quartiers d'habitat social. Le jour où des gens accéderont à la propriété dans des conditions satisfaisantes, cela sera déterminant : cela crée une stabilité et donne aux gens un attachement. Je suis un grand partisan de l'accession à la propriété sécurisée et bien conçue dans ces quartiers.

(1) Paul-Louis Marty enseigna, dans les années90, dans le cadre d'un DESS commun à la Sorbonne et à l'Ecole spéciale d'architecture et présida l'Institut d'urbanisme de Paris.

PHOTO : Paul-Louis Marty

Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires