Venu de Bouygues Energies et Services, vous avez pris vos fonctions en septembre 2023. Vous avez alors entrepris de rencontrer l'ensemble de vos équipes. Qu'en retirez-vous ?
J'ai effectivement débuté un tour de nos filiales pour mieux appréhender les enjeux spécifiques de nos activités.
Cette démarche, à laquelle je consacre une semaine sur deux, n'est pas terminée, puisque nous sommes implantés dans une cinquantaine de pays. Pour autant, cela m'a déjà permis de prendre la mesure de ce qui fait l'originalité du groupe : un fort ancrage local et la capacité à faire coexister deux mondes, celui des travaux et celui des industries, c'est-à-dire la production de matériaux (carrières, bitume, émulsions).
Ces premiers mois à la tête du groupe vous ont-ils permis de dessiner une feuille de route ?
Nos grands axes de développement à l'international restent inchangés. Nous continuerons donc à mettre l'accent sur les Etats-Unis et le Canada, mais aussi sur l'Europe - où nous nourrissons des ambitions en Allemagne et dans les pays scandinaves - et dans une moindre mesure en Australie.
Pour ce qui relève de nos métiers, nous entrons aujourd'hui dans la seconde phase de déploiement d'un projet d'entreprise, lancé il y a trois ans, qui consiste à réaffirmer l'importance de nos activités industrielles et à développer la performance de nos sites de production de granulats. Cette démarche contribue à clarifier, dans l'esprit des collaborateurs, leur positionnement au sein du groupe. Ainsi, ils se vivent un peu plus comme des carriers, des négociants, des producteurs d'enrobés… ce qui constitue un changement dans un groupe culturellement associé aux activités de travaux.
Comment accélérer le développement d'activités extractives et de production à l'heure de l'économie de la ressource ?
Aujourd'hui, les industries extractives progressent partout dans le monde, même s'il existe des phénomènes localisés et conjoncturels de rétrécissement du marché. Le sens de l'histoire, ce n'est pas d'arrêter de produire, mais de produire dans de meilleures conditions avec un moindre impact environnemental. Les délais d'ouverture de nouveaux sites qui s'allongent démontrent cette prise en compte croissante des enjeux d'acceptabilité environnementale et sociale. Eau, air, poussières, nuisances… A tous les niveaux l'exigence augmente dans un mouvement que je considère comme salutaire.
Cela vous amène-t-il à repenser vos dispositifs ?
Prenons l'exemple de l'eau, qui est un élément important pour l'exploitation d'une carrière. Aujourd'hui, la majorité de nos sites comportent un recyclage de l'eau, des bassins de décantation… Notre objectif est d'être le plus possible autonome et indépendant du réseau. Parfois, nous le sommes à 80 % ou 85 %, grâce à la récupération et à la réutilisation des eaux de ruissellement en circuit fermé.
Outre l'impact environnemental, comment abordez-vous la problématique des nuisances pour les riverains ?
Nous proposons désormais des carrières « carénées » et « bardées » pour offrir une isolation phonique et limiter la dispersion de poussières. C'est notamment le cas sur un site rouvert il y a un an et demi à La Réunion où les concasseurs et les cribles sont entièrement abrités dans un bâtiment, ce qui nous permet de travailler la nuit si nécessaire.
Si ces transformations de nos carrières, comme de nos usines d'émulsion et d'enrobage, renchérissent les coûts, la demande est là et le marché a démontré sa capacité à les absorber.
Vos clients sont-ils prêts à recourir davantage aux matériaux recyclés ?
La maturité des pays sur le sujet reste hétérogène. Les Etats-Unis, par exemple, sont moins enclins à en utiliser, et différentes contraintes réglementaires en rendent l'usage très difficile.
Mais les choses bougent, notamment en Europe centrale où un certain nombre de verrous ont sauté ces dernières années.
En tant qu'entreprise, nous avons la conviction qu'une partie des matériaux que l'on traite doit être recyclée. En France, nous comptons déjà 400 plateformes d'accueil des déchets du BTP qui font l'objet de démarche interne de labellisation baptisée Valormat. Développer l'économie circulaire est fondamental car, en plus d'améliorer l'empreinte de nos activités de travaux, elle constitue un complément lorsque le marché de la production de granulats naturels vient à baisser.
Concernant vos activités de travaux, sur quel segment percevez-vous la dynamique la plus marquée ?
D'un point de vue international, le marché du ferroviaire est particulièrement actif dans toutes ses composantes, qu'il s'agisse de projets urbains ou du retour de projets de lignes à grande vitesse, par exemple au Maroc, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Le marché français est, quant à lui, principalement porté par les infrastructures de transport guidé urbain de type tramways, métros… avec de nombreux projets en cours de réalisation. En revanche, on ne ressent pas la même dynamique sur le réseau ferré national où les budgets restent plutôt stables.
« Renforcer la maintenance du patrimoine routier et ferroviaire, s'inscrire dans une logique d'anticipation et de planification est payant en termes d'empreinte carbone. »
Pourtant, les professionnels des travaux routiers s'inquiètent que le rail ne draine le gros des financements publics…
S'il existe effectivement une volonté de l'exécutif de privilégier le développement du réseau ferroviaire dans les prochaines années, cela ne bouleversera pas les grands équilibres.
Le rail ne supplantera pas le réseau routier, mais les interrogations concernant l'avenir de ce dernier sont légitimes. La problématique n'est pas tant de savoir dans quelles infrastructures investir que de trouver un moyen d'investir suffisamment dans les deux. Or, le patrimoine routier hexagonal se dégrade alors que les collectivités locales qui en assument la gestion voient leurs capacités budgétaires se réduire, comme en témoigne la place qu'occupe la route dans le volet mobilité des contrats de plan Etat-région.
Reste que le cycle de marché est plutôt porteur pour les infrastructures de transport. Les élections législatives anticipées sont-elles de nature à enrayer cette dynamique ?
Le regain d'activité sur le marché français trouve plutôt son origine dans le lancement d'appels d'offres par les municipalités. Sur ce point, l'accélération du calendrier législatif n'aura pas forcément un grand impact. La question qui subsiste - et à laquelle personne ne peut encore répondre -porte sur la tonalité du gouvernement à venir, qui influera sur les stratégies d'investissements. Il ne faut pas minimiser non plus les nouveaux équilibres au sein du Parlement européen dont les décisions peuvent impacter nos activités, en lien avec la priorité accordée aux enjeux de décarbonation notamment. Les prochains mois devraient apporter des réponses à ces interrogations.
Comment décarboner davantage les infrastructures ?
Il faut que les Etats continuent d'investir dans l'entretien et la modernisation de leur réseau. Renforcer la maintenance du patrimoine routier et ferroviaire, s'inscrire dans une logique d'anticipation et de planification est payant en termes d'empreinte carbone. Le second levier que nous espérons voir promu est celui des solutions de construction plus vertueuses. C'est pourquoi nous investissons énormément dans le développement de produits biosourcés, bas carbone, recyclés… Plus les Etats s'engageront dans un chemin d'adaptation et de décarbonation des infrastructures, plus les nombreuses solutions et innovations que nous proposons trouveront l'espace pour se déployer.