Interview

Energie : « Les réseaux haute tension et les projets d'EnR sont gourmands en foncier », José María Castillo Lacabex, directeur général de Cobra IS

Experte des infrastructures électriques, la filiale de Vinci Cobra IS mise sur les grands espaces australiens, américains ou brésiliens.

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José María Castillo Lacabex, directeur général de Cobra IS.

Vous avez récemment signé un acte d'engagement pour un important partenariat public-privé (PPP) en Australie. Ce marché ouvre-t-il une nouvelle phase de développement pour Cobra IS ?

Déjà en 2019, alors que l'entreprise faisait encore partie d'ACS, nous avions identifié l'Australie comme une zone stratégique pour notre développement. Après avoir participé à un projet de 20 M$ australiens pour une usine de traitement des eaux usées à Altona près de Melbourne et un autre portant sur une sous-station, l'heure était venue de déployer notre expertise en matière d'infrastructures liées aux énergies renouvelables (EnR). Cette ambition a rencontré celle de l'Etat de Nouvelle-Galles du Sud qui désire transformer son appareil de production d'électricité, en passant de l'exploitation du charbon à celle des EnR, pour répondre à la demande croissante de sa population en énergie verte. Cela va se traduire par un PPP de trente-cinq ans qui comprend le financement, la conception, la construction, l'exploitation et la maintenance de plusieurs lignes de transmission de 330 kV et 500 kV, de sous-stations et de leur connexion à des parcs de production d'EnR d'une capacité de 4,5 GW.

Comment vous êtes-vous positionnés pour remporter ce contrat ?

Dans l'attente de l'émergence de grands projets d'énergies renouvelables, nous avions noué il y a trois ans un partenariat avec les entreprises Acciona et Endeavour Energy, bien implantées en Australie. Lorsque l'appel d'offres pour un contrat EPC [Engineering Procurement and Construction, NDLR] a été lancé il y a deux ans, nous étions déjà prêts pour ce type de marché. S'en est suivi un dialogue compétitif au terme duquel nous avons été retenus comme attributaire pressenti en avril 2023. Les négociations avec l'Etat de Nouvelle-Galles du Sud se sont alors poursuivies jusqu'au mois de décembre. Ces derniers échanges ont notamment porté sur la réévaluation des prix jusqu'au closing financier que nous attendons au troisième ou quatrième trimestre de cette année. Le montant total de l'investissement de ce projet se situera autour de 6,15 Mds € avec des dépenses d'investissements qui s'élèveront à 3 Mds € pour la seule partie construction, incluse dans notre projet de PPP.

Vous développez également d'importants projets en Amérique latine et aux Etats-Unis. Pourriez-vous faire de même en Europe ?

Pour l'heure, ce n'est pas possible, car ces marchés sont entièrement pris en charge par les entreprises publiques qui assurent la gestion des réseaux. Mais celles-ci pourraient ne pas avoir la surface financière pour investir les sommes considérables et pourtant indispensables à l'atteinte des objectifs de l'Union européenne en matière d'EnR. La situation est donc susceptible de changer lorsque les Etats auront pris la mesure des enjeux de développement et de dimensionnement des réseaux de transport d'électricité à haute tension.

Un changement de modèle qui ouvrirait la voie aux PPP n'est donc pas à exclure ?

Les groupes publics savent bien qu'ils ne pourront faire face à une telle explosion des besoins électriques. Comme je l'ai dit, tout dépend du temps que prendront les gouvernements à l'accepter et donc à décider que les investisseurs privés pourraient être impliqués pour mener à bien les travaux qui s'imposent. C'est simple, si rien n'est fait au niveau du réseau, et alors que l'Europe est en route pour atteindre les 320 GW de puissance photovoltaïque installée en 2030, des problèmes vont commencer à apparaître.

A quelles difficultés faut-il s'attendre ?

Quand le réseau sera saturé, il faudra couper la production d'énergie verte de certains sites pour éviter les pertes. Ce genre de situation risque de devenir de plus en plus fréquente d'ici deux à trois ans maximum. C'est d'ailleurs déjà le cas en Espagne où 5 % de l'énergie renouvelable produite dans le pays est perdue. Lorsque cela arrivera en Italie, en France et en Grande-Bretagne, les gouvernements changeront probablement d'approche face à cette problématique. Si tel devait être le cas, le groupe Vinci, avec son envergure mondiale, sa connaissance des marchés et des projets de long terme comme les PPP pourra compter sur l'expertise de Cobra IS pour prendre part à ces projets structurants.

Dans ce contexte, comment envisagez-vous votre croissance dans les années à venir ?

En 2022, nous avons réalisé un CA de 5,5 Mds € et nous visons les 7,5 Mds € au moins en 2025. Notre ambition est bien sûr de continuer à croître après cette date, mais nous ne le ferons pas au même rythme qu'actuellement [15 à 20 % chaque année, NDLR]. Notre développement ne dépend pas de la taille du marché mais de nos capacités, qui ne sont pas infinies.

Pour revenir au PPP de Nouvelle-Galles du Sud, il nous suffit car nous ne disposons pas de capacités suffisantes pour mener un autre projet similaire de front. D'autant que nous serons de plus en plus investis dans des projets d'infrastructures aux Etats-Unis. Il nous faut savoir être sélectifs et faire partie de Vinci nous y aidera, dans le sens où nous pourrons prendre le temps de choisir sereinement nos investissements.

« Si rien n'est fait au niveau du réseau, des problèmes vont commencer à apparaître. Quand il sera saturé, il faudra couper la production d'énergie verte. »

Quels sont les territoires les plus porteurs pour vos activités à ce jour ?

Les infrastructures de réseaux haute tension et les projets d'EnR au sens large sont très gourmands en foncier, beaucoup plus qu'une centrale à charbon ou une centrale nucléaire. Nous allons continuer de cibler des pays avec de grands espaces disponibles et d'importants bassins de population tels que les Etats-Unis, le Brésil, l'Australie, l'Espagne, voire les Pays-Bas et l'Allemagne qui bénéficient d'une gigantesque surface maritime. Avec ces quatre ou cinq pays seulement, nous avons suffisamment de potentiel de croissance pour les vingt prochaines années.

Cobra IS n'a donc pas vocation à s'ouvrir à de nouvelles régions dans l'immédiat ?

Nous nous appuyons sur une organisation matricielle qui dépend de notre activité, pas du pays. Ainsi, nous voulons dans un futur proche accroître notre influence dans des régions où nous ne sommes pas encore aussi bien implantés qu'en Amérique du Sud - c'est le cas de l'Australie et des Etats-Unis - grâce à nos métiers principaux. Par exemple, nous ne comptons pas développer notre activité de projets récurrents [hors grands projets, NDLR] en Australie. Cela nécessiterait d'acquérir une entreprise locale, ce qui n'est pas dans nos intentions.

Comment organisez-vous la coexistence entre Vinci Energies et Cobra IS au sein du même groupe ?

L'Australie est un bon exemple de complémentarité entre les deux sociétés. Vinci Energies y est présente sur des activités récurrentes. Les affaires sont florissantes, mais elle n'a pas l'intention de se positionner sur des projets de plus grande ampleur, au contraire de Cobra IS. En réalité, les marchés sur lesquels Vinci Energies et Cobra IS sont tous les deux présents ne représentent que 3 à 4 % de notre chiffre d'affaires global.

Par ailleurs, nous pouvons faciliter les décisions d'autres entités du groupe sur des marchés qu'elles connaissent moins. Le Mexique est un bon exemple de pays dont Cobra IS appréhende mieux que Vinci les mentalités, les ressorts, le fonctionnement du marché. Quand s'est posée la question d'investir dans OMA, gestionnaire des aéroports mexicains, Vinci nous a sondés pour connaître notre sentiment sur ce groupe, ses projets et sa situation. Il s'agissait quand même d'une décision à 1,17 Md €

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