Le droit de préemption urbain (DPU), un dispositif multitâches ? « Sa vocation à l’origine était uniquement de faire des opérations d’urbanisme. Mais cela a beaucoup évolué, à la faveur d’extensions de son champ d’application. Aujourd’hui le DPU vise prioritairement à favoriser la mixité sociale via le logement », a expliqué Marie-Hélène Pero-Augereau-Hue, notaire à Chevreuse (Yvelines), lors d’un petit-déjeuner de presse organisé le 17 février à Paris par le réseau notarial Groupe Monassier.
Cet outil permet à une commune, une interco ou un délégataire (1) d’acquérir de façon prioritaire des biens immobiliers mis en vente. A condition toutefois que le bien se situe dans une zone préalablement délimitée comme assujettie au DPU ; et que l’acquisition vise une opération d’intérêt général ou la constitution de réserves foncières en vue d’une telle opération (articles L. 210-1 et suivants du Code de l’urbanisme). « Il s’agit d’un outil de maîtrise foncière, rappelle Marie-Hélène Pero-Augereau-Hue, mais les pouvoirs publics le détournent parfois en instrument anti-fraude, ou pour faire baisser les prix dans un secteur en faisant fuir les acquéreurs potentiels…».
Les lois Alur du 24 mars 2014 et Macron du 6 août 2015 ont réaménagé le DPU, « pour l’élargir tout en protégeant mieux les droits du propriétaire », résume Gaëlle Le Dû, consultante au centre d’études et de recherches du Groupe Monassier. De l’avis des professionnels, cet équilibre entre les besoins des collectivités territoriales et les garanties des propriétaires demeure fragile.
DPU renforcé
Un propriétaire peut se trouver confronté à trois cas de figure. Son bien peut être situé : dans une zone sans DPU, en l’absence de délibération spécifique de la commune ; dans une zone soumise au DPU ; ou dans une zone soumise au DPU renforcé.
L’instauration d’un DPU classique n’a pas à être motivée par la commune. « Certaines zones peuvent être exclues du champ du DPU, par exemple les lotissements ou les ZAC, détaille Gaëlle Le Dû. Il existe aussi des exclusions légales. Echappent ainsi au DPU la vente de certains lots de copropriété ; et la vente des immeubles neufs pendant les quatre années suivant leur achèvement – avant la loi Alur, c’était dix années… ».
Mais ces exclusions légales peuvent sauter, lorsque la commune décide (par une délibération qui doit être motivée) d’instaurer un DPU renforcé sur tout ou partie de son territoire. Pour Arlette Darmon, notaire à Paris et présidente du Groupe Monassier, « le risque d’être préempté sur un lot de copropriété était jusqu’à présent très hypothétique. Mais cela pourrait évoluer. Paris envisage par exemple d’acquérir des chambres de service dans les immeubles et de les regrouper pour réaliser des logements sociaux… ». De fait, constate son confrère Bernard Delorme, notaire à Cholet (Maine-et-Loire), « l’adoption d’un DPU renforcé n’est pas exceptionnelle et se rencontre de plus en plus dans les grosses communes ».
Nouveaux droits d’information des communes
En pratique, les ventes qui font véritablement l’objet d’une préemption demeurent rares : 1 % des opérations en France, selon Me Pero-Augereau-Hue. Les collectivités manquent en effet de ressources financières pour réaliser des acquisitions… Mais l’existence même d’un droit de préemption fait peser des risques sur les ventes : moins d’acquéreurs potentiels, délais de réalisation des opérations rallongés, lourdeurs administratives, etc. L’impact est donc important. D’autant plus que le champ des opérations concernées par le DPU a aussi été élargi par les lois récentes, en matière de cessions de la majorité des parts d’une SCI ou de donations entre vifs par exemple.
La loi Alur a également renforcé les droits d’information des titulaires du DPU. Ceux-ci peuvent adresser aux propriétaires une demande de communication de documents, mais aussi demander à visiter le bien. Dans les deux cas, cela suspend le délai de deux mois laissé aux titulaires du DPU après réception de la déclaration d’intention d’aliéner pour prendre position. « En pratique, ces nouveaux droits peuvent être utilisés par les communes pour prolonger le délai et se laisser un peu plus de temps pour décider de préempter ou non », note Bernard Delorme. « Le côté positif, répond Marie-Hélène Pero-Augereau-Hue, est que la visite du bien permettra peut-être une meilleure évaluation du bien et donc une fixation plus juste du prix. » Le dispositif du DPU laisse en effet la possibilité à la commune de renoncer à la préemption, auquel cas le vendeur peut librement céder son bien ; de préempter le bien aux prix et conditions proposés par le vendeur ; ou de préempter à un prix ou des conditions différentes, après évaluation par France Domaine. Dans ce dernier cas de figure, le propriétaire peut renoncer à vendre son bien, accepter les nouvelles conditions ou les refuser. Ce sera alors au juge de l’expropriation de trancher. « Le plus souvent, le vendeur renonce, ou négocie un accord à l’amiable avec la commune, commente la notaire. Les parties n’ont pas forcément intérêt à aller devant le juge car cela allonge encore les délais. »
Paiement en quatre mois impératif
Une dernière évolution de la réglementation mérite d’être soulignée. « Désormais, la commune qui a préempté un bien doit verser ou consigner le prix dans un délai de quatre mois après la décision d’acquérir, explique Gaëlle Le Dû. Et elle peut, grâce à un arrêté du 16 février 2015 et un décret du 20 janvier 2016, procéder au paiement avant service fait, dès la signature de l’acte authentique de vente ». Si le délai de quatre mois n’est pas respecté, le propriétaire retrouve toute liberté pour vendre son bien, sans avoir à purger à nouveau le droit de préemption. « Ce mécanisme est très protecteur pour le propriétaire, et responsabilise les communes sur le plan de la gestion des finances publiques », conclut-elle.