Jurisprudence

Des nuisances olfactives peuvent permettre de faire jouer l'assurance dommages ouvrage

Une décision rendue par la Cour de cassation le 11 mai 2022 illustre une nouvelle fois le caractère protéiforme de la notion d'impropriété à la destination d'un ouvrage.

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Des nuisances olfactives peuvent permettre de faire jouer l'assurance dommages ouvrage
Des nuisances olfactives peuvent permettre de faire jouer l'assurance dommages ouvrage.
Marchés privés

Un syndicat des copropriétaires se plaignait de désordres (notamment l'absence de raccordement des évents, provoquant des odeurs nauséabondes), affectant les bâtiments de sa résidence réalisée par une entreprise. Après expertise judiciaire, une procédure est engagée à l’encontre de l'assureur dommages ouvrage (DO) afin d'obtenir une indemnisation. La cour d’appel rejette cette demande, mais la Cour de cassation, dans un arrêt du 11 mai, casse la décision rendue en appel en énonçant : "En statuant ainsi, après avoir constaté que l'expert avait relevé que l'absence de raccordement des évents provoquait des odeurs nauséabondes présentant un danger pour la santé des personnes, de sorte que le risque sanitaire lié aux nuisances olfactives rendait, en lui-même, l'ouvrage impropre à sa destination durant le délai d'épreuve, la cour d'appel a violé les [articles 1792 du Code civil et L. 242-1 du Code des assurances, relatifs à la responsabilité décennale et à l'assurance DO]".

Tout l'enjeu était ainsi de déterminer si ces nuisances olfactives représentent d'une part un désordre (pérenne), et d'autre part un désordre de nature décennale. La Cour de cassation, par cet arrêt, innove et répond donc favorablement : une nuisance olfactive constatée dans le délai décennal peut rendre l'ouvrage impropre à sa destination, et donner prise à l'application de la garantie de l'assureur DO.

Double détente

Cela confirme qu'il n'existe pas de liste exhaustive de l'impropriété à destination ni de définition statique. Cette qualification se fait et se fera au cas par cas. Il existe donc une définition dynamique évolutive d'une notion protéiforme.

Rappelons que l'assurance DO est une assurance de pré-financement, qui fonctionne par un mécanisme de double détente : l'assureur DO va pré-financer la réparation des désordres et exercer ensuite un recours subrogatoire contre les assureurs décennaux des intervenants responsables. Les conditions d'application de la garantie décennale sont doubles : il convient de rapporter la preuve que le dommage présente une nature juridique décennale et une nature physique décennale.

La nature juridique décennale du dommage suppose l'apparition d'un désordre après réception. Il doit s'agir d'un vice caché. La réception purge en effet les vices ou non-conformités apparents/es, met fin au contrat de louage d'ouvrage et constitue le point de départ des garanties légales dont la garantie décennale. En l'espèce, pour rejeter les demandes formées à l'encontre de l'assureur DO, les juges d'appel avaient retenu que "l'absence de raccordement des évents était apparente à la date de la réception". Mais, estime la Cour de cassation, "en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les nuisances olfactives provoquées par l'absence de raccordement des colonnes d'eaux usées à des évents extérieurs ne s'étaient pas manifestées que postérieurement à la réception, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision".

S'agissant de la nature physique décennale du désordre, il faut rapporter la preuve que le dommage rend l'ouvrage impropre à sa destination et/ou porte atteinte à la solidité de l'ouvrage. En l'espèce, une nuisance olfactive constatée dans le délai décennal rend l'ouvrage impropre à sa destination. Pour mémoire, en matière d'assurance DO, il y a un délai décennal + deux ans (délai de prescription biennale des assurances) pour déclarer le sinistre. L'assureur DO qui préfinance pourrait donc perdre son recours si le désordre est déclaré/constaté au delà du délai de dix ans.

Conseils pratiques

Pour les maîtres d'ouvrage, il convient de déclarer un désordre dans son acception la plus large et la plus grave possible en joignant si nécessaire des certificats médicaux pour des nuisances olfactives afin de ne pas se voir opposer un refus de garantie par l'assureur DO. Il s'agit d'une matière où l'approche subjective de chacun va avoir une incidence sur la caractérisation du désordre/dommage : dans certains cas, le dommage sera garanti, dans d'autres, non, l'impropriété à destination s'appréciant in concreto.

Cass. 3e civ., 11 mai 2022, n° 21-15608, publié au Bulletin

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