Interview

« Dépasser la suspicion persistante vis-à-vis du secteur privé », Frédéric Gardès, P-DG du groupe Colas

Travaux publics -

Entre innovations contractuelles et techniques, le patron de Colas détaille les leviers d'une relance verte et ambitieuse des infrastructures.

 

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Notre véritable plus-value se situe dans notre expertise en conception-construction. Or son expression est souvent empêchée par le conservatisme technologique et l’environnement réglementaire. », Frédéric Gardès

Comment abordez-vous les mois à venir alors que la pression sanitaire reste élevée ?

L'année 2020 a permis de démontrer la capacité de notre groupe, et plus généralement celle du BTP, à poursuivre l'activité sous des contraintes sanitaires fortes, et ce en assurant la sécurité des équipes. Plus que sur les aspects opérationnels, nos préoccupations portent désormais sur la profondeur et la durée de la crise économique ainsi que sur l'efficacité des plans de relance annoncés. Gardons à l'esprit que nous sortons d'une année compliquée, pendant laquelle les appels d'offres ont chuté en France de 70 à 80 % selon les périodes. Malgré une remontée graduelle qui a permis de contenir cette baisse à 20 % en fin d'année et de retrouver des niveaux d'avant-crise en ce début 2021, il est bien trop tôt pour annoncer un retour à la normale. A plus forte raison alors que la tension sanitaire s'accroît et que l'on connaît, depuis les derniers confinements, le ralentissement d'activité induit par le passage en télétravail de la sphère publique locale.

Quelle lecture faites-vous des plans de relance européen et français ?

Dans le plan présenté par l'UE, le gros des investissements en infrastructures est fléché vers l'Europe centrale, une zone dans laquelle nous sommes déjà implantés. Le cycle de financement dont elle bénéficie actuellement, et qui devait se réduire en 2021-2022, sera donc prolongé de quelques années. Nous nous réjouissons bien sûr de cette volonté de continuité.

Reste que la réussite de ce plan de relance, comme celle de ceux annoncés aux niveaux nationaux, dépendra du rythme de leur déploiement. En France, ce succès sera notamment conditionné par le degré de complexité des demandes du bloc communal.

Je crains que cette relance verte, espérée de tous, ne se perde dans des méandres administratifs. Pour éviter cet écueil, il nous faut démontrer aux nouvelles équipes municipales, dont certaines découvrent progressivement les mécanismes du pouvoir local, l'efficacité de solutions déjà à disposition et prêtes à être déployées.

La France doit aussi remettre à niveau ses infrastructures. Comment financer de telles ambitions sur le temps long ?

En une dizaine d'années, la France est passée de leader mondial en matière de qualité de ses infrastructures au 18e rang [classement du Forum économique mondial, NDLR]. C'est la conséquence directe d'un déficit de maintenance lié à la façon dont sont budgétées et alloties ces opérations. Pourtant, il est possible de procéder différemment. En Europe du Nord, par exemple, les entreprises se voient confier des responsabilités élargies et sont astreintes à une obligation de résultats, quelle que soit l'échelle du réseau qu'elles ont à maintenir. C'est aussi un modèle employé au Royaume-Uni. La ville de Portsmouth, par exemple, nous a transféré son réseau routier pour le rénover et l'entretenir pendant vingt-cinq à trente ans.

Quels pourraient être les bénéfices de cette approche ?

Dans ce dispositif contractuel, le maître d'ouvrage n'a plus besoin de rentrer dans l'hyperdétail d'un projet. Son rôle consiste à vérifier que l'on a bien atteint le résultat qu'il exige de nous.

Libre de s'organiser, l'entreprise peut ainsi décider de raboter ici pour réutiliser là, d'augmenter la part de matériaux recyclés dans les enrobés, de prendre la responsabilité de tester des innovations. En fait, elle est poussée naturellement à s'inscrire dans des logiques d'optimisations économiques, techniques et environnementales des infrastructures qui profitent ensuite à toutes les parties prenantes.

Ce modèle suppose-t-il forcément un financement apporté par l'entreprise ?

Pas du tout. Les Etats occidentaux modernes et stables sont bien mieux placés qu'une entreprise pour négocier les meilleurs taux et conditions de financement. Notre véritable plus-value se situe dans notre expertise en conception-construction.

Or son expression est souvent empêchée par le conservatisme technologique et l'environnement réglementaire. Aujourd'hui, un donneur d'ordres qui sélectionne une variante s'expose à une série de recours et à des mois de retard. Pas vraiment de quoi encourager son esprit d'initiative.

Comment lever ces freins au déploiement de ces contrats de performance ?

Par un gros travail de pédagogie qui suppose aussi de dépasser la suspicion persistante vis-à-vis du secteur privé. Aujourd'hui, l'idée fait son chemin chez les donneurs d'ordres même si nous n'avons pour l'instant qu'un seul contrat de ce type en France, au Plessis-Robinson (Hauts-de-Seine). De taille modeste, il fonctionne très bien, et nous espérons pouvoir en annoncer d'autres. Mon sentiment personnel est que les contraintes budgétaires nous conduiront inéluctablement à privilégier les contrats de performance. A quel rythme ? Toute la question est là.

Accompagner le maître d'ouvrage dans la réduction de ses émissions de CO2 est-il possible ?

Sur ce point, nous ne pouvons pas prendre d'engagements chiffrés comme nous le faisons sur nos émissions de gaz à effet de serre (GES) directes et indirectes en amont [baisse de 30 % d'ici à 2030, NDLR]. Néanmoins, nous avons toujours à cœur d'introduire diverses innovations pour aider le maître d'ouvrage à réduire l'empreinte environnementale liée à l'exploitation de ses infrastructures. C'est l'un des objectifs de la signalisation dynamique Flowell, dont le déploiement ne cesse de progresser en France et à l'international, ou des solutions numériques proposées par notre intégrateur de services de mobilité Mobility by Colas. Globalement, nous voulons assumer une mission de conseil auprès de nos clients dans la priorisation de leurs travaux, au travers de notre solution Anaïs notamment, dans la sécurité et la gestion des flux de circulation aux abords des chantiers avec notre service digital Qievo…

Qu'en est-il de la réduction de vos émissions de GES ?

Sur ce sujet, nous avons pris des engagements forts et nous voulons être précurseurs. C'est pourquoi nous travaillons sur l'hydrogène vert au travers de notre projet Last MHyle. Piloté par Akuo [producteur d'énergie renouvelable, NDLR] et Bouygues Energies & Services, il va donner naissance à un réseau de huit stations de recharge pour offrir une mobilité décarbonée en Ile-de-France. Un premier projet de station partagée, sur un site Colas à Louvres (Val-d'Oise), permettra d'alimenter nos véhicules. Si l'on veut que l'hydrogène devienne une réalité, il faut donner l'impulsion et agir maintenant. Il en va de même quand nous décidons avec Volvo de transformer, d'ici à fin 2021, une de nos carrières en démonstrateur pour y exploiter des engins électriques et autonomes. Ou encore quand nous développons le liant carbone négatif baptisé Végécol qui sera utilisé sur chantier au printemps, après avoir été testé sur plusieurs sites expérimentaux.

Récemment, vous avez également formalisé votre politique RSE. Pourquoi avoir décidé de réaffirmer vos engagements ?

En fait, nous avons toujours fait de la RSE ! C'est dans notre culture de s'implanter dans un pays et d'en devenir un vrai acteur local soucieux de participer à son développement.

Nous avons décidé de le faire savoir davantage et de fournir un cadre à ces démarches, en prenant des engagements forts et en se fixant des objectifs. Evidemment, les initiatives doivent rester locales, mais nous voulons que chaque collaborateur au sein des agences sache qu'il peut compter sur le groupe pour l'accompagner dans ses actions, l'aider à créer des synergies.

A mon sens, le développement des politiques RSE, au même titre que les stratégies de réduction de GES, ne sont pas des effets de mode, des choses que l'on fait aujourd'hui pour les oublier dans deux ou trois ans. Elles constituent des réponses à des attentes profondes de tous les acteurs, en externe comme en interne. Sur ces sujets, nous nous inscrivons dans la durée.

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