Conception : la ville de 2050 en germe sur 52 hectares

S'il est prêt à accueillir les sportifs puis les habitants, le village des athlètes voulait être un laboratoire de l'aménagement durable. Pari tenu ?

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L’accent a été mis sur la gestion gravitaire des eaux de pluie, comme ici au sein du jardin privatif du secteur Belvédères (Nexity).

Il faut d'abord saluer la prouesse. Le 29 février, la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solidéo) a remis à Paris 2024 les clés de 250 000 m² de bâtiments du village des athlètes édifiés à Saint-Denis et Saint-Ouen et le 15 avril, la SEM Plaine Commune Développement en fera de même pour les 50 000 m² construits sur l'Ile-Saint-Denis. Le calendrier pour accueillir environ 15 000 sportifs lors des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) cet été a donc été tenu. En six ans, l'aménagement de 52 ha logés dans une boucle de la Seine, en Seine-Saint-Denis, a été dessiné et conduit, avec l'ambition plus grande que ce village fasse ville. Ces différents secteurs constitueront ainsi un nouveau quartier de 6 000 habitants et autant de salariés, à partir de 2025, après les travaux de la phase dite « héritage ».

Mais il y avait aussi une promesse. Le village des athlètes a été annoncé par la Solidéo comme un concentré des innovations urbaines des trente prochaines années. Henri Specht, son directeur pour le projet du village, confirme : « Dès 2018, l'objectif a été que le projet fasse sens à l'horizon 2050. » Ses inventeurs entendaient livrer un quartier exemplaire en matière d'écologie et d'usage. Les curseurs ont donc été poussés lors de la fixation des règles imposées à tous les secteurs du territoire, et donc à une quarantaine d'architectes et d'urbanistes, aux paysagistes, bureaux d'études, promoteurs et aux entreprises. Tout en suivant une trajectoire de lutte contre le réchauffement climatique, notamment incarnée par la réduction du bilan carbone par m² bâti, le village a été parmi les premiers projets d'aménagement à prendre en compte l'adaptation à une dégradation environnementale déjà effective et mesurable. Le quartier a été conçu pour être vivable en 2050.

Léguer un héritage. Tout a été jeté dans la bataille : un plan urbain favorisant la circulation de l'air côté Saint-Denis et Saint-Ouen, élaboré par l'équipe formée autour de Dominique Perrault et la poursuite des principes fondateurs de l'écoquartier de l'Ile-Saint-Denis, déjà mis en œuvre par l'agence Philippon-Kalt depuis une dizaine d'années, mais aussi une conception bioclimatique des bâtiments, le recours au bois, au béton bas carbone, au réemploi ou encore un volet paysager fondé sur la densité végétale et le bon usage des eaux de pluie. Il y a eu aussi la volonté d'imaginer de nouvelles armes. « Beaucoup de solutions déjà en germe sont passées à une échelle supérieure, avec un possible impact sur la maturation de filières », ajoute Henri Specht. Envisagé comme un laboratoire, le village des athlètes devait aussi léguer un héritage aux professionnels de la fabrique urbaine.

« Il s'inscrit dans une réflexion à long terme sur le plan de transition urbaine écologique », reconnaît Alexis Charlot-Etienne, de l'agence Cobe, architecte coordonnateur sur le secteur Belvédères, à Saint-Ouen. Conseiller délégué à l'aménagement dans cette commune, Sébastien Zonghero est persuadé qu'en la matière, « les JOP nous ont fait gagner quinze à vingt ans. » Pour sa part, coordinatrice du secteur Quinconces, également situé à Saint-Ouen, l'architecte Anne Mie Depuydt, de l'agence uapS, juge que si l'opération « est une bonne introduction pour 2050, il faudra que nous soyons encore meilleurs. Mais j'ai beaucoup appris sur ce chantier ». L'opportunité « de tester de nouveaux modes constructifs et de gagner en expérience » est aussi saluée par l'architecte Nicolas Guérin, chez NP2F, qui livre quatre bâtiments de part et d'autre de la Seine.

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Comment désormais transformer l'essai et faire modèle ? La Solidéo explique notamment travailler « sur la conception d'une plateforme dédiée à la transmission et à la valorisation des savoir-faire acquis dans le cadre de la réalisation des ouvrages olympiques ». Et divers intervenants ont déjà repéré des méthodes ou des techniques reproductibles. Chez Icade Promotion, Florence Chahid-Nourai, qui a dirigé le projet du secteur Quinconces, pensera « plus systématiquement aux dispositifs d'accessibilité universelle, qui prennent en comptent tous les handicaps. Par ailleurs, l'effort mis sur le réemploi a sans doute levé des freins psychologiques ». La mairie de Saint-Ouen a déjà tiré des leçons de l'expérience « puisque, dès 2021, nous nous sommes fondés sur les normes établies pour le village afin d'élaborer notre charte promoteur », note Sébastien Zonghero. D'autres expérimentations méritent d'être encore validées. Sur l'adaptation des logements au climat de 2050, Sophie Weil, directrice de projets à Plaine Commune Développement, juge qu'« un bilan ne pourra être tiré qu'au terme de l'utilisation par les athlètes cet été pour permettre de retravailler en conséquence en vue de la phase héritage ». Paysagiste des secteurs aménagés par la Solidéo, Henri Bava, de l'agence TER, scrutera l'évolution de la végétation sur les technosols constitués à base de remblais du site : « Nous avions peur que cela produise des sols acides, et cette crainte a guidé en partie le choix de la palette végétale. Nous verrons comment elle prend. De toute façon, en paysage, il faut toujours attendre… »

Identité affirmée. Parlant de temps, « l'un des éléments clé, et extraordinaire, de ce projet est qu'il ait été réalisé très rapidement », remarque l'architecte Michel Guthmann, qui a succédé à Dominique Perrault à la maîtrise d'œuvre urbaine pour la Solidéo. Pourtant, il doute de la pertinence d'en tirer des conclusions pour d'autres aménagements : « Le risque de la vitesse est de négliger la qualité ou encore le débat public et la participation citoyenne. Quant aux procédures qui ralentissent les projets (études d'impact, dossier loi sur l'eau…), elles sont censées garantir l'intérêt général. » De l'avis de ses bâtisseurs, ce sprint n'a en tout cas pas nui au village des athlètes et à sa capacité à affirmer une identité. « Il ne présente pas une écriture architecturale et paysagère standardisée, comme cela avait pu être le cas à Londres et Rio », approuve Guillaume Hébert, de la société Une Fabrique de la Ville, associée à la maîtrise d'œuvre urbaine. Avec son aménagement, résolument tourné vers la Seine côté Solidéo, il n'a rien d'un quartier générique.

Finalement, le plus difficile à reproduire sur d'autres territoires pourrait être cette conjonction de moyens financiers (Icade Promotion annonce un coût de construction moyen de 3 000 €/ m²) et des énergies, du portage politique fort à l'efficacité de l'ingénierie de projet ou la coordination des concepteurs. Un alignement de planètes tel qu'il ne s'en produit que rarement. Du moins jusqu'à aujourd'hui.

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