Etablir une charte paysagère pour l’ensemble des espaces publics et des espaces verts d’une ville de la taille de Bordeaux peut sembler un pari ambitieux. Il s’agit de prendre en compte la totalité des espaces urbains plantés ou susceptibles d’être plantés, existants ou à créer (boulevards, squares, jardins publics, parkings, berges de Garonne…) et d’esquisser les principes généraux de leur transformation, de leur extension, de leur gestion, pour qu’une cohérence générale se dégage, pour que la ville se dote d’un paysage spécifique qui lui confère une identité propre.
Des principes qui seront mis en application ensuite par les services techniques de la ville, dans leur travail quotidien. « Nous nous sommes engagés dans ce processus en 2002, dit Elisabeth Vigné, adjointe aux espaces verts de la ville, avec dans un premier temps l’élaboration d’un ‘‘plan vert‘‘ qui était tout simplement le volet paysager de la transformation de la ville initiée par le maire Alain Juppé à partir du tramway. De l’analyse de l’existant, nous avons décidé la réhabilitation de certains lieux, comme le Parc bordelais, mais aussi l’augmentation globale des superficies en espaces verts de la ville, y compris au centre-ville, et donc la création de nouveaux parcs. »
Les objectifs définis, il fallait en préciser les moyens. En 2003, Michel Desvigne, paysagiste français dont la renommée a aujourd’hui largement dépassé les frontières hexagonales (1), est appelé pour rédiger une charte paysagère. « Une révolution culturelle », dit Elizabeth Vigné, « car les services techniques n’avaient pas l’habitude de travailler avec un paysagiste ». Et un travail de titan s’il avait fallu envisager a priori tous les cas, toutes les interventions possibles, dans tous les lieux possibles. Mais Michel Desvigne a tenu à proposer une démarche qui se veut à la fois plus modeste et plus pragmatique. « Nous voulons proposer une écriture, un langage commun à tous les espaces verts. Mais pour qu’il ne s’agisse pas de l’application abrupte de règles globales non vérifiées, nous avons travaillé sur des sites-échantillons qui peuvent faire figure de prototypes. »
La méthode adoptée a donc privilégié dans un premier temps le repérage des différents types d’espaces rencontrés dans la ville : les coteaux et les berges de la Garonne, l’ancienne zone de marais au nord de la ville, les cours et les boulevards plantés, les squares et jardins du centre ancien, les zones pavillonnaires périphériques.
« Espaces prototypes ». Dans un deuxième temps, la réflexion s’est concentrée, à partir de cette typologie, sur des études de cas précis, en collaboration avec les services de la ville et les élus, études de cas qui ont donné lieu à des prescriptions et à la réalisation de ces espaces prototypes, réalisés par les services de la ville, Michel Desvigne n’assurant plus à ce stade qu’une mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage. Le processus de projet, auquel sont associés de près services techniques et élus fait donc partie intégrante de la charte.
A l’heure actuelle, deux prototypes ont été réalisés : le réaménagement du square Vinet, petit d’espace libre au cœur du centre historique et la transformation d’une zone goudronnée située à l’entrée sud du parc floral. Deux autres sont en cours de chantier : le square Meunier, qui sera livré en 2006, et le parc de la rive droite, long processus d’acquisition et de plantation de parcelles en friche (voir encadré) qui pourra, à terme, s’étendre sur 90 hectares.
Ce parc est sans nul doute le projet le plus ambitieux issu du plan vert et de la charte paysagère. Avec, en vis-à-vis, la transformation lancée en 2001 des quais de la rive gauche (dont le concepteur est le paysagiste Michel Corajoud), il vise à composer, sur près de 6 kilomètres, le long de la Garonne, au centre de la ville, une toile de fond végétale à l’échelle de la géographie somptueuse du méandre décrit par le fleuve. Aujourd’hui occupés par des activités industrielles ou d’entreposage – appelées à plus ou moins court terme à se déplacer – ces 90 hectares seront plantés progressivement, au fur et à mesure de la libération des parcelles. Le processus de constitution du parc pourrait prendre ainsi de 20 à 30 ans. « Progressivement, les plantations se substitueront aux constructions et aux traces de l’activité industrielle, dit Michel Desvigne. Les parcelles plantées seront gérées dans le temps à l’image d’une exploitation forestière (dédensification progressive, sélection…). Ce parc aura ainsi l’aspect d’un paysage forestier miniature, avec l’activité permanente de sa mise en œuvre et de son entretien. » Michel Desvigne y voit une occasion rare d’introduire massivement la nature au cœur d’une grande ville, à l’image de ce qui a pu être fait au 19e siècle dans les villes américaines comme New-York, Boston ou Minneapolis par le paysagiste Olmsted.
Pour chaque type d’espace, les prescriptions et les modes d’intervention sont particuliers. Sur les boulevards, il s’agit essentiellement d’un travail sur la façon de planter les arbres (des frênes), sur leur mode de gestion, les types de taille… Sur la zone nord, il s’agit de retrouver l’ancienne trame bocagère installée au 17e siècle par des colons flamands qui s’étaient installées au milieu des marais. La transformation d’une vaste zone goudronnée au sud du parc floral, avec ses haies arbusives est faite dans cet esprit. Dans les lotissements périphériques comme celui de Caudéran, les études ont montré que les surfaces de voiries, surdimensionnées, pourraient recevoir des plantations d’arbres.
Travail in situ. Le problème de ce type de charte réside souvent dans son application sur une assez longue durée. D’où l’importance de la collaboration avec les services techniques Il ne s’agit pas d’imposer un projet global parachuté de l’extérieur. « Il y a tout un processus de travail à mettre en route, des langages, des attitudes, des procédures à mettre en commun, dit Michel Desvigne. C’est pourquoi, une fois par mois, nous nous livrons à un exercice collectif in situ. Pour chaque lieu, nous identifions strate par strate les problématiques : unités spatiales, limites, nivellement, sols, végétaux. »
Son appropriation par les élus est l’autre condition de sa pérennité : la charte paysagère, qui en est à la phase finale de son élaboration, devrait être validée par le conseil municipal avant la fin de l’année avant d’être éventuellement adoptée par la communauté urbaine. Quant au nouveau parc de 90 hectares envisagé sur la rive droite, face au centre-ville, il est déjà inscrit dans le nouveau plan local d’urbanisme (PLU) dela ville.
