Sur le papier, la démarche impressionne par son ampleur : le promoteur Apsys prévoit de réemployer un tiers des pierres de taille issues de la déconstruction nécessaire à son opération Canopia à Bordeaux (Gironde). Depuis novembre 2023, des bâtiments divers disparaissent au profit de percées sur un périmètre de trois rues entre la gare Saint-Jean et la Garonne. Un chantier piloté par les architectes de la Maison Edouard François qui, plus d'un an après le démarrage des travaux, continuent d'affiner le projet.
Pour la dépose et le stockage des pierres, c'est TMH, entreprise girondine de restauration de monuments historiques et de patrimoine ancien, qui est à la manœuvre jusqu'à la mi-mars. « Nous n'avions jamais déposé de façades brutes, mais nous utilisons les mêmes techniques que pour les fontaines ou des porches, en mêlant moyens humains et techniques », explique Louis Batsalle, conducteur de travaux chez TMH. Cette tâche va désormais trois fois plus vite qu'au démarrage. A terme, 1 000 m2
auront été récupérées. Echaudée par de mauvaises surprises - certaines pierres n'étaient en fait que d'épais placages - l'entreprise a sondé toutes les façades. « Cela nous a permis de nous rendre compte qu'une d'entre elles ne pourra pas être exploitée », précise Louis Batsalle.
Double mur et banc d'essai. Avec un investissement total de 450 M€, l'ambition de réemploi du promoteur lui coûte cher. En effet, les nouvelles façades combineront pierres réemployées avec un double mur, ce qui induit une déperdition d'espace et de matière ainsi qu'un dispositif d'accroche spécifique compte tenu des normes parasismiques. Normes auxquelles sont soumis les bâtiments de 3e et 4e catégories, ce qui pourrait obliger le maître d'ouvrage à tester les façades sur banc d'essai.
Pour les autres matériaux, la méthodologie est moins cadrée. En effet, deux difficultés se posent. « Les entreprises ne sont intéressées que par des matériaux haut de gamme et récents pour bénéficier d'une garantie. L'autre problème est lié à la temporalité : les projets n'interviendront pas avant neuf mois/ un an, ce qui nécessite de stocker », illustre Olivier Blondiaux, maître d'ouvrage délégué, à la manœuvre. Son réseau et sa persévérance donnent tout de même lieu à de belles synergies : la charpente d'un bâtiment quai de Paludate a été récupérée pour la construction d'une halle par Bordeaux Métropole. « Des poutres de 6,50 m en chêne, entre 700 et 800 kg. Aujourd'hui, ça n'existe plus : au-delà de 6 m, il s'agit de lamellé-collé », souligne Olivier Blondiaux. Des tuiles ont également trouvé preneurs, tandis que le moellon - inutilisable sur site - sera revalorisé sur le chantier médiéval de Guyenne, en Gironde.
Guide méthodologique. Ecominéro, acteur du réemploi, suit aussi ce chantier de près et l'accompagne à hauteur de 35 000 euros, dans le cadre d'un appel à projets. « Nous voulons réaliser un guide méthodologique, voir quels sont les outils, les cadences, les pertes, les méthodes de travail… » détaille Elodie Combileau, cheffe de projet. L'état des pierres à l'issue de deux ans de stockage reste aussi un objet de curiosité pour l'éco-organisme.