Bas-Rhin : la cohabitation entre aménagement et environnement passée au crible

Sur le sujet controversé des compensations environnementales aux projets de construction et d’aménagement, l’agence d’urbanisme Adeus s’est attachée à quantifier les données à l’échelle du Bas-Rhin. Même dans un scénario « minimaliste », les impacts sont majeurs.

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La construction, de 2018 à 2021, du contournement ouest de Strasbourg par Vinci a appliqué un rapport élevé de 4,5 hectares de compensations pour un hectare artificialisé, qui forme l’une des bases d’analyse de l’étude de l’agence d’urbanisme Adeus.

C’est une question sensible, presque taboue, qu’a investi l’Adeus, l’agence d’urbanisme de la région de Strasbourg (Bas-Rhin) : que se passerait-il pour les milieux naturels si l’ensemble des projets planifiés d’aménagement se réalisaient ? Le territoire, en l’occurrence celui du Bas-Rhin, qui a formé le périmètre de l’étude récente, serait-il en capacité d’absorber toutes les mesures compensatoires telles que prévues par la législation ?

L’interrogation est d’autant plus aiguë dans ce territoire, théâtre de longue date de conflits entre artificialisation et non-artificialisation, du fait de sa double caractéristique d’urbanisation dense et de richesse en milieux naturels remarquables. Le sous-titre de l’étude questionne d’ailleurs où se situe le « trop » : du côté des projets ou des sensibilités environnementales ?

Dès lors, l’Adeus s’est livrée à un double exercice de quantification : celui des superficies que totaliseraient les projets inscrits aujourd’hui dans les documents d’urbanisme et celui des surfaces impactées par les mesures compensatoires. « Pour celles-ci, nous avons pris en référence la loi « biodiversité » d’août 2016 qui pose le principe de l’absence de partie nette de biodiversité, donc avant même l’impact de la loi Climat et résilience de l’an dernier qui fixe la trajectoire du ZAN (Zéro artificialisation nette) à l’horizon 2050. Sur cette base juridique, nous avons pris en considération deux grandes familles : d’une part les compensations forestières par plantations sur des territoires agricoles et acquisitions foncières pour la création d’îlots de sénescence* ; d’autre part les compensations des zones humides et des prairies, uniquement sur des territoires agricoles (restauration écologique, retard de fauches de prairie, etc.) », expose Brice van Haaren, responsable de la thématique environnement à l’Adeus et pilote de la rédaction de l’étude.

Trois scénarios, du pro-aménageur au pro-environnemental

Les surfaces qui pourraient être nouvellement artificialisées sur des zones naturelles s’élèvent à 1300 hectares. Le chiffre part des 6000 hectares de zones AU (à urbaniser) inscrites dans les PLU bas-rhinois, desquels sont déduits les terres agricoles et autres fonctions du territoire (4200 ha). Déduction supplémentaire, 500 autres hectares sont retirés du calcul car identifiés comme non urbanisables en l’état actuel de l’ample réglementation existante passée à la moulinette de l’étude. Ils sont situés dans des zones que l’étude classe « à sensibilité environnementale très forte » soumises à des restrictions d’urbanisation majeures comme un PPRI hors secteur déjà urbanisé.

A son total finalement retenu de 1300 hectares, l’Adeus a appliqué trois coefficients pour les surfaces de mesures compensatoires : 1 pour 1 ; 4,5 (pour les milieux humides, chiffre ramené à 2 pour les prairies et forêts) et 10. « Ils correspondent à trois scénarios : respectivement celui qu’un aménageur pourra considérer comme "optimisé", selon le principe "autant d’hectares compensés que d’impactés" ; puis un scénario « équilibré » mais situé déjà à un haut niveau de coefficient qui se réfère à celui retenu pour le contournement ouest de Strasbourg ; un scénario "maximal" tel que les associations environnementales verraient comme idéal », poursuit Brice van Haaren.

Une réponse en forme de « oui, mais »

En croisant les données, la réponse de l’étude à la question clé initiale de la capacité d’absorption des projets est identique : « Oui, mais ». Avec une ampleur du « mais », bien sûr, variable.

Dans le scénario maximal, les surfaces agricoles impactées, soit environ 13 500 hectares, représentent 10 % de toutes les terres arables du département, soit donc un effet considérable sur l’activité agricole. Le scénario « 1 pour 1 » est lui aussi loin d’être neutre : « Il impacte 2,6 % des terres agricoles, souvent parmi les plus fertiles du département », souligne l’étude.

« Les compensations forestières posent également question : les superficies à acquérir sont-elles potentiellement en vente ? Si oui, le morcellement des exploitations privées rend-il ces acquisitions faisables ? Les îlots de sénescence ne rentreraient-ils pas en compétition avec le développement de la filière bois ? », interroge l’étude.

Dès lors, c’est presque vers un « non » de fait que s’orientent les conclusions. Du moins, elles soulignent les efforts encore très importants à accomplir dans les documents d’urbanisme pour réduire les zones à urbaniser à un niveau qui serait compatible avec la préservation de la nature et de l’agriculture locales. Au regard de l’impact sur les milieux naturels, elles légitiment les objectifs du ZAN de la loi Climat et résilience et ceux de sobriété foncière drastique inscrits dans le schéma d’aménagement de la région Grand Est (Sraddet). Mais sans nier l’immense défi qui est posé aux collectivités locales pour y parvenir.

* « Petit peuplement laissé en évolution libre sans intervention culturale et conservé jusqu’à son terme physique, c’est-à-dire jusqu’à l’effondrement des arbres » (définition de l’Office national des forêts).

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