"Avec l'hyperloop, nous pouvons changer le futur de l'humanité"

Bibop Gresta, président d'Hyperloop TT. Concurrence, débat sur le coût, avancée des tests et projets... Le cofondateur d'Hyperloop Transportation Technologies, maîtrise ses mots, sans les mâcher.

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Bibop Gresta, Hyperloop TT
BIBOP GRESTA, président et cofondateur d'Hyperloop TT

Hyperloop TT, TransPod, Hyperloop One La course aux transports du futur bat son plein. Qu'est-ce qui vous différencie de la concurrence ?

Tout d'abord, et peu de gens le savent, nous possédons la marque Hyperloop. Nous sommes aussi les « pionniers technologiques », reconnus comme tels par le Forum mondial de Davos, car nous sommes la seule compagnie à posséder un système hyperloop complet à taille réelle, en cours de test, à Toulouse.

Par ailleurs, notre conception, notre technologie, notre exécution sont différentes : nous utilisons la lévitation magnétique, dite passive. Je n'ignore pas la concurrence, mais nos démarches ne sont pas similaires. Nous avons lancé un mouvement incroyable et je salue les efforts de nos compétiteurs sérieux pour faire naître cette technologie. Mais sans les critiquer, ils devraient se concentrer davantage sur l'aspect scientifique, car lorsqu'ils voudront passer à la taille réelle, ils devront refaire tous leurs calculs. Si vous faites un hyperloop miniature, vous ne montrez rien.

Comment fonctionne votre technologie ?

Jusqu’à présent, pour faire léviter un objet, on utilise des aimants activés par l’électricité. C’est de la lévitation dite active. Petit problème : si vous n’avez plus d’électricité, cela ne fonctionne pas. Surtout à grande vitesse. Deuxième souci : la quantité d’énergie dont vous avez besoin pour faire fonctionner ce système est ahurissante. L’hyperloop, c’est une capsule montée sur des roues rétractables et une piste. Cette voie en aluminium est composée d’aimants, eux-mêmes activés d’un seul côté par le mouvement de la capsule, permettant la lévitation de l’appareil et lui assurant une stabilité qui augmente en même temps que la vitesse !

Cette technologie est utilisée depuis des années par l’armée pour assurer la stabilité d’un projectile dans un canon. Et nous avons obtenu la déclassification de cette technologie pour une application civile, en avons acquis l’exclusivité et l’appliquons à l’hyperloop. Sans avoir besoin d’électricité puisque le mouvement crée le champ magnétique et donc la lévitation.

"Nous collaborons avec 900 scientifiques dans 42 pays"

Votre modèle est particulier, avec finalement peu de salariés au sein de votre société, mais beaucoup de collaborations. Combien de personnes travaillent sur vos projets ?

Nous employons moins de 60 personnes mais collaborons avec 900 scientifiques dans 42 pays qui travaillent sur le projet, souvent à distance. Ces collaborateurs extérieurs s’engagent à contractuellement à consacrer au moins dix heures par semaine à Hyperloop TT, et sont rémunérés en stock options, tout en conservant un autre emploi, NDLR]. A Toulouse, où nous procédons aux premiers tests, notre équipe lévitation compte 11 ingénieurs, qui ont déjà élaboré plus de 150 publications. La quantité de « science » mise dans ce projet est sans précédent : 70 000 heures d’ingénierie qualifiée pour l’hyperloop, et plus de 20 000 pour la seule capsule. Nous avons dépassé les 50M de dollars d’investissement et les 140M de dollars d’équipement.

Vous avez installé un centre de recherche très protégé et assemblé une première piste d'essai à Toulouse. Avez-vous commencé vos tests ?

Nous protégeons beaucoup le site de Toulouse à la fois pour des questions de sécurité, mais aussi parce que l'ouvrir au public mobiliserait nos scientifiques alors que leur temps est précieux. Je parcours déjà le monde pour raconter le projet et faire un peu le « clown de service ». Ce n'est donc pas la peine de les faire intervenir en plus. Les gens sont trop pressés de constater les progrès, mais nous allons bientôt être de moins en moins dans le discours, et de plus en plus dans les démonstrations concrètes.

Sachez que ce qu'il se passe à Toulouse, c'est magique ! Nous avons scellé le premier tube d'un diamètre de quatre mètres et, il y a quelques semaines, nous avons fait circuler le premier hyperloop de l'histoire. Mais ce n'est pas le produit final. Le vrai test sera réalisé lorsque nous aurons fini d'assembler la capsule, que nous l'aurons mise dans le tube pour la faire avancer à la vitesse que nous souhaitons. Nous aurons le design final à la fin de l'année. Puis nous déposerons le permis de construire et débuterons la réalisation de la seconde piste. Pour le moment, en phase initiale, nous n'avons pas besoin de la vitesse. Nous cherchons à garantir la sécurité et l'efficacité, parce que c'est là que nous pouvons changer le futur de l'humanité. La vitesse viendra de façon incrémentale.

Pour reprendre votre expression, comment un mode de transport pourrait-il changer le futur de l'humanité ?

Il est démontré que l'hyperloop n'est pas seulement fait pour de longues distances. Il peut aussi fonctionner en interurbain, comme un réseau de métro. En effet, il est possible d'imaginer trois tubes, l'un pour l'hypervitesse qui dessert quatre arrêts, l'autre pour de la grande vitesse avec huit stations, et un dernier qui marquerait tous les arrêts à la vitesse d'un métro ou d'un RER. Avec une capsule capable de passer de tube en tube, et de changer de vitesse, gérée par l'intelligence artificielle selon les besoins.

Ce système fonctionnerait aussi pour le fret : par exemple, dans le corridor 90 aux Etats-Unis [entre Seattle et Boston, NDLR], zone qui est la plus dense et la plus rentable du pays. Ou encore en Europe, où il n'y a pratiquement pas de place et où il est nécessaire d'adapter la technologie aux couloirs existants.

"Le tube pourra être placé au-dessus du sol ou sous terre"

Quel type d'infrastructure imaginez-vous et avec qui ?

Des discussions sont en cours avec des constructeurs. Le tube pourra être placé au-dessus du sol ou sous terre. Nous pensons que 80 % des pistes seront hors sol, sur des pylônes, mais nous essayons aussi de construire des tubes que nous pourrons poser sur des infrastructures existantes : rails, autoroutes… Car il faut être réaliste : ce système dans ses dix ou quinze premières années sera opérationnel sur des éléments déjà en place. Et à cause de cela, la capsule devra accélérer, ralentir en permanence. Dans tous les cas, nous ne voyagerons pas à la vitesse du son sur toute la longueur du parcours, comme j'ai pu le lire. Je rappelle que l'impact de la force gravitationnelle n'est pas lié à la vitesse, mais à l'accélération. Si vous accélérez progressivement, vous ne sentirez rien, pas même la vitesse.

En quoi consiste votre projet le plus avancé, à Abu Dhabi ?

Tout d'abord, cela n'a rien à voir avec une ligne de 140 km reliant Abu Dhabi à Dubaï qui traverserait une zone sans relief, sous laquelle ne circule aucun pipeline, comme cela a pu être écrit. Dans ce cas, construire un hyperloop coûterait 20 % moins cher et on multiplierait par 10 le nombre de passagers transportés. La ligne en projet, qui doit relier la capitale à Al Ain, situé à 145 km, est dans une région montagneuse.

L'étude de faisabilité nous a pris un an. Une équipe d'ingénieurs a effectué une analyse multicritères prenant en compte différents paramètres. Il y a par exemple eu une étude de deux mois pour prouver que l'hyperloop améliore réellement la qualité de vie. Toute une série d'éléments ont été analysés [trajectoires, fréquentation, arrêts, prix, pollution, impact environnemental… NDLR]. Avec des niveaux de notation 1, 2 ou 3 pour chacun d'entre eux. Seuls ceux qui ont obtenu le niveau 3 ont été validés.

Difficulté supplémentaire : les études ne sont pas réalisées sur l'Abu Dhabi d'aujourd'hui mais sur celui de 2030 ! Donc il faut mesurer l'impact de deux lignes hyperloop avec un nouvel aéroport et tout doit être modélisé sous le logiciel Steam, la méthode la plus avancée pour calculer les flux de déplacements de population au sein des villes. Mais nous avons dû reprogrammer Steam, qui n'est pas conçu pour modéliser un hyperloop !

"Notre hyperloop circulera pour la première fois à l'Exposition universelle de 2020"

Y aura-t-il un hyperloop en démonstration à l'Exposition universelle de 2020, à Dubaï, comme souvent évoqué ?

Nous avions prévu de présenter, en 2020, un centre visiteur et un autre de R&D. Mais, à Toulouse, nous progressons bien plus vite que nous ne le pensions. Si bien que nous espérons y présenter une section de piste - peut-être de 2 ou 3 km. Notre hyperloop circulera donc pour la première fois à l'exposition de 2020. Sans passager, cependant, car je ne pense pas que nous aurons les certifications nécessaires. Nous avions annoncé la création de la première ligne pour 2023, et nous aurons déjà un hyperloop en action dès 2020. Nous ne faisons pas preuve de trop d'optimisme, nous respecterons les délais annoncés.

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Des chantiers sont-ils dans les tuyaux ailleurs ?

Nous sommes la seule entreprise à avoir un projet et une étude de faisabilité en cours aux Etats-Unis, dans l'Ohio. Nous comptons la Nasa parmi les 25 plus gros actionnaires du projet. L'étude de faisabilité se prolonge car un deuxième Etat, dont je ne peux pas vous révéler le nom, s'y est greffé.

"Nous restons bien moins chers qu'une LGV"

A vous entendre, tout semble presque facile. Ne rencontrez-vous aucun obstacle sur votre chemin ?

Il y a encore beaucoup d’inconnues, comme des normes réglementaires à définir. La technologie n’est pas le principal défi, c’est même, dans un certain sens, le plus simple. Nous entrons désormais dans le concret. Nous avons approché 12 pays dans le monde, chacun avec ses propres réglementations, sa situation politique, ses problématiques…

Nous visons des certifications et sommes la seule entreprise avec un tel projet à avoir travaillé avec une société de niveau mondial dans le domaine, TÜV SÜV, et la compagnie d’assurance Munich Re. Nous les avons embarquées avec nous pour voir si notre projet était assurable et certifiable, pour circuler non pas dans dix ans, mais dans quelques années seulement [les trois entreprises ont d’ores et déjà déposé leurs propositions de réglementation à l’Union européenne, NDLR].

Bibop Gresta, Hyperloop TT
Bibop Gresta, Hyperloop TT Bibop Gresta, Hyperloop TT (JULIEN FALSIMAGNE)

Le coût et le retour sur investissement ne sont-ils pas des freins ?

A ceux qui disent que l'hyperloop n'est pas faisable parce qu'il serait trop cher, je leur réponds « Je vous emmerde ». Nos calculs montrent qu'il est non seulement moins cher qu'une ligne à grande vitesse (LGV), mais en plus nous misons sur un retour sur investissement de quinze à vingt ans. Le prix n'est donc pas un problème. Parler d'un coût au km n'a aucun sens puisque les situations ne sont nulle part les mêmes. Cela peut aller du simple au double.

Nous restons cependant bien moins chers qu'une LGV, dont la construction ne représente que 20 % des coûts totaux. En considérant qu'il faut changer les rails et entretenir la voie tous les vingt ans, en un siècle, vous avez reconstruit votre ligne deux fois ! Vous ne récupérez jamais votre investissement, et l'infrastructure ne vous rapporte rien. Sans compter l'organisation que cela implique et l'électricité à injecter dans le système.

Cette équation économique n’entraîne-t-elle pas un prix du billet plus élevé ?

Pas du tout puisqu’à Abu Dhabi, pour une ligne à 4 stations, le prix du ticket a été fixé à 70 dirhams (17 €). Il a été calculé que 80 000 personnes emprunteraient chaque jour la ligne. Dans les études qui ont été présentées au Cheik, les revenus tirés de l’énergie produite par les panneaux solaires que nous installerons le long de la ligne n’ont pas été comptabilisés. Les chiffres du retour sur investissement étaient déjà trop bons ! En fait avec cette énergie, vous subventionnez le ticket. J’espère que votre scepticisme est apaisé. Et je vous le dis : même si je suis tué, l’hyperloop verra le jour. Non pas dans des décennies mais dans quelques années.

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