Le Grand Paris Express (GPE) et ses 200 km de voies, quelques gares TGV, mais aussi les 24 projets de services express régionaux métropolitains (Serm) déjà labellisés : les développements du transport ferré, en cours ou à venir, sont autant de promesses de desserte améliorée, de voyages décarbonés… et de déploiements urbains. « Depuis toujours les villes se sont construites autour des possibilités de déplacement des individus », confirme Hiba Debouk, directrice déléguée en charge des territoires chez Arep, l'agence de conception, d'ingénierie et de conseil, filiale de SNCF Gares & Connexions.
L'ingénieure en génie urbain en est convaincue : les futurs Serm entraîneront dans leur sillage des réaménagements de quartiers de gare : « Dans des villes petites et moyennes, les élus y voient une opportunité de revitalisation. Alors qu'à ce stade, 900 des quelque 3 000 gares ou haltes appartenant à SNCF Gares & Connexions sont potentiellement concernées, il faut profiter de ce moment où tous les acteurs impliqués dans l'organisation des Serm sont mobilisés pour travailler aussi à la définition des projets urbains et de leur programmation. »
« La gare ne doit pas tout dicter. »
Que de questions surgissent alors. A commencer par : qu'est-ce qu'un quartier de gare ? Uniquement un lieu de passage, centré sur la mobilité ? Que doit-il offrir ? De l'activité liée au tourisme, qu'il soit de loisirs ou d'affaires ? Ou toutes les aménités qui font une ville ? L'architecte et urbaniste Pierre-Alain Trévelo répond sans hésiter que « la gare ne doit pas tout dicter. Avant d'être des quartiers de gare, ce sont des quartiers, avec leur structure urbaine, leurs espaces publics. » Alors que l'agence TVK, qu'il a cofondée, assure la maîtrise d'œuvre urbaine de deux secteurs qui seront desservis par la ligne 15 du GPE, autour de l'institut Gustave-Roussy à Villejuif et à Val-de-Fontenay (Val-de-Marne), il précise que « la programmation vient ensuite. Et je préfère parler de vocation du quartier et de sa capacité à rendre des services au territoire. » En matière de services rendus, l'Etat avait formulé ses attentes pour le métro du Grand Paris et les aménagements alentour dans la loi de 2010. Les polarités en devenir doivent contribuer « à prévenir l'étalement urbain », afin que des temps trajets réduits n'incitent pas les Franciliens à partir habiter toujours plus loin. C'est l'une des raisons pour laquelle le GPE doit participer à rééquilibrer l'offre d'habitat et d'emploi sur le territoire métropolitain, donc il est entendu que les programmations doivent favoriser la mixité fonctionnelle.
Cette diversité, en réalité souhaitée dans tous les projets d'aménagement depuis que l'urbanisme de zoning a été banni, incarne donc aussi le graal pour les quartiers de gare. Quelle que soit l'ampleur ou la localisation de l'infrastructure, les collectivités sont souvent séduites par la perspective d'une attractivité renouvelée, capable d'attirer des habitants ou, mieux, des entreprises. Et cela vaut même pour des dessertes d'envergure nationale. A l'ouest de Nice (Alpes-Maritimes), la gare TGV qui sera construite en lien avec l'aéroport verra le jour au sein des 49 ha en mutation du secteur du Grand Arénas. A la faveur du départ, prévu à terme, du marché d'intérêt national, un centre d'expositions et de congrès sera créé. Surtout, le projet urbain, tel qu'il a été élaboré par l'agence Leclercq Associés, est « fondé sur une logique de mixité logements/activités, et ce dans l'optique de rapprocher les gens de leur lieu de travail », explique Damien Teichner, le directeur général adjoint de l'établissement public aménageur, Nice Ecovallée.
Suivie de près par l'Observatoire des quartiers de gare du Grand Paris Express, constitué notamment de l'Atelier parisien d'urbanisme (Apur), l'Insee, la Société des Grands projets et des services de l'Etat, la dynamique suscitée par le chantier de métro francilien commence à être mesurable. L'étude de périmètres identiques, d'un rayon de 800 m autour des pôles de transport, montre que, « entre 2010 et 2021, près de 17 millions de m² de surfaces de plancher ont été autorisées à la construction dans les 68 quartiers de gare, dont 45 % dédiées à l'habitat et 55 % à l'activité », selon une note de décembre 2024. A l'Apur, Alexandre Labasse, le directeur général, et Stéphanie Jankel, directrice d'études, constatent donc « un impact positif sur la mixité de ces quartiers. Toutefois, selon la dominante fonctionnelle de départ, le rééquilibrage est plus ou moins aisé. Ainsi, les quartiers d'activité économique, où l'habitat était peu présent, progressent plus facilement vers une mixité grâce à une nouvelle offre de logement. Le chemin inverse, depuis les zones majoritairement résidentielles, est plus difficile. » La garantie d'être, à l'avenir, bien desservis, n'a pas permis aux secteurs de projets d'être épargnés par la crise du tertiaire. Ainsi, à Nanterre (Hauts-de-Seine), la transformation des 65 ha de friches ferroviaires des Groues avait été pensée pour satisfaire « la volonté légitime de la municipalité d'en faire son onzième quartier, remarque Pierre-Yves Guice, le directeur général de l'établissement Paris-La Défense, aménageur du secteur. Elle devait se traduire par la construction de 288 000 m² de logements et de 210 500 m² de bureaux. Mais cette ambition date d'avant le Covid et ce n'est pas du tout ce qui est en train de se passer. Le siège de Vinci a été livré en 2021, et depuis, plus rien côté tertiaire. » Que la nouvelle gare, Nanterre-La Folie, soit en fonction depuis 2024 avec l'arrivée du RER E, et en attendant la ligne 15 ouest du GPE à l'horizon 2030, n'a a priori rien changé.
« Avant d'être des quartiers de gare, ce sont des quartiers, avec leur structure urbaine, leurs espaces publics. » Pierre-Alain Trévelo, cofondateur de l'agence TVK.
Maintenir l'équilibre financier
L'agence HDZ, devenue maître d'œuvre urbain des Groues après la crise sanitaire, a donc notamment pour mission de repenser le mix programmatique.
« L'étude en cours doit permettre de trouver des solutions alternatives aux bureaux. L'objectif est d'aboutir à un scénario préférentiel cet été », indique son fondateur, Baptiste Hernandez. Sachant qu'il faudra maintenir l'équilibre financier de la ZAC et que l'option 100 % logements n'est pas souhaitable. Dans cette zone isolée par de grandes infrastructures de transport, le risque paraît trop grand de produire une cité-dortoir.
En Haute-Savoie, être la cité-dortoir de Genève (Suisse) était aussi la hantise de l'agglomération d'Annemasse, surtout avec la mise en service de la liaison ferroviaire directe du Léman Express en 2019. La programmation du quartier de l'Etoile, qui se développe le long des voies, avait donc été établie avec beaucoup de volontarisme. Elle prévoyait ainsi 60 % d'habitat et 40 % d'activités comprenant des surfaces dédiées à des établissements de formation et du tertiaire.
« Si le marché du logement est plutôt dynamique, celui de l'activité n'existe pas, du moins pas selon les modalités d'abord envisagées. Le plan-guide a donc été modifié », relate Benoît Billy, architecte-urbaniste chez Devillers & associés, qui pilote le projet.
Denis Maire, vice-président de l'agglomération chargé de l'aménagement, le reconnaît : « Nous avions tablé sur un certain nombre d'idées qui étaient peut-être de fausses pistes, comme celle d'accueillir des émanations de grandes entreprises basées à Genève. » Seuls deux projets tertiaires sont maintenus, mais la dimension formation demeure. Bastien Chambéry, le directeur pour le Grand Genève d'UrbanEra, la société d'aménagement de Bouygues Immobilier, insiste aussi sur les ambitions qualitatives inchangées. Mais il reconnaît que « le dosage en matière de mixité est un exercice très fin. Cela incite à l'humilité. »
« Le dosage en matière de mixité est un exercice très fin. Cela incite à l'humilité. » Bastien Chambéry, directeur pour le Grand Genève d'UrbanEra
Programmation susceptible d'évoluer
Paradoxalement, cette faiblesse du marché tertiaire sera peut-être la chance du quartier Cambacérès en cours de réalisation aux abords de la gare de Montpellier Sud-de-France (Hérault), ouverte en 2018. Si l'agence Xaveer de Geyter Architects (XDGA) avait d'emblée conçu le projet avec toute la palette des fonctions urbaines, « lors d'un changement de municipalité, les élus ont jugé que ce territoire entre deux autoroutes était trop pollué pour accueillir des habitants. Le projet est alors devenu monofonctionnel, raconte Antoine Chaudemanche, directeur de projets chez XDGA. Mais aujourd'hui, il apparaît que le tissu économique n'a pas la capacité d'absorber autant de tertiaire. » Alors que la programmation serait susceptible là aussi d'évoluer, l'architecte-urbaniste reste persuadé qu'une offre d'habitat reste possible : « Peut-être pas du logement familial, dit-il. Mais pour des étudiants ou de l'hébergement pour les usagers de la halle French-Tech voisine. »
« Renforcer l'articulation urbanisme-transports », Béatrice Vessiller, vice-présidente de la métropole de Lyon chargée de l'urbanisme
« Le Scot 2040 de l'agglomération lyonnaise prévoit d'intensifier les projets urbains le long des axes de mobilité structurants et de renforcer l'articulation urbanisme-transports.
Une trentaine de polarités urbaines doivent accueillir une part significative du développement résidentiel et économique grâce à la croissance d'offres de transports. Nous avons déjà mis en œuvre ce principe autour de gares, comme à Oullins-La Saulaie qui accueillera à terme près de 1 000 logements.
Nous avons aussi modifié notre PLU-H afin d'intensifier le développement urbain autour de certaines gares ou lignes fortes, telles que Collonges-au-Mont-d'Or, dans le Val de Saône. Par ailleurs, nous conduisons des réflexions autour de la future ligne de tram Teol dans l'Ouest lyonnais, ainsi qu'autour de la gare de Saint-Priest. Son emplacement sur l'axe Saint-Fons -Grenay qui doit passer à quatre voies à l'horizon 2035 est intéressant. Nous discutons avec l'armée pour y acquérir la caserne Chabal sur laquelle nous envisageons de créer une zone d'activités économiques. Juste en face, sur un terrain métropolitain, nous conduisons une opération de remembrement avec un promoteur et un bailleur pour développer 70 logements. »
Territoires : Sète-Frontignan : deux trajectoires, un même élan
Dans le bassin de Thau (Hérault), le train ne fait pas que passer : il redessine la ville, dans le sillage du futur service express régional métropolitain (Serm) de Montpellier, qui renforcera la ligne littorale d'ici 2034. Sète et Frontignan deviennent ainsi le théâtre de projets pensés à l'échelle du territoire mais connectés à la dynamique montpelliéraine. « Nous avons une chance unique : 25 ha à requalifier aux abords de ces gares sur des friches industrielles que nous maîtrisons depuis des années, notamment via un protocole avec la SNCF, pose Pierre Gallizia, directeur de l'aménagement et de l'urbanisme à Sète Agglopôle Méditerranée.
Ces sites, proches du centre-ville et au bord de l'eau, s'inscrivent dans nos filières stratégiques, dont l'économie bleue. Notre ambition est de concevoir des projets bien intégrés, répondant aux besoins locaux en emplois et en logements, tout en renaturant des espaces dégradés. »
Vers des quartiers mixtes
Distantes de 8 km, les deux villes avancent en complémentarité. A Sète, il s'agit de tourner la gare vers le nord pour la relier au parc aquatechnique, à une ligne de bus en site propre qui sera mise en service début 2026 et à des navettes maritimes supplémentaires. Une nouvelle façade urbaine émerge sur des délaissés qui préfigurent de véritables quartiers mixtes : au nord, des activités productives et tertiaires à forte valeur ajoutée ; au sud, 4 000 logements prévus pour des familles et actifs dans les ZAC de l'Entrée Est. L'intermodalité est déjà en marche avec la création d'une route longeant le canal de la Peyrade et d'un couloir de bus sur la RD 2, la livraison en décembre dernier de la passerelle ferroviaire et, cet été, du pôle d'échanges multimodal (PEM) nord… A Frontignan, la gare du centre-ville, à l'étroit, s'installera d'ici 2028 sur l'ancien site ExxonMobil. Ce foncier de 10 ha en cours de dépollution verra naître un PEM et un nouveau quartier, reliés par une passerelle. Il pourrait accueillir de petites entreprises nécessitant un accès à l'eau, voire quelques logements.
« La participation de la société d'aménagement de la région montpelliéraine aux études opérationnelles reflète une coordination étroite avec la métropole, en saturation foncière », souligne Pierre Gallizia. D'autres secteurs, comme les Hierles à Frontignan (30 ha), sont aussi analysés pour étoffer l'offre résidentielle, toujours destinée aux actifs.
Charge aux urbanistes d'articuler ces projets autour d'une vision commune portée par un projet partenarial d'aménagement (PPA) visant à anticiper les effets du changement climatique. « L'agglo pilote des ateliers croisant les expertises, et les cahiers des charges prévoient des temps d'échanges pour éviter le travail en silo », poursuit Pierre Gallizia. Une concertation est également engagée autour du recul du trait de côte. « Cette méthode renforce la cohérence entre les projets et élève le niveau d'ingénierie territoriale », estime-t-il. Une intelligence collective pour bâtir des quartiers de gare adaptés aux défis de demain.