Le 29 février, vous avez remis les clés du village des athlètes à Tony Estanguet, président du Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques. Quelques jours après, quel est votre état d'esprit ?
Nous sommes très fiers de la mission accomplie. Nous avons livré les ouvrages olympiques dans les délais, les budgets et au niveau d'ambition que nous nous étions fixés en 2018. Pour qualifier le travail effectué par la Solidéo, je reprendrais volontiers l'image du chef-d'œuvre au sens des Compagnons du tour de France, et ce n'est pas de l'orgueil de ma part. Le chef-d'œuvre, c'est à la fois l'objet lui-même, qui a été modelé par toutes les rencontres, les regards croisés, les critiques suscitées, et, en même temps, les savoir-faire qui ont été développés lors de sa fabrication.
Mais si le chef-d'œuvre représente ce que vous avez réalisé de mieux, il ne signe pas non plus la fin de votre carrière.
Quelle méthode avez-vous mise en œuvre pour atteindre ce résultat ?
Nous avons d'abord expliqué qu'il fallait profiter des Jeux olympiques pour produire un manifeste du développement urbain en ce début de XXIe siècle, autrement dit se saisir de cette occasion pour montrer au monde comment poursuivre l'aménagement de la ville européenne dense dans les décennies à venir. Ce parti pris nous a permis d'embarquer un écosytème que nous avons voulu le plus large possible : du CIO aux riverains des futurs équipements, en passant par les collectivités locales, les associations… Le dispositif a été très lourd à piloter mais les relations que nous avons réussi à tisser dans ce cadre-là nous ont aidés à surmonter les crises, la plus grave étant la guerre en Ukraine. Parallèlement, 32 maîtres d'ouvrage sont intervenus et non un seul comme pour les JO de Londres. Là aussi, nous avons dû inventer un système pour gérer cette complexité, moyennant quoi il a été possible de mobiliser les compétences des uns et des autres.
Toute la démarche n'aurait-elle consisté qu'à complexifier les problèmes ?
En quelque sorte, oui ! Nous avons ainsi mis en place un management de projets par les risques, qui a notamment consisté à définir un plan B pour chaque ouvrage et, si le projet ne se déroulait pas comme prévu, à ne pas rentrer immédiatement dans une logique de recherche de responsabilité. L'obligation de livrer à une date précise change complètement l'état d'esprit. Enfin, nous avons fait preuve de beaucoup de pédagogie et de transparence.
En 2018, lors de la conception du village des athlètes, vous comptiez un temps d'avance en termes d'excellence environnementale. Est-ce toujours le cas aujourd'hui ?
Notre objectif n'était pas d'avoir un coup d'avance mais bien de défricher un certain nombre de sujets pour entraîner toute la profession derrière nous. Il est possible de trouver ailleurs les innovations mises en œuvre dans le village des athlètes. Ce qui nous différencie vraiment, c'est le côté systémique : avoir livré 300 000 m2 en cinq ans, avec une empreinte carbone réduite de 47 % et des bâtiments qui seront confortables dans le climat de 2050. Par ailleurs, nous avons réalisé ce quartier sans subventions publiques, dans le modèle économique de la promotion immobilière de la première couronne parisienne, et quasiment sans dérogations au droit de l'urbanisme.
Quels enseignements les acteurs comme les maires et les aménageurs peuvent-ils tirer de la construction du village des athlètes ?
Livrer ce quartier en une seule fois nous a permis de déployer un réseau de géothermie peu profonde chaud-froid car son exploitation au regard des nombreux bâtiments raccordés sera équilibrée dès le départ, ce qui n'est pas le cas lorsqu'un projet urbain s'étale sur vingt ans. Or, certaines collectivités sont rebutées non pas par l'investissement initial mais par le déficit d'exploitation qui s'ensuit.
Ce constat renvoie donc à la question suivante : peut-on continuer à fabriquer la ville de manière parcellaire alors que précisément, les investissements à réaliser pour répondre au défi écologique, en génie urbain notamment, ne trouveront leur équilibre économique qu'une fois l'aménagement totalement achevé ?