Pourriez-vous faire une présentation rapide des travaux du Sénat sur le ZAN ?
Jean-Baptiste Blanc : Au terme de 6 mois de travail, nous avons auditionné plus de 70 personnes et mené une consultation en ligne à laquelle ont répondu plus de 1 400 personnes pour la rédaction d'un rapport d'information déposé le 9 octobre 2024. La conclusion qui s'impose est que, si un consensus existe autour de la nécessité de la sobriété foncière, des difficultés concrètes et des blocages liés au ZAN sont bien présents.
Un grand nombre d'élus partagent le constat d'une incapacité du dispositif ZAN à prendre en compte les réalités territoriales couplée à des difficultés de mise en œuvre persistantes du fait de l'inintelligibilité de la loi et de l'absence d'accompagnement des collectivités par l'État.
Ce rapport s'articule autour de deux axes : un état des lieux du ZAN en France et une feuille de route sur les améliorations qui sont attendues. Il suggère ensuite différentes évolutions que nous détaillons dans la proposition de loi1 « Trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux », dite Trace, que j'ai déposée avec mon collègue le sénateur Guislain Cambier (Union centriste).
Au-delà, nous allons rendre un rapport prochainement concernant le modèle économique. Il contiendra des propositions pour financer le modèle économique du ZAN et ce qu'il présuppose : modèle de reconquête des friches, modèle de la ville dense, modèle de la renaturation. Nous sommes en attente de chiffres et d'études d'impact du ministère.
Des discussions vont être entamées prochainement pour faire atterrir Trace. Dès lors qu'il y a un contrat, la trajectoire pourrait être assortie d'un financement. Nous aurons les réponses dans quelques semaines.
Pourriez-vous faire une présentation pratique des changements de la proposition de loi texte n° 124 ?
Jean-Baptiste Blanc : Cette proposition de loi « Trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus » (Trace) propose plusieurs évolutions majeures.
Elle pérennise la mesure de l'artificialisation par le décompte de la consommation d'espaces agricoles pour permettre aux collectivités de mieux piloter leur artificialisation, elle abroge l'objectif intermédiaire de réduction de moitié de l'artificialisation avant 2031 et repousse les dates butoirs d'introduction des objectifs dans les documents administratifs.
Par ailleurs, elle acte l'exclusion et la non-mutualisation des projets d'envergure nationale et européenne (PENE) au sein des enveloppes de consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF).
Enfin, elle modifie l'instance régionale de gouvernance créée par la loi du 20 juillet 2023 dite « conférence du ZAN » afin d'en faire une véritable instance de dialogue, de concertation et de délibération, à qui il serait conféré un pouvoir décisionnel, notamment pour répartir les enveloppes foncières entre les collectivités d'un même ressort régional.
Remplacer le terme ZAN par « Trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus », n'est-ce pas juste de la communication ?
Jean-Baptiste Blanc : Le ZAN, ainsi que toutes les difficultés l'accompagnant soulignées par le rapport, déclenchent aujourd'hui un réel rejet.
Pour aller de l'avant, il nous a paru important de montrer symboliquement qu'il fallait que les choses changent.
De plus, l'un des objectifs majeurs apparaît désormais dans cet acronyme : la concertation avec les élus.
L'idée d'une « Trace » c'est aussi celle d'une nouvelle philosophie que porte cette proposition de loi : une trajectoire de sobriété foncière co-construite, plutôt qu'un objectif ZAN planifié unilatéralement.
L'un des objectifs du Sénat est de revenir sur la barre des - 50 % en 2031. L'axe est plutôt un allongement dans le temps ou une diminution de l'objectif ?
Jean-Baptiste Blanc : L'idée est que les objectifs de réduction de l'artificialisation continuent à relever des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) et autres documents de planification régionaux, à qui il serait loisible de fixer des objectifs plus ou moins ambitieux de réduction de la consommation d'ENAF, sans horizon temporel prédéfini.
Certains commentateurs pensent que cette proposition revient à annuler le ZAN, que répondez-vous ?
Jean-Baptiste Blanc : L'idée n'est pas d'annuler le ZAN mais de le faire atterrir concrètement.
D'ailleurs, nous ne supprimons pas l'objectif « zéro net » à horizon 2050. De nos échanges avec les élus locaux dans le cadre du rapport ressort un constat : la nécessité de sobriété foncière est partagée par la grande majorité d'entre eux.
C'est pour cette raison que nous souhaitons leur faire confiance en les associant davantage à l'avenir. Il s'agit aussi de créer les conditions de l'acceptabilité de cet objectif final.
Une diminution des engagements ne risque-t-elle pas de compromettre l'application de l'Accord de Paris et le Pacte vert pour l'Europe ?
Jean-Baptiste Blanc : Il n'est pas question ici de remettre en question ou de sortir des accords qui nous engagent. Si l'on assouplit le ZAN pour créer des industries « vertes », des usines de batteries, de panneaux photovoltaïques, et plus largement, des usines qui nous permettront de produire en France, avec nos normes environnementales, nous améliorons notre bilan carbone global, nous réduisons nos émissions importées, et nous contribuons à atteindre nos objectifs climatiques. Il faut sortir du dogmatisme et regarder le bilan global.
Pensez-vous qu'une procédure précise de reconnaissance ou de classification de l'ENAF avec une possibilité de recours puisse être intégrée au corpus juridique pour éviter les décisions arbitraires ?
Jean-Baptiste Blanc : Rien n'est exclu, j'ai également entendu ce besoin de clarification de la part de nombreux élus, et les éléments donnés par la jurisprudence mériteraient sans doute d'être précisés.
Il est cependant important de laisser une marge d'appréciation aux services concernés, et une marge d'adaptation, pour prendre en compte les situations et particularités locales en matière de construction et d'urbanisme. Il est important de ne pas créer une réglementation trop rigide, qui ne laisserait aucune possibilité d'appréciation au cas par cas.
Je crois beaucoup au dialogue ; il serait souhaitable que ce fil du dialogue entre les élus et les services de l'État soit renoué, que l'État prenne davantage en compte, dans son appréciation, les contraintes et les réalités locales. En ce qui concerne les recours, il faut avancer prudemment, car il me semble qu'on risquerait surtout d'engorger les tribunaux et de bloquer encore davantage de projets.
Le changement de calendrier contenu dans la proposition ne risque-t-il pas de créer une confusion ?
Jean-Baptiste Blanc : Afin de permettre aux collectivités de mieux anticiper la baisse de leurs possibilités d'artificialisation, nous proposons de repousser les dates butoirs de 2027 et 2028 avant lesquelles doit intervenir la modification des documents d'urbanisme afin d'y inclure les objectifs de réduction de l'artificialisation des sols fixés par la loi Climat et Résilience à respectivement 2031 pour les SCoT et 2036 pour les PLU(i) et cartes communales. De même, les régions qui le jugeraient opportun pourraient procéder à une nouvelle modification de leur SRADDET jusqu'au 22 août 2026.
La confusion règne surtout dans l'état actuel des choses. C'est pour cela que ces changements très demandés sont aujourd'hui nécessaires. Je tiens à le redire ici : le problème du ZAN n'est pas l'objectif (qui est le bon) mais cette méthode de planification descendante. Pour la remplacer, il nous en faut une nouvelle, plus concertée, et qui permette la territorialisation et la différenciation.
Nous ne changeons pas l'objectif final mais l'objectif intermédiaire, qui est trop proche. Je rappelle que nous sommes déjà au tiers de la décennie 2021-2031 : le compteur a déjà commencé à tourner pour les collectivités ! La stabilité normative n'est pas une fin en soi : quand une loi est mauvaise, il faut la changer. C'est pour les mêmes raisons que nous souhaitons faire évoluer la période. Je rappelle en outre qu'en l'état actuel de notre proposition, les régions qui ont rendu leur copie dans les temps et qui estiment que leur SRADDET est satisfaisant n'auront aucune obligation de remettre l'ouvrage sur le métier. Idem pour les communes ou EPCI qui auront déjà revu leur PLU(i).
Il nous faut mettre en place des outils d'accompagnement pour la maîtrise du foncier, des outils d'ingénierie et des financements, ainsi qu'une fiscalité adaptée. Le Céréma et l'IGN, qui proposent des outils pour une meilleure connaissance du sol et du sous-sol, seront aussi d'une grande aide.
Ce n'est qu'en proposant une vraie gouvernance avec les élus que tout cela pourra fonctionner : loin de la confusion, c'est une plus grande efficacité que nous souhaitons mettre en place.
Vous évoquez l'utilisation d'une taxe ou d'un impôt existant pour financer le ZAN, pouvez-vous nous en dire plus ?
Jean-Baptiste Blanc : Le coût du ZAN était un véritable impensé de la loi Climat et Résilience, Bruno Le Maire l'avait d'ailleurs confirmé. Au Sénat, nous avons été les premiers à nous emparer du sujet : nous avons saisi le Conseil des prélèvements obligatoires et créé une mission d'information sur le financement du ZAN dont je suis corapporteur avec le sénateur Hervé Maurey. Pour mettre en place les objectifs de Trace, il faudra penser ce coût. Des échanges sont en cours avec le Premier ministre afin d'avoir du soutien logistique pour nous permettre de chiffrer nos propositions fiscales.
1 Trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux, texte n° 124 (2024-2025) de MM. Guislain Cambier, Jean-Baptiste Blanc et plusieurs de leurs collègues, déposé au Sénat le 7 novembre 2024.