Le puzzle se complète. Par une ordonnance gouvernementale du 6 juin 2005, relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au Code des marchés publics, la France s’est attachée à poursuivre la transposition - en droit interne - des règles de passation des marchés publics issues du droit européen. Le récent , relatif aux marchés passés par les entités adjudicatrices, constitue l’un des textes d’application de cette ordonnance. Il vise à parachever la transposition de la directive n°2004/17/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux. Au travers d’une cinquantaine d’articles, ce décret recense l’ensemble des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles se trouvent soumises un certain nombre d’entités publiques ou privées, qui ont toutes en commun d’exercer une activité dite « de réseaux » (voir encadré p.101). Ce nouveau texte encadre la passation des marchés des entités adjudicatrices, d’une manière encore plus précise que le qu’il abroge et auquel il se substitue.
Diverses procédures susceptibles d’être mises en œuvre
A l’instar de ce que prévoit désormais le Code des marchés publics, le décret du 20 octobre 2005 distingue deux grandes catégories de marchés : ceux soumis aux règles précises et formelles qu’il édicte, et ceux pour lesquels les entités adjudicatrices disposent d’une plus grande liberté quant aux modalités de dévolution à mettre en œuvre.
Modalités librement définiespar l’entité adjudicatrice. En dessous des seuils de 470 000 euros pour les marchés de fournitures et de services et de 5 900 000 euros pour les marchés de travaux, les marchés sont passés « selon des modalités librement définies par l’entité adjudicatrice. » (article 10). On retrouve ici les marchés à procédure adaptée - les fameux « Mapa » - de l’, pour lesquels il appartient aux personnes publiques de déterminer les modalités de publicité et de mise en concurrence en fonction de l’objet et des caractéristiques du marché.
Et l’on comprend immédiatement que la liberté, dont sont censées jouir ici les entités adjudicatrices, n’est que toute relative. Cette liberté ne saurait les affranchir du respect des principes fondamentaux d’égalité d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures - rappelés à l’article 6 de l’ordonnance du 6 juin 2005 - dont on sait qu’ils régissent toute commande publique au sens large, y compris la passation de contrats non encore expressément réglementés par des directives européennes (1).
Procéduresformalisées. Au-dessus des seuils précités, il appartient aux entités adjudicatrices de se soumettre aux procédures formalisées énumérées par le décret du 20 octobre 2005. Pour une large part, ce sont les mêmes que celles prévues par le Code des marchés publics, à savoir : l’appel d’offres, ouvert ou restreint (articles 36 à 40) ; la procédure négociée (articles 34 et 35) et le concours (article 41). Le décret - comme d’ailleurs la directive n°2004/17 qu’il transpose - n’offre, en revanche, la possibilité de recourir ni à une procédure de dialogue compétitif ni à des marchés de conception réalisation.
Les entités adjudicatrices, à la différence des personnes publiques soumises au Code des marchés publics pour lesquelles l’appel d’offres reste la procédure de droit commun, sont libres de recourir à un appel d’offres ou à une procédure négociée avec mise en concurrence préalable. Elles disposent donc toujours de la faculté de négocier le contenu des marchés qu’elles concluent, ce qui est de nature à leur permettre de pallier l’absence de procédure de dialogue compétitif en tant que telle.
Recours à l’appel d’offres
Le recours à l’appel d’offres implique le respect de délais précis : 52 jours minimum pour la réception des offres - dans le cadre de l’appel d’offres ouvert (22 jours en cas de publication préalable d’un avis périodique indicatif) - et 22 jours minimum pour la réception des candidatures - dans le cadre de l’appel d’offres restreint. Ces délais minimums s’entendent sans préjudice d’une éventuelle réduction à concurrence de 7 jours, lorsque l’avis d’appel à concurrence est envoyé par voie électronique ou par télécopie. Dans le cas d’un appel d’offres restreint, le délai minimal de réception des offres présente la particularité de devoir être fixé d’un commun accord entre l’entité adjudicatrice et les candidats sélectionnés, et, à défaut d’accord, de ne pouvoir être inférieur à 10 jours.
Procédure négociée
La procédure négociée avec mise en concurrence préalable s’organise en deux temps : d’abord le recueil et la réception des candidatures ; puis l’envoi simultané à tous les candidats sélectionnés d’une lettre de consultation destinée à leur permettre d’élaborer leur offre. Les délais minimums de réception des candidatures et des offres sont les mêmes qu’en matière d’appel d’offres restreint.
L’article 7 du décret du 20 octobre 2005 énumère une douzaine de cas, dans lesquels les entités adjudicatrices peuvent recourir à un marché négocié sans même procéder à une mise en concurrence préalable. On y retrouve les hypothèses traditionnellement retenues par les réglementations en matière de marchés publics : appel d’offres infructueux ; marchés conclus uniquement à des fins de recherche, d’essai, d’expérimentation, d’étude ou de développement ; marchés qui ne peuvent être confiés qu’à un opérateur économique déterminé pour des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité ; marchés complémentaires ; urgence… S’y ajoute une hypothèse très empreinte de pragmatisme : « les marchés ayant pour objet l’achat de fournitures qu’il est possible d’acquérir en profitant d’une occasion particulièrement avantageuse, se présentant dans une période de temps très courte, et qui permet de payer un prix considérablement plus bas que les prix normalement pratiqués sur le marché. »
Procédure de concours
Les entités adjudicatrices se voient enfin offrir - et c’est une nouveauté par rapport au abrogé - la possibilité de recourir à une procédure de concours, ouvert ou restreint, en particulier lorsque le marché concerne des prestations d’aménagement du territoire, d’urbanisme, d’architecture, d’ingénierie ou des traitements de données et implique, de ce fait, le choix d’un plan ou d’un projet. Il leur faudra alors constituer un jury « composé exclusivement de personnes indépendantes des participants au concours », qui sera chargé d’examiner les plans et les projets présentés et d’émettre un avis, à charge pour l’entité adjudicatrice de choisir le lauréat. Il est précisé que les dispositions du titre Ier du - relatif aux concours d’architecture et d’ingénierie organisés par les maîtres d’ouvrage publics - seront applicables aux concours ainsi organisés par les entités adjudicatrices.
Détermination des seuils. L’ordonnance du 6 juin 2005 annonçait la fixation par décret des « conditions dans lesquelles est calculée la valeur estimée d’un marché ». On aurait donc pu légitimement attendre que le décret du 20 octobre facilite l’évaluation du montant estimatif des marchés. Sur ce point, les attentes seront sans doute un peu déçues, dans la mesure où il se contente de renvoyer aux notions - déjà connues mais souvent délicates à mettre en œuvre - de « valeur globale des travaux se rapportant à une opération ». Il s’agit d’un ensemble de travaux caractérisé par une unité fonctionnelle, technique ou économique et mis en œuvre - dans une période de temps et un périmètre limités - et de « valeur totale des fournitures ou des services qui peuvent être considérés comme homogènes, soit en raison de leurs caractéristiques propres, soit parce qu’ils constituent une unité fonctionnelle ».
Règles générales de passation
Les règles générales de passation des marchés des entités adjudicatrices ne présentent pas d’originalité particulière, à ceci près que le décret se contente de se référer à « l’entité adjudicatrice ». Il ne prévoit toujours pas la constitution d’une commission d’appel d’offres, tant pour la sélection des candidatures que pour l’examen des offres, et laisse le soin aux entités adjudicatrices de déterminer leurs propres règles internes en la matière.
Mesures de publicité. Les mesures de publicité à mettre en œuvre consistent essentiellement:
- soit en la publication au JOUE d’un avis d’appel à concurrence conforme au modèle annexé au règlement (CE) n° 1564/2005 de la Commission du 7 septembre 2005 établissant les formulaires standards pour la publication d’avis dans le cadre des procédures de passation de marchés publics ;
- soit en la publication d’un avis périodique indicatif annonçant le montant total des marchés que l’entité adjudicatrice envisage de passer au cours des douze mois suivants la publication de l’avis. Publication obligatoire lorsque l’entité entend se prévaloir de la faculté qui lui est offerte de réduire le délai de réception des offres. Dans ce cas, il appartient ensuite à l’entité adjudicatrice, le moment venu, d’adresser à tous les opérateurs économiques, ayant manifesté leur intérêt, une lettre les invitant à confirmer cet intérêt. Celle-ci doit comprendre un certain nombre de renseignements complémentaires à ceux déjà publiés dans l’avis périodique indicatif.
Sélection des candidatures. La sélection des candidatures a vocation à s’opérer sur la base de divers renseignements, sollicités par l’entité adjudicatrice, afin de lui permettre d’évaluer l’expérience et les capacités professionnelles, techniques et financières des candidats. Ceux-ci peuvent, à cette occasion, se prévaloir des capacités d’autres opérateurs économiques, à condition de pouvoir justifier à la fois des capacités de cet ou de ces opérateur(s), et du fait que le candidat en disposera bien pour l’exécution du marché auquel il soumissionne.
Les candidats doivent également déclarer sur l’honneur avoir satisfait à leurs obligations fiscales et sociales, et ne pas tomber sous le coup d’une des interdictions de soumissionner qu’énumère l’article 8 de l’ordonnance du 6 juin 2005.
En cas de procédure restreinte ou négociée, l’entité adjudicatrice peut limiter le nombre des candidats admis à présenter une offre, à la double condition de fixer ce nombre « à un niveau justifié par le souci de proportionner les moyens mis en œuvre aux exigences de la procédure choisie » et, par ailleurs, de tenir compte de « la nécessité d’assurer une concurrence suffisante ».
Examen des offres et attribution.L’examen des offres vise, quant à lui, une fois vérifiée la conformité des offres remises aux exigences de la consultation, à déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse. Pour ce faire, l’entité adjudicatrice a le choix de se fonder soit sur une pluralité de critères - l’article 29 du décret en énumère plusieurs -, soit sur le seul critère du prix. Le abrogé invitait seulement les entités adjudicatrices à s’efforcer de hiérarchiser les critères retenus. Le nouveau décret impose, comme il se doit désormais, une pondération des critères, sauf - indique le texte - si « l’entité adjudicatrice estime pouvoir démontrer que la pondération n’est pas possible », cas dans lequel il lui faut les classer par ordre décroissant d’importance. Les offres anormalement basses doivent être écartées, non sans toutefois avoir, au préalable, demandé des précisions aux candidats concernés et pris en compte les justifications qu’ils auraient pu apporter (article 31).
Lorsqu’elle aura fait son choix et attribué le marché, l’entité adjudicatrice sera désormais tenue, et c’est là encore une nouveauté par rapport au abrogé, d’informer les candidats évincés du rejet de leur candidature ou de leur offre, mais également de manière succincte des motifs de ce rejet. A charge éventuellement pour les candidats concernés de solliciter ensuite la communication des motifs détaillés du rejet. Un délai de dix jours doit être respecté entre la notification du rejet de leur candidature ou de leur offre aux candidats évincés et la signature du marché, afin de laisser à ces derniers le temps nécessaire pour introduire un éventuel recours précontractuel. Parallèlement, l’entité adjudicatrice devra faire paraître un avis d’attribution dans les deux mois de la notification. Enfin, elle sera tenue de conserver pendant quatre ans diverses informations utiles, relatives à la consultation (article 46).
On l’aura compris, le décret du 20 octobre 2005 ne révolutionnera pas le régime de dévolution des marchés des entités adjudicatrices. Les procédures de passation qu’il prévoit et les règles de passation qu’il édicte sont, en de nombreux points, semblables à celles déjà en vigueur jusque-là. Toutefois, on décèle, ça et là, une réelle volonté d’accroître leur efficacité : mesures de publicité souvent allégées ; délais de réception des candidatures et des offres pouvant sensiblement être réduits ; véritable faculté de choix entre le recours à un appel d’offres ou à une procédure négociée. Maigres consolations face à une réglementation, au final, toujours plus contraignante !
