En quoi le projet urbain du Bas-Chantenay diffère des interventions que vous menez depuis la fin des années 1970 sur des territoires industriels ?
La désindustrialisation a été une époque de transformations violentes, que l’on peut voir comme une nouvelle déclinaison de la table rase. Quand nous avons créé l’agence, il s’agissait avant tout, par le changement d’usage, de sauver des bâtiments emblématiques. C’est ainsi qu’en 1977, un article de Michèle Champenois dans «Le Monde», a fait de nous les spécialistes de la reconversion des usines anciennes en habitat. Avec le même goût pour la continuité des récits urbains, nous sommes passés des bâtiments désaffectés à l’échelle urbaine, sur les grands territoires abandonnés par l’industrie.
Volonté politique
A Nantes, aujourd’hui, la situation est tout autre. La zone industrielle a été maintenue et la volonté politique est claire. Une plaine, remblayée sur la Loire au XIXe siècle, devenue la zone industrielle historique de la ville, va se transformer en cité productive de notre époque. Ce sont les paradigmes environnementaux et numériques du XXIe siècle qui guident cette métamorphose, axée principalement sur les filières nautiques et maritimes.
Le Bas-Chantenay est par ailleurs un lieu fantasmatique. Occupé sans avoir été urbanisé, dessiné par les flux de l’industrie, il associe la plaine industrielle à un coteau verdoyant, ponctué par les parcs des abbayes à l’image des oblates. C’est un lieu unique où va s’exprimer la diversité et la mixité urbaine.
Une ZAC d’une centaine d’hectares a été créée en 2019. Peut-on pourtant dire qu’il s’agit d’un projet classique ?
Ce territoire ne répond pas aux critères d’une composition de type ZAC. La structure du projet commencé en 2016 est basée sur l’articulation des liens et des lieux. Les parcours du Bas-Chantenay - le Coteau, la Plaine et le Fleuve - relient des points d’urbanité : les cales. Cet ensemble incarne l’action publique. Ensuite, c’est une mosaïque foncière, privée ou publique selon les situations qu’il faut gérer dans une logique de projets négociés. La localisation, les enjeux économiques et les temporalités les plus diverses conditionnent des projets établis sur des parcelles allant de 2 000 à 70 000 m².

Sur quels principes appuyez-vous le processus d’évolution ?
Une première règle consiste à dissocier les projets statiques (le développement de secteurs ou à la parcelle) des logiques dynamiques (les principes de continuités physiques, programmatiques et spatiales). Ensuite ce qui manque dans ce territoire artificiel et industriel c’est la composante naturelle. Avec Loïc Mareschal, paysagiste du projet, nous avons imaginé la renaturation comme un fil conducteur du projet. Nous voulons installer un parcours piétons/vélos/nature, qui structure la plaine, compose des îlots de fraîcheur et génère des corridors écologiques.
Accessible à tous
Le Jardin extraordinaire, première étape du projet installée dans l’ancienne carrière Miséry, est le point d’origine de cette structure naturelle, pensée comme une alternative à la ville des rues et des places.
C‘est pour nous une donnée fondamentale : pour créer une ville inclusive et accessible à tous, nous devons réinventer des mobilités douces et collectives, reconstruire la ville sur la ville mais aussi la nature sur la ville.
Mais quel intérêt pour le public de venir s’aventurer dans ce territoire d’entreprises ?
C’est toute la question des récits urbains d’aujourd’hui et de la mise en œuvre d’un urbanisme du «déjà là» et du «faire avec». Nous voulons créer un quartier ouvert à tous et en premier lieu, la population doit retrouver l’accès aux berges. C’est l’enjeu principal de la centralité métropolitaine.
Ensuite, ce territoire recèle des trésors et principalement ses halles industrielles qui recouvrent un total de 16 ha. Elles incarnent l’ADN du quartier, un imaginaire universel. Elles sont des espaces magiques qui se prêtent à la mixité d’usage. Ce couple patrimoine/nature, associé aux cales et à l’accès au fleuve, est le fondement de l’identité du projet. Dans ce cadre, l’architecture contemporaine doit trouver sa place, non pas comme une composition, mais comme un ensemble «d’installations» au sens artistique du terme.
Parmi les premières réalisations dans la zone, il y a eu l’installation de l’agence d’architecture et d’ingénierie AIA Life designers en 2017 puis, en 2020 l’ouverture sur un site de la cale Dubigeon, d’une brasserie qui a généré une forte attraction. Ne risque-t-on pas la tertiarisation, voire la gentrification de la zone industrielle ?
La halle de l’ancienne salle à tracer, occupée par AIA, le Brick, que cette agence a récemment livré dans la cale électrique, et la brasserie LAB [pour Little Altantique Brewery, NDLR.] peuvent être vus comme des prototypes du développement futur. Ces projets très différents associent des lieux de travail à des lieux de vie sociale, mais ils ont tous une grande force évocatrice.
Ensuite, le projet repose sur une maîtrise de la programmation. Un millier de logements sont prévus, mais dans la continuité des quartiers habités existants. L’enjeu central est le partage de l’espace entre les fonctions résidentielles, les espaces culturels (à l’image de la future Cité des imaginaires qui sera installée dans le bâtiment Cap 44), les lieux de sociabilité et surtout la cité productive qui se réinvente aujourd’hui.
Nouvelle silhouette urbaine
Par ailleurs, le rapport entre l’activité industrielle en milieu urbain et la tertiarisation a fortement évolué dans l’ère numérique. Le projet Airseas [développant et concevant des ailes de cerfs-volants géantes, capables de tracter des bateaux, NDLR], installé dans le Brick, en est l’illustration.
Il faut avoir à l’esprit que les halles existantes représentent une richesse inouïe pour les activités du futur. A l’horizontale de ces volumes existants répondra ensuite la verticale des interventions contemporaines. C’est la racine d’une nouvelle silhouette urbaine, totalement dissociée d’un principe de continuité du bâti.
En définitive, nous voulons installer un urbanisme de récit en partant toujours de la singularité des lieux. La diversité des situations permettra de garder l’âme et la diversité programmatique et spatiale du Bas-Chantenay tout en encadrant sa modernisation.