3. Optimisation fiscale et risques de mise en œuvre de la procédure d'abus de droit

Fiscalité -

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Les schémas d'optimisation en matière d'ISF

Deux types de montages ont été imaginés : la cession temporaire d'usufruit et les sociétés d'usufruit.

La cession temporaire d'usufruit

La transmission temporaire d'usufruit peut être un moyen efficace de diminuer la facture de l'ISF. En effet, en application de l', la valeur d'un bien dont l'usufruit fait l'objet d'une donation temporaire d'usufruit n'entre plus dans l'assiette de l'ISF du donateur pendant la période de dessaisissement. L'administration a brandi indirectement la menace de l'abus de droit en cas de transmission temporaire d'usufruit. Ainsi, dans une instruction fiscale du 6 novembre 2003, elle a précisé que cette procédure ne serait pas engagée si le démembrement temporaire était consenti au profit d'un organisme sans but lucratif pour au moins trois ans et si certaines conditions étaient satisfaites (instruction du 6 novembre 2003, BOI 7 S-4-03, n° 176). Par cette doctrine, l'administration a confirmé la réponse qu'elle avait fait à un parlementaire (Q. de Jean Claude Beaulieu, n° 13961, JOAN du 10/03/03, p. 1708, rép. ministère du Budget, JOAN du 14/07/03, p. 5589). Autrement dit, si les conditions n'étaient pas satisfaites ou si le bénéficiaire de l'usufruit n'était pas un organisme à but non lucratif, l'administration se réservait la possibilité de recourir à la procédure de l'abus de droit.

Il convient donc, lorsqu'on a recours à ce type de montage, d'être en mesure de montrer que le démembrement a été effectué pour d'autres motifs qu'exclusivement fiscaux.

La constitution de sociétés d'usufruit

Un propriétaire immobilier peut être tenté d'apporter l'usufruit pour une durée déterminée à une société civile. Par ce schéma d'optimisation, le redevable à l'ISF se verrait taxé sur la seule valeur de l'usufruit, c'est-à-dire la valeur des parts de la société titulaire de cet usufruit et reçues en contrepartie de l'apport. Par exemple, si un propriétaire foncier qui possède un immeuble d'une valeur de 2 000 000 euros en apporte l'usufruit pour une période de 10 ans et évalue cet usufruit à 23 % par application du barème fiscal de l'article 669 du CGI, il recevra la pleine propriété de parts sociales d'une valeur de 460 000 euros qu'il déclarera à l'ISF, mais la nue-propriété d'une valeur de 1 540 000 euros échappera à l'ISF. En termes de revenu, sa situation restera inchangée et il continuera à percevoir le même montant de revenus locatifs.

L'administration a rapidement mis en garde les redevables contre la tentation de recourir à un tel montage (instruction fiscale du 19 mai 1982, BOI 7 R-2-82, n° 125).

L'apport-donation d'un immeuble à une SCI

Les avantages fiscaux du recours à une SCI

Ce schéma est retenu pour contourner le barème fiscal de l'article 669 du CGI. Si une personne de 73 ans donne la nue-propriété d'un immeuble d'une valeur de 1 000 000 euros, la nue-propriété sera fiscalement évaluée à 70 %, soit 700 000 euros. Si cette même personne apporte la nue-propriété du bien, cet apport sera évalué selon la valeur économique du droit apporté, que, par hypothèse, on évalue à 40 %. Les parts émises en contrepartie de l'apport auront donc une valeur de 400 000 euros. Si ces parts sont transmises en pleine propriété, les droits de donations seront assis sur la somme de 400 000 euros et non sur 700 000 euros. Si les parts sont transmises par donation en nue-propriété, les droits de donation seront liquidés sur 70 % de la valeur de 400 000 euros, soit 280 000 euros, et non 700 000 euros. L'économie procurée est donc significative.

Quid du caractère licite de ce montage ?

Jusqu'à récemment, l'opération d'apport-donation à une SCI se heurtait à l'opposition méthodique de l'administration fiscale qui écartait cette stratégie, invoquant l'existence d'un abus de droit fiscal. La Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur le caractère licite de ce montage juridique en rendant plusieurs arrêts successifs. Ainsi, dans un important arrêt du 20 mai 2008, la Cour de cassation a débouté l'administration au motif que la SCI permettait aux parents donateurs de conserver un véritable pouvoir de décision sur la gestion du bien transmis. Cette affaire est symbolique puisque le donataire était un enfant unique et que l'argument de l'indivision n'a pas été examiné (Cour de cassation, ch. com., 20 mai 2008, n° 07-18397). Toutefois, la Cour de cassation s'était déjà prononcée sur cette affaire, qui est revenue devant elle pour la seconde fois, dans un arrêt du 16 novembre 2004 (n° 02-17147) et avait jugé qu'il y avait abus de droit !

Dans une autre décision, la Cour de cassation a jugé qu'un tel montage n'était pas répréhensible dès lors que l'opération permet d'assurer la cohésion du patrimoine familial, notamment par une rédaction appropriée des statuts (Cour de cassation, ch. com., 26 mars 2008, n° 06-21944, dans le même sens Cour de cassation, ch. com., 3 octobre 2006, n° 04-14272). Au contraire, dans un arrêt du 15 mai 2007, la Cour de cassation a retenu à la fois le caractère fictif de la société et le but exclusivement fiscal de l'opération (Cour de cassation, ch. com., 15 mai 2007, n° 06-14262). En dépit de cette jurisprudence de la chambre commerciale de la Cour de cassation, qui lui est globalement défavorable, l'administration persiste à combattre l'apport d'un immeuble en nue-propriété à une SCI, suivi d'un acte de donation. Il est donc conseillé de se rapprocher de son conseil ou de son notaire aux fins de préparer le dossier pour ce type de montage juridique, qui anticipera les critiques pouvant être formulées par l'administration.

À noter que le nouvel article L64 du livre des procédures fiscales, issu de la loi de finances rectificative pour 2008, donne une nouvelle définition - plus restrictive - de l'abus de droit en ajoutant un critère tiré de l'intention du rédacteur du texte dont le contournement est recherché. Ainsi, est adjointe à la définition de l'abus de droit la recherche par le contribuable du « bénéfice d'une application littérale de textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs ».

Répression des abus de droit

La procédure de répression des abus de droit est une procédure exceptionnelle

L'article L64 du livre des procédures fiscales autorise l'administration, lorsque certaines conditions sont satisfaites, à écarter un acte constitutif d'un abus de droit pour restituer à l'opération sa véritable nature. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification. Les avis rendus font l'objet d'un rapport annuel qui est rendu public.

De lourdes sanctions applicables

Lorsqu'elle utilise cette procédure, l'administration est en droit d'appliquer, outre l'intérêt de retard au taux de 4,80 % par an, une majoration égale à 80 % des droits mis à la charge du contribuable. Toutes les parties aux actes constitutifs d'abus de droit sont solidairement responsables du paiement.

Les critères redéfinis de l'abus de droit

Comme vu ci-dessus à propos de l'apport-donation d'un immeuble à une SCI, il n'est pas toujours aisé de faire la différence entre l'abus et la simple habileté fiscale, étant entendu qu'entre plusieurs possibilités, le contribuable n'est pas dans l'obligation de choisir la plus onéreuse. Depuis 1981, l'abus de droit se caractérisait soit par la découverte d'un acte fictif, soit par la démonstration que l'acte litigieux n'avait été passé que dans un but exclusivement fiscal. Si le contribuable pouvait se prévaloir également d'un autre but, l'abus de droit n'était pas consommé. Cette définition, récemment revisitée par le juge de l'impôt qui en a donné une nouvelle définition (Conseil d'État, 27 septembre 2006, n° 260050 et 5 mars 2007, n° 284457), vient d'être consacrée par le législateur (voir ci-dessus).

Alors que précédemment, il lui suffisait d'invoquer le but exclusivement fiscal de l'opération, ce qui paraît intégrer les notions de montages artificiels et de défaut de substance, l'administration doit désormais démontrer également que le redevable a fait une application littérale de la règle contraire aux objectifs poursuivis par les auteurs du texte. Mais cette définition aux contours imprécis reste en construction, de sorte que certains qualifient le premier critère d'objectif et le second de subjectif (M. Fouquet président de section au Conseil d'État) alors que d'autres donnent une qualification inverse (M. Collin, maître des requête au Conseil d'État). Cette insécurité n'est peut être ni évitable ni involontaire.

Si l'acte fictif, c'est-à-dire mensonger, est relativement facile à identifier (par exemple la traditionnelle donation déguisée sous une vente dont le prix n'est pas payé), il en va différemment de la seconde branche de l'abus de droit, qui relève de la notion de fraude à la loi et qui dépend des critères cumulatifs visés ci-dessus. Cette imprécision est source d'insécurité juridique difficilement acceptable.

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