Qu’est-ce que l’urbanisme de projet ?
Le titre IV de la loi intitulé « développement territorial et projets d’aménagement » traduit, d’après l’exposé des motifs, « l’ambition d’un urbanisme de projet ». Il s’agirait de remettre au premier plan la réflexion des architectes et des urbanistes dans les grandes opérations d’aménagement urbain.
Sur ce premier point, la traduction normative de cette ambition est plutôt faible : elle se résume à l’obligation de consultation de « l’atelier international du Grand Paris » sur les conditions d’insertion des actions, opérations d’aménagement ou projets d’infrastructures dans le tissu urbain existant prévus par le CDT.
L’objectif de « l’urbanisme de projet » apparaît plus clairement dans l’étude d’impact accompagnant le projet de loi. Celle-ci affiche une conception nouvelle de l’urbanisme qui prend ses distances avec la planification : « le zonage détermine, voire entrave le projet, sauf à engager des modifications longues et coûteuses », sans compter les risques d’insécurité juridique liés à l’interdépendance des niveaux de planification. Cette critique sera reprise par le secrétaire d’État au Grand Paris à l’Assemblée nationale qui, en réaction au « fonctionnalisme et au zoning », prône « un urbanisme qui part du projet avant de remonter à des documents de coordination plus généraux ». Cette logique se traduira dans le fait que le projet de loi prévoyait initialement que « les opérations d’aménagement et les projets d’infrastructures nécessaires à la mise en œuvre des objectifs d’un contrat de développement territorial peuvent constituer des projets d’intérêt général », dispositions supprimées par le Sénat car jugées superfétatoires. En revanche, dispose l’article 21 IV de la loi relative au Grand Paris, le CDT peut valoir « déclaration de projet » pour l’application de l’article L300-6 du code de l’urbanisme, ce qui permet d’accélérer la mise en compatibilité des documents d’urbanisme.
L’alignement des documents d’urbanisme sur le projet
Curieusement, la loi du 3 juin 2010 évoque, à côté des « actions ou opérations d’aménagement », une catégorie d’opérations qui ne figure pas à l’article L300-6 susvisé, c’est-à-dire les « projets d’infrastructures ». C’est le contrat lui-même qui va préciser « les actions et opérations pour lesquelles il vaut déclaration de l’intérêt général ». Le contrat permet donc d’échapper à l’étape imposée par l’article L126-1 du code de l’environnement, à savoir un acte formel (décision ou délibération) se prononçant sur l’intérêt général d’une opération. Bien évidemment, l’intérêt général étant une condition de la légalité du recours au mécanisme de la déclaration de projet, il nous semble que celle-ci n’est pas présumée ou couverte par le contrat et que le juge, à l’occasion d’un contentieux, serait apte à censurer une erreur manifeste d’appréciation.
Ensuite, doit-on considérer que la déclaration de projet est formellement adoptée par l’État – auquel cas l’article L300-6 précise qu’elle ne peut avoir pour effet de porter atteinte à l’économie générale du projet d’aménagement et de développement durable (PADD), du Scot ou du plan local d’urbanisme (PLU) – la commune ou l’EPCI, voire les deux ? En faveur de cette dernière hypothèse, on peut rappeler qu’à l’issue de la loi Grenelle 2 de 2010, « une déclaration de projet peut être prise par décision conjointe d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales et l’État ».
Enfin cette reconnaissance va autoriser la modification des documents d’urbanisme à l’égard desquels les actions, opérations d’aménagement ou projet d’infrastructures prévus au contrat ne seraient pas compatibles. S’agissant du document d’urbanisme pour lequel la commune ou l’EPCI signataire est compétent, l’article 13 II du décret du 24 juin 2011 précise que la délibération autorisant la signature du contrat emporte approbation de la mise en compatibilité du document d’urbanisme en question, ce qui permet donc, là encore, d’éviter l’étape d’une délibération supplémentaire. On peut néanmoins considérer qu’il existe des limites à ce mode d’évolution du document d’urbanisme, sachant que l’article L123-13 du code de l’urbanisme (dans sa version applicable au 1er janvier 2013) impose de suivre la procédure de révision du PLU si la commune ou l’EPCI envisage « de changer les orientations définies par le projet d’aménagement et de développement durables ».
S’agissant des autres documents d’urbanisme, l’article 13 III du décret prévoit deux hypothèses : tout d’abord celle d’un Scot élaboré par un EPCI non signataire du contrat. C’est au préfet qu’il reviendra logiquement d’engager la mise en compatibilité du document. Ensuite celle d’une incompatibilité avec le Sdrif. Si la région Ile-de-France a émis un avis défavorable à cette mise en compatibilité, celle-ci ne pourra être opérée que par décret en Conseil d’État.
Rappelons bien évidemment que l’allégement des formalités ne permet pas toutefois – obligations communautaires obligent – d’échapper aux mécanismes d’enquête publique ou d’évaluation environnementale. Mais symboliquement, cette portée du CDT est remarquable en ce qu’elle permet finalement à une commune, en accord avec l’État, d’inverser la hiérarchie des normes pour faire en sorte qu’en partant de son projet, les documents supérieurs s’imposant à elle doivent s’aligner et se conformer. Par ailleurs la loi du 15 juin 2011 visant à faciliter la mise en chantier des projets des collectivités locales d’Ile-de-France amplifie ces effets en prévoyant que la modification ou la révision d’un Scot, d’un PLU ou d’un document en tenant lieu et d’une carte communale « ne peut avoir pour effet de faire obstacle à la mise en œuvre des contrats de développement territorial » prévus par la loi sur le Grand Paris (article 1er II). Au passage, on peut noter que cette évolution a pour effet de lier la commune ou l’EPCI signataire du CDT qui, pendant toute la durée du contrat, ne pourra faire évoluer son document d’urbanisme dans un sens contraire à celui-ci.
Une telle conception revient de fait à donner une « valeur subsidiaire » aux documents d’urbanisme, comme le reconnaît pudiquement l’étude d’impact du projet de loi. Cette logique de l’urbanisme de projet se manifeste également dans la troisième et dernière ambition de la loi du 3 juin 2010.
