Les ambitions portées par le cdt
L’exposé des motifs du projet de loi relatif au Grand Paris affirmait que « le lien qui sera constitué entre le développement d’une infrastructure de transport et le développement urbain et économique, que la législation rendra possible grâce à cette loi, construira la première étape de ce décloisonnement si novateur pour le droit de l’urbanisme français ». Cette première ambition peut être rapidement relativisée. En effet, le propre du droit de l’urbanisme, postérieur à la loi SRU du 13 décembre 2000, est justement de développer une approche globale où sont mis en connexion des objectifs qualitatifs et quantitatifs en matière de développement économique, d’aménagement, de logement ou de déplacements. C’est particulièrement vrai pour les schémas de cohérence territoriale (Scot) dont à la fois le contenu et le mode d’articulation avec d’autres documents normatifs sectoriels en font un outil fédérateur de pilotage de l’ensemble des politiques urbaines sur l’agglomération.
Toujours d’après l’exposé des motifs, « les investissements publics en matière de transport sur ces territoires stratégiques doivent donc permettre, en contrepartie et sur la base de l’adhésion des collectivités locales, la définition partagée d’orientations d’aménagement et de développement […]. Les projets de développement territorial seront définis dans leur contenu et dans leur périmètre en partenariat entre l’État et les collectivités locales et actés dans un contrat ». La philosophie du dispositif est donc de considérer que l’État est en droit, compte tenu des financements accordés, d’accéder au statut de « codécideur stratégique » grâce au mécanisme des CDT. Une fois encore, l’histoire du droit de l’aménagement du territoire montre qu’il existe depuis longtemps des instruments contractuels permettant à l’État et aux collectivités territoriales de tenter d’harmoniser l’exercice respectif de leurs compétences sur la base de constat et d’objectifs partagés :
• la contractualisation territoriale à travers les contrats de plan puis les contrats de projet État-région (loi du 29 juillet 1982, n° 82-653) ;
• les contrats d’agglomération et de pays (loi du 25 juin 1999, n° 99-533) illustrent ces expériences.
Le cdt et l’exercice des compétences d’urbanisme
Là où la loi du 3 juin 2010 innove incontestablement c’est dans les effets et la portée juridique de cette contractualisation. Les contrats d’aménagement du territoire permettent modestement d’accéder à des financements priorisés en contrepartie d’engagements de comportement, tandis que les CDT offrent aux collectivités signataires la reconnaissance de garanties et de compétences supplémentaires ou de simplifications qui ne bénéficient pas aux communes ou EPCI non signataires.
En premier lieu, l’État trouve dans cette démarche un intérêt particulier dans la mesure où, comme le rappelle l’article 2 du décret du 24 juin 2011, le contrat présente « le projet stratégique de développement durable élaboré par les parties ». Par ce biais, l’État accède à un pouvoir qui dépasse très largement le « porter à connaissance » ou le droit de demander un certain nombre de modifications des documents d’urbanisme. Certes, il peut, par le biais du projet d’intérêt général (PIG), définir au coup par coup un certain nombre de projets. Certes, il peut adopter une directive territoriale d’aménagement et de développement durable qui présentera ses objectifs et priorités mais qui, depuis la loi portant engagement national pour l’environnement du 12 juillet 2010 (dite Grenelle 2), ne sont plus opposables aux documents d’urbanisme locaux. Aussi la loi du 3 juin 2010 permet à l’État de retrouver un pouvoir qu’il a perdu depuis près de 30 ans, à savoir « l’élaboration conjointe » des priorités d’urbanisme. Il faut néanmoins souligner, et cela a été rappelé lors des travaux parlementaires (avis de Jacques-Alain Bénisti, enregistré à l’Assemblée nationale le 4 novembre 2009, n° 2008), que les CDT ne sont pas a priori des documents d’urbanisme opposables aux tiers. En fin de compte, on pourrait analyser le contrat de développement territorial (CDT) comme une forme de projet d’aménagement et de développement durable (PADD) contractualisé avec l’État. Mais à la différence des documents d’urbanisme qui sont opposables à leurs auteurs, les tiers ne pourront pas imposer a priori aux cocontractants de respecter leurs engagements. Par ailleurs, ces contrats produisent des effets remarquables.
Les effets juridiques du cdt
CDT et Société du Grand Paris
Les effets d’un CDT se manifestent en premier lieu par le fait que ce contrat va encadrer l’action de la Société du Grand Paris (SGP). Alors même que cette dernière n’est pas mentionnée parmi les signataires potentiels d’un CDT, le contrat est censé avoir des effets à son encontre ! Sur le territoire des communes signataires, la SGP ou tout autre établissement public d’aménagement évoqué dans le contrat ne pourra entreprendre que les opérations d’aménagement expressément prévues dans ce dernier. Ce qui, sur le plan juridique, ne manque pas de soulever des difficultés. Comment faire respecter à une personne non partie à un contrat les termes de celui-ci ? En cas de conflit, le juge devra bien être amené, parce que la loi l’a prévu, à examiner la légalité d’une décision d’aménagement de la SGP au regard des limitations prévues par une disposition de nature contractuelle. Au regard des règles classiques du contentieux administratif, cela n’est pas sans poser des difficultés. Une solution serait éventuellement de considérer que ces limitations engagent en fait l’État, en tant qu’autorité de rattachement de la SGP et des établissements publics d’aménagement, qui finalement s’engage à ne pas permettre ou autoriser « ses » établissements publics à entreprendre d’autres opérations que celles figurant au contrat. Interprétation qui, on le voit, ferait peu de cas de la personnalité morale et de l’autonomie afférente des établissements publics.
CDT et zones d’aménagement différé
Un des effets secondaires notables du CDT concerne l’encadrement de l’exercice étatique dans l’établissement des zones d’aménagement différé (ZAD). L’article 21 de la loi prévoit que le CDT dresse la liste, fixe le périmètre et définit les bénéficiaires des droits de préemption institués dans ces zones : en tant que tel, le CDT prévoit ou encadre la création de la ZAD mais ne la crée pas. C’est ce que rappelle l’article 4 du décret du 24 juin 2011 lorsqu’il énonce que « les zones d’aménagement différé prévues par un contrat de développement territorial sont créées par décision du ou des préfets de département concernés ». Mais que se passe-t-il si le préfet décide de retenir un périmètre différent ou de désigner un autre bénéficiaire ? D’ailleurs il n’est pas certain qu’un délégataire prévu par le contrat puisse contester et invoquer le non-respect de la convention à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir (REP) contre la décision de création de la ZAD. Ce n’est pas le contrat qui crée la délégation : il ne fait que la prévoir. Sur ce point, la loi du 3 juin 2010 ne modifie en rien les dispositions législatives existantes relatives à la ZAD qui prévoient que « l’acte créant la zone désigne le titulaire du droit de préemption » (article L212-2 du code de l’urbanisme). De manière logique, la loi prévoit qu’une fois la signature effectuée par la commune ou l’EPCI, le préfet n’a pas besoin de recueillir leur avis au titre de la création de la ZAD.
CDT et création d’un droit de préemption subsidiaire
Surtout, la loi consacre au profit des communes signataires du CDT (et non des EPCI dont elles sont membres) un droit de préemption subsidiaire. L’instauration d’une ZAD a pour effet de faire disparaître le droit de préemption urbain (DPU) éventuellement mis en place par la commune. Si le CDT ne désigne pas la commune comme bénéficiaire du droit de préemption à titre principal lors de la création de la ZAD (ou sur le plan juridique l’acte créant la zone pour être plus précis), celle-ci est directement habilitée par la loi à exercer le droit de préemption en cas de renonciation du bénéficiaire du droit à titre principal. Cette disposition, remarquable à plusieurs titres, n’est pas sans soulever un certain nombre de questions ou de difficultés.
En premier lieu, il est rare que la reconnaissance d’une compétence au profit d’une autorité par le législateur soit subordonnée à la conclusion préalable d’un contrat. En fait, un tel mécanisme pourrait être analysé comme un aménagement contractuel de la délégation de l’exercice d’un droit par l’État. Ce qui, en second lieu, soulève une difficulté potentielle dans sa mise en œuvre : le bénéfice de ce droit vaut en cas de renonciation explicite ou implicite. Mais l’existence de ce droit n’empêche pas, à notre avis, le bénéficiaire principal de déléguer l’exercice de son droit de préemption à une autre autorité. Ce n’est qu’en cas de renonciation que ce droit se déclenche. L’articulation entre l’exercice de ce droit par la commune et le CDT peut également créer des interrogations. Ce droit de préemption n’existe pas en dehors des CDT ; ne peut-on dès lors pas considérer que son exercice par la commune est bien un acte d’application du CDT et que l’illégalité éventuelle de ce dernier est invocable à l’encontre de la décision de préemption ? Pourra-t-on revendiquer la jurisprudence relative aux opérations complexes ?
Enfin le bénéfice « automatique » de ce droit pourrait paraître choquant dans le cas des communes signataires d’un CDT qui seraient en situation de carence au regard de l’article 55 de la loi SRU. On peut rappeler en effet qu’à l’issue de la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, celles-ci perdent leur droit de préemption (article L210-1 du code de l’urbanisme). Il serait dès lors anormal qu’elles récupèrent un droit équivalent grâce au CDT.
Les parties à un cdt
Tous ces avantages et l’accès à ces ressources juridiques supplémentaires conduisent à s’interroger sur l’éligibilité à la signature d’un CDT. Deux situations doivent être distinguées.
La conclusion d’un contrat initial tout d’abord. Si la loi ne contient aucune précision, l’article 1er du décret du 24 juin 2011 retient trois critères :
1. être une commune dont le territoire est « concerné » par le projet de réseau de transport public ;
2. ou dont le territoire est « compris dans un des grands territoires stratégiques de la région » au sens de l’article 1er de la loi, sachant que cette disposition n’en donne ni énumération ni définition ;
3. ou plus simplement être une commune dont le territoire est attenant à une commune répondant à l’un ou l’autre de ces critères.
Pour autant, le fait de remplir ces critères ne donne pas forcément un « droit » à signer un tel contrat, ce qui d’ailleurs porterait atteinte à la liberté contractuelle de l’État.
La seconde situation recouvre l’adhésion à un contrat existant. L’article 21 de la loi l’envisage au profit de toute commune ou EPCI sous réserve d’être attenant à une commune ou un EPCI signataire d’un CDT et d’obtenir l’accord des cocontractants. Comme le prévoit l’article 15 du décret, cette adhésion peut nécessiter la révision du contrat si elle a pour effet prévisible de modifier l’économie de celui-ci. On le voit, les conditions fixées sont assez lâches et pourraient, par un « effet domino », permettre la couverture intégrale du territoire d’Ile-de-France par des CDT.
