La loi Montagne s’organise sur un principe central de continuité avec l’existant, lequel est agrémenté d’un ensemble de principes complémentaires d’urbanisation visant à tenir compte de certains particularismes de l’espace montagne liés à :
– des activités comme l’agriculture ou le tourisme ;
– des lieux remarquables comme les lacs ou les espaces caractéristiques ;
– des types de constructions, les routes par exemple.
Alors qu’ils auraient pu venir apporter un encadrement plus précis du pouvoir local et faciliter ainsi le travail contentieux, leur étude offre une même distribution des rôles entre le législateur, l’autorité administrative et le juge administratif.
De nouvelles zones d’ombre au passif de la loi montagne
Les dispositions relatives au tourisme et aux rives des plans d’eau sont les plus connues mais le phénomène couvre l’ensemble des thèmes.
Préservation imparfaite des terres agricoles
Concernant la préservation des terres agricoles, la loi Montagne donne une définition peu précise des espaces ainsi qualifiés. Elle abandonne en effet la nomenclature cadastrale au profit d’une combinaison de critères économiques et de critères physiques. En outre, les « constructions nécessaires aux activités agricoles, pastorales et forestières » qui y sont admises constituent une notion plus large que les seuls « bâtiments d’exploitation agricole ou forestière », précédemment permis. De même, le texte autorise les équipements sportifs liés « notamment » à la pratique du ski et de la randonnée, soulignant que ceci n’a rien d’exclusif. Enfin, peut être encore acceptée la restauration, la reconstruction ou l’extension limitée d’anciens chalets d’alpage ou de bâtiments d’estive.
Protection de l’environnement : un dispositif perméable
En matière de protection de l’environnement, la loi prévoit l’adoption de dispositions propres à préserver les espaces et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard. Toutefois, non seulement aucune indication n’est donnée quant à la consistance de cet ensemble à protéger, mais le texte renvoie ces dispositions aux futurs documents et décisions d’occupation des sols, voire à d’hypothétiques prescriptions particulières de massifs. Si le texte est plus précis dans son interdiction de routes nouvelles de vision panoramique, de corniche ou de bouclage, dans la partie située au-dessus de la limite forestière, il développe malgré tout des exceptions qui rendent le dispositif perméable (désenclavement, défense nationale et liaison internationale).
Extension du champ d’application de la notion d’unités touristiques nouvelles
S’agissant du domaine touristique, c’est évidemment la procédure des unités touristiques nouvelles (UTN) qui est au centre des débats, puisqu’elle constitue l’exception la plus traumatisante à la règle de continuité (article L145-9 et suivants du code de l’urbanisme). L’évolution législative a conduit en 2005 à une redéfinition du champ d’application et du régime de ces opérations, redéfinition répondant à une jurisprudence qui s’était prononcée sur la quasi-totalité des opérations. La définition actuelle est ainsi beaucoup plus générique : ce sont soit des remontés mécaniques, soit un aménagement touristique. Jusqu’alors, la qualification d’UTN répondait également à des critères de situation et d’importance. De fait, ce sont beaucoup plus d’opérations qui peuvent bénéficier de cette procédure d’exception aux règles de protection classiques de l’espace montagnard.
Le régime juridique spécifique de protection des lacs de montagne
Enfin, concernant les rives des plans d’eau de moins de 1 000 hectares, espaces à la fois fragiles et convoités, la loi pose un principe simple d’interdiction de toutes constructions, installations et routes nouvelles ainsi que toutes extractions et tous affouillements (article L145-5 du code de l’urbanisme). Toutefois, là encore, la rigueur de la règle est atténuée puisqu’est défini un nombre impressionnant d’exceptions, dont certaines reposent sur des notions particulièrement floues :
– bâtiments à usage agricole, pastoral ou forestier ;
– refuges et gîtes d’étapes ouverts au public pour la promenade et la randonnée ;
– aires naturelles de camping ;
– équipements culturels liés au caractère lacustre des lieux ;
– installations à caractère scientifique ;
– équipements d’accueil et de sécurité nécessaires à la pratique de la baignade, des sports nautiques, de la promenade ou de la randonnée ;
– adaptation, changement de destination, réfection, extension des constructions existantes ou la construction de bâtiments nouveaux à usage d’habitation à l’intérieur du périmètre regroupant les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole.
Il est difficile d’être exhaustif quant à ces principes complémentaires d’urbanisation de l’espace montagnard, mais il s’agit là des dispositions essentielles, dont on ne peut que souligner les contours indéterminés compte tenu du nombre et de l’imprécision des dérogations établies par le législateur. Comme pour les principes généraux, ceci est encore accentué par l’importante marge de manœuvre accordée au pouvoir local.
La grande latitude d’appréciation consentie aux communes
L’autorité compétente en matière d’urbanisme dispose à nouveau de pouvoirs importants pour adapter, voire contourner les contraintes juridiques imposées par la loi Montagne. Par exemple, on l’a vu, le texte renvoie la définition des espaces et milieux caractéristiques à de futurs documents et décisions qui sont potentiellement de la compétence des communes. Surtout, les autorités décentralisées peuvent limiter l’impact des dispositions les plus protectrices par une politique adaptée de planification urbaine.
Ainsi, concernant les UTN majeures, la compétence appartient par principe au représentant de l’État. Toutefois, la réalisation d’un Scot est le moyen pour les communes de se passer de cette autorisation spéciale, ce qui donne alors une entière compétence aux maires pour la réalisation de ces lourdes opérations immobilières lorsque la commune est couverte par un PLU, voire par une simple carte communale. De toute manière ce partage des compétences entre autorités déconcentrées et décentralisées n’est pas favorable à une stricte protection : le caractère centralisé de la procédure initialement établie par la directive Montagne de 1977 était précisément justifié par la nécessité de disposer de l’autorité de l’État comme garante de l’intérêt général face aux intérêts privés des promoteurs. Les rapports montrent d’ailleurs que les refus sont très rares : la régulation s’exerce par des allers et retours destinés à amender les projets et, du fait de la crise, c’est en définitive la contrainte économique qui limite plus sûrement ces opérations que la procédure de contrôle.
De même, par rapport aux rives des plans d’eau, la planification permet encore d’écarter les obstacles. D’une part, l’inconstructibilité peut être levée par un PLU ou un Scot au vu d’une étude fondée sur les spécificités locales et justifiant du respect des terres agricoles, pastorales et forestières, de la sauvegarde des paysages et milieux et de la protection contre les risques. D’autre part, la servitude peut également être remise en cause par une simple carte communale au vu d’une étude justifiant que l’aménagement et l’urbanisation de ces secteurs sont compatibles avec la prise en compte de la qualité de l’environnement et des paysages. Certes, ces deux possibilités sont soumises à un accord préalable du préfet et les communes ne bénéficient donc que d’une compétence d’initiative et d’une compétence partagée en la matière, mais il s’agit tout de même d’un véritable outil de développement : à charge aux élus locaux de convaincre un représentant de l’État qui est certes une autorité environnementale, mais qui est aussi particulièrement sensible aux questions économiques. Il ne faut pas négliger en effet le rôle parfois moteur des préfets en termes d’urbanisation, comme en témoignent les affaires du Lac de Fabrèges ou du col et tunnel du Somport dans lesquelles il a été dit que les véritables responsables étaient les préfets. Enfin, les communes peuvent décider, librement cette fois-ci, par un PLU, un Scot ou une carte communale, d’exclure du régime protecteur certains plans d’eau en fonction de leur faible importance.
À nouveau, entre une loi Montagne imprécise et une autorité locale parfois un peu trop encline au développement, c’est le juge administratif qui endosse le rôle de modérateur.
Le rôle de vigie endossé par le juge administratif
Une jurisprudence inégale
Concernant les principes complémentaires d’urbanisation de l’espace montagnard, le juge n’a pas eu la partie facile compte tenu des imprécisions et des évolutions législatives. Ainsi, sur les espaces agricoles, l’introduction de la notion de bâtiments d’estive et l’autorisation des travaux de rénovation et d’extension, même en l’absence de raccordement aux voies et réseaux a permis au législateur de contrer des positions jurisprudentielles trop strictes en matière de chalets d’alpage comme l’ensemble des décisions relatives aux insuffisances d’accès fondé sur l’article R111-4 du code de l’urbanisme.
De même, les annulations sont rares en matière d’UTN du fait de la banalisation de la procédure et de l’ambiguïté de la caractérisation touristique des aménagements.
La protection des rives des plans d’eau n’a pas été plus facile dès lors que le législateur a plusieurs fois modifié le texte afin de permettre des projets locaux qui avaient soient fait l’objet d’une censure de la part du juge soit qui auraient inévitablement subis cette censure (voir le célèbre « amendement Fabrèges » introduit en 1994 ou la dérogation liée aux équipements culturels ajoutée en 2003).
Toutefois, malgré ces écueils, le juge a réussi à maintenir une certaine rigueur.
Une jurisprudence pragmatique
Concernant la protection des terres agricoles, le juge adopte une position pragmatique, autorisant des constructions et vérifiant avec attention la validité de la caractérisation des sols et le fait que ceux-ci sont vraiment nécessaires au maintien des activités agricoles. Ce n’est ainsi pas le cas d’un terrain en friche non exploité (Conseil d’État, 5 janvier 1994, M. Jacques X., n° 129646) ou d’un terrain propice à l’activité agricole, mais qui n’est pas indispensable du fait du nombre et de l’importance d’autres terrains présentant les mêmes caractéristiques (Conseil d’État, 10 juin 1998, Commune de Cipière, n° 168718).
Toutefois, il impose aussi aux pétitionnaires et aux planificateurs locaux de prendre les mesures de protection nécessaires. Ainsi, une urbanisation n’est possible que si elle ne concerne qu’une très faible partie des espaces agricoles (Conseil d’État, 21 mars 2001, Société Euroraft et autres, n° 209459) et uniquement si cette urbanisation est justifiée par des besoins locaux identifiés (Conseil d’État, 6 février 1998, Commune de Faverges, n° 161812 ; cour administrative d’appel de Lyon, 1er février 2005, Commune de Megève, n° 01LY00058). Par ailleurs, même si sa jurisprudence n’a pu que s’adoucir avec l’introduction de la dérogation propre aux bâtiments d’estive, la rigueur du juge s’est déplacée sur l’analyse des notions d’extension et de reconstruction (cour administrative d’appel de Lyon, 7 mars 2011, M. A., n° 09LY00369).
À propos de la protection des espaces caractéristiques, le juge a fait la preuve de son volontarisme, s’opposant sur ce motif à des projets d’envergure (Conseil d’État, 10 juillet 2006, Association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix et autres, n° 288108) et reconnaissant cette qualité indépendamment de la préexistence d’une protection environnementale (Conseil d’État, 9 juin 2004, Commune de Peille, n° 254691).
En matière d’UTN, le juge a encore une approche pragmatique, se refusant à interdire par principe tout projet de grande ampleur (Conseil d’État, 15 mai 1992, Commune de Cruzeille, n° 118573), mais il développe tout de même un contrôle normal qui lui a permis d’annuler certains projets nocifs pour le patrimoine montagnard (Conseil d’État, 20 septembre 1991, Commune de Speracedes, n° 79539) ou disproportionnés par rapport aux grands équilibres naturels (Conseil d’État, 10 décembre 1993, ministère de l’Équipement, du Logement et des Transports, n° 110697 ; Conseil d’État, 4 juillet 1994, Commune de Vaujany, n° 129898).
Une jurisprudence protectrice
Enfin, s’agissant des rives naturelles des plans d’eau, le juge est également protecteur. D’une part, il reconnaît assez facilement ce caractère naturel, même si la zone considérée est partiellement aménagée (Conseil d’État, 1er juillet 1998, Commune de Doucier, n° 171733 ; cour administrative d’appel de Lyon, 27 décembre 2002, Société Gerbay, n° 97LY01017). D’autre part, il accorde les dérogations avec prudence, n’admettant ainsi pas facilement la qualification de hameau nouveau intégré à l’environnement (Conseil d’État, 10 mai 1995, Commune de Saint-Blaise, n° 149485 ; cour administrative de Marseille, 21 novembre 2002, SCI Haute-Provence Habitat, n° 99MA02048), ni celle de refuge qui ne peut pas être un hôtel-restaurant (Conseil d’État, 3 mai 2004, Commune de Risoul, Société Le Tetras, n° 253524).
La rigueur juridictionnelle est donc bien réelle. Même si la jurisprudence reste inégale du fait de la souplesse des textes et des différences de situation, le juge reste souvent le dernier rempart, y compris contre des projets assez hasardeux et pourtant autorisés par les communes, tel ce projet d’habitation de 3000 m² présenté par un sultan saoudien (Conseil d’État, 9 juillet 1997, M. B., n° 123368). Il ressort en définitive de cette étude un ensemble de recommandations utiles à destination des pétitionnaires comme de ceux qui souhaiteraient contester des permis accordés ou des règlements trop libéraux. Il semble donc moins risqué juridiquement de travailler sur le bâti existant et sur l’urbanisation en continuité (d’ailleurs, de manière générale, plus des deux tiers des lits sont réalisés hors UTN). Toutefois, aucun projet ne semble jamais vraiment impossible puisque le droit de l’urbanisme reste affaire de circonstances locales et d’appréciation. Et c’est encore plus vrai en zone Montagne où se côtoient, comme autant d’opportunités, abondantes approximations et multiples dérogations.
