Les architectes ont perdu un aîné inspirant. Depuis que la disparition de Yona Friedman, à l'âge de 96 ans, a été annoncée le 21 février sur le compte Instagram du fonds en charge de la conservation de son œuvre, ils sont nombreux à évoquer leurs échanges avec ce théoricien souriant ou leur incursion dans son stupéfiant appartement du XVe arrondissement de Paris, envahi de « gribouillis » et de maquettes bricolées en bouchons ou en carton. Tous saluent cet architecte visionnaire qui, sans doute plus qu'un utopiste, était un idéaliste et un humaniste.
Né le 5 juin 1923 à Budapest (Hongrie), Yona Friedman y entame ses études d'architecture. Mais, parce que juif, il n'a alors le droit d'assister aux cours qu'en auditeur libre. Arrêté pour acte de résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, il trouve refuge en Roumanie puis, en 1946, part pour ce qui est encore la Palestine et s'installe à Haïfa. Il reprend sa formation tout en travaillant sur des chantiers pour assurer sa subsistance.
Vues iconoclastes. Diplômé en 1949, il décroche en 1953 sa première commande de logements sociaux. Les vues de ce jeune architecte qui parle d'associer les gens à la conception de leur habitat paraissent alors franchement iconoclastes. En 1957, Yona Friedman s'installe en France, à Paris. Dès lors, il ne cesse de plaider pour des formes urbaines propices à l'épanouissement de leurs occupants, d'abord au sein du Groupe d'études d'architecture mobile (GEAM) qu'il participe à créer en 1958, puis dans les nombreux ouvrages qu'il publie.
La ville qu'il y décrit répond non seulement aux aspirations humaines mais elle est « mobile » et donc capable d'évoluer pour s'adapter aux nouveaux besoins. Il la pense également « spatiale » et esquisse un système de superstructures qui portent les fonctions définies par les habitants et ce, à 30 mètres de hauteur au-dessus des cités existantes. Bien avant l'heure, l'architecte présente donc un moyen de freiner l'étalement urbain et développe une pensée écologique.
Autant d'idées qui demeurent longtemps sans écho, si ce n'est au Japon où elles influencent Kenz? Tange et Arata Isozaki. Yona Friedman a lui-même rarement eu l'occasion de les mettre en pratique. Si l'architecte, qui a désormais la nationalité française, prend part aux concours de l'époque, comme celui du centre Georges-Pompidou en 1970, il construit peu, à part le lycée Henri-Bergson, à Angers (Maine-et-Loire), en 1980. Ce chantier l'amène toutefois à travailler avec les enseignants, les élèves, leurs parents… Et à démontrer ce que ses conceptions ont de concret.
A partir de la fin des années 1990, son œuvre est « redécouverte », notamment par le milieu de l'art contemporain. Nombre d'expositions lui sont consacrées, tandis que le Centre national des arts plastiques (Cnap) acquiert une partie de ses maquettes et dessins. Surtout, à l'heure où l'urgence environnementale et sociale se fait plus pressante, sa vision d'une ville économe, évolutive et humaine nourrit les débats qui se tiennent - enfin - sur la nécessité d'une architecture plus durable et innovante. Quelques années avant sa disparition, Yona Friedman se disait « heureux » de ce regain d'intérêt : « Je n'ai jamais considéré ça comme du plagiat, mais comme une transmission. »