Pour franchir cette brèche imposante de 375 m de longueur, « il fallait imaginer un ouvrage à la géométrie dégressive, qui rappellerait la géomorphologie très particulière du site », explique Dominique Aubron, le représentant du groupement de maîtrise d’œuvre. D’où la naissance de cette structure élancée, évoquant la silhouette d’un gréement, construite selon le procédé, rare, de la précontrainte extradossée à nappe axiale.
Phasage complexe. L’ouvrage, qui accompagne la dissymétrie de la ravine, comporte quatre travées dégressives (126 m ; 104,40 m ; 75,60 m ; 43,20 m). Les mâts, ou déviateurs sur piles, sont aussi de hauteurs différentes (9 et 18 m).
Même recherche au niveau des appuis. Les trois piles offrent une section constante sur toute leur hauteur, mais chacune a une géométrie différente : cercle parfait, ellipse ou ovoïde. Elles ont été réalisées en béton C45/50, au moyen de coffrages bois fabriqués in situ, et reposent sur des semelles superficielles de 3 m d’épaisseur.
La culée en crête du versant rive droite (repère C0) assure l’appui de la travée principale du tablier, mais aussi l’appui et la butée latérale du contrepoids béton de 2 760 t, mis en œuvre pour assurer l’équilibre lors de la construction du tablier en encorbellement.
Le tablier est une structure en caisson à consoles latérales et bracons de 22 m de largeur réalisée en béton à hautes performances (C60/75). Sa hauteur courante de 4 m permet un élancement faible de 1/32e. Particularité : les âmes du caisson (50 à 75 cm d’épaisseur) sont rentrantes. Inclinées à 10°, elles permettent un meilleur transfert des efforts concentrés des ancrages des câbles extradossés disposés de façon axiale. « Pour la mise en œuvre du béton, cette inclinaison impose des précautions particulières pour éviter le bullage », observe Vincent Bonnefous, directeur de travaux pour Eiffage Travaux Publics.
Au plan méthodologie, « nous avions établi un phasage très précis » explique David Grellet, conducteur de travaux. Car lorsque les deux fléaux symétriques de la pile P1 ont été réalisés, il manquait encore 25 m au nord pour assurer la jonction avec le demi-fléau réalisé depuis la culée. La brèche a été comblée en coulant, sur le fléau P1, sept voussoirs supplémentaires construits en « surencorbellement ». Pour que les efforts induits par ce déséquilibre soient compensés, il aura fallu assurer le clavage entre les fléaux P1 et P2, côté sud.
Le chantier a tenu compte de la période cyclonique qui va de décembre à avril. D’une part pour la planification, en évitant la réalisation du surencorbellement à cette période. D’autre part pour la construction, avec la conception d’un système de blocage longitudinal du tablier (un bridage par barres de précontrainte) sur la culée C4 mis en œuvre en cas d’alerte cyclonique.
Protection au feu. Parmi les nombreux avantages de la solution « précontrainte extradossée » (voir encadré), figure la possibilité d’obtenir un tablier plus raide qu’avec une solution haubanée, améliorant d’autant le comportement aérodynamique de l’ouvrage. L’option métallique pour les déviateurs sur piles a rapidement été abandonnée, ne serait-ce qu’à cause des moyens de levage limités présents sur l’île. Ce sont donc des déviateurs en béton qui accueillent les selles de déviation des câbles de précontrainte. « Les plus longs câbles mesurent 198 m, précise Vincent Bonnefous. Au total, plus de 14 km de torons ont été installés. »
Les câbles extradossés sont mis en œuvres nus. Les équipes d’Eiffage Travaux Publics rapportent sur chacun d’eux une gaine de protection au feu en deux demi-coques. Un système breveté par l’entreprise qui résiste au feu décrit par la courbe HCM (courbe hydrocarbures majorée), soit 1 200 °C atteints en moins de 10 minutes. « Ce système permet un gain de poids important par rapport à des systèmes plus classiques, indique Philippe Poisson, responsable de la précontrainte. L’assemblage des deux demi-coques est simple, dissocié de la mise en œuvre des câbles. Et en cas d’incendie, la réparation d’une zone touchée est facile. »
375 m de longueur
7 000 m3 de béton C60 dans le tablier
1 150 t d’armatures passives
Maître d’ouvrage : conseil régional de La Réunion.
Maître d’œuvre : groupement Arcadis-Coteba-Strates.
Entreprises : groupement Eiffage Travaux Publics (mandataire), Matière, Razel.



