Balayée vendredi 28 février par des vents à plus de 200 km/h et de très fortes pluies orageuses, l’île de la Réunion prend jour après jour la mesure des dégâts et déplore désormais cinq morts. La vie économique est désorganisée et les entreprises des secteurs de la construction et du logement tirent les premiers bilans.
Côté résidentiel, les quatre filiales réunionnaises de CDC Habitat ont recensé, lundi 3 mars, 45 familles à reloger en urgence et 47 sinistres jugés « critiques », impliquant des toitures arrachées notamment, sur un total de 40 000 logements gérés. Quarante autres sites ont été identifiés avec des dégradations « importantes » et de différents ordres, comme des impacts sur les garde-corps, des infiltrations, des parkings inondés ou encore des panneaux solaires endommagés. Mais les bailleurs reconnaissaient que « les difficultés d’accès et les coupures de télécommunications ont ralenti les visites dans l’est », zone de l’île qui a été le plus touché par le cyclone.
« En ce qui concerne les chantiers, nos entreprises sont habituées : on amarre les charges et les installations (modules de vie, containers). Ce qui avait été protégé a bien résisté », témoigne Anthony Lebon, président de la Fédération réunionnaise du BTP (FRBTP). « En revanche, les ouvrages en cours de construction ont souffert et deux ouvrages d’art ont cédé sous les eaux, un à Saint-Leu et l’autre à Saint-Gilles-les-bains (photo). Beaucoup de canaux ont également débordé », poursuit-il.
« Les réseaux routiers et électriques ont été touchés. Il y avait encore près de 40 000 foyers sur 350 000 privés d’électricité ce mardi matin. Les réseaux d’eau potable également ont été très endommagés. Il y a eu de nombreuses coupures d’eau et beaucoup de compagnons ont travaillé tout le week-end suivant le passage de Garance pour rétablir l’approvisionnement. Nos réseaux d’eau potable affichant déjà 40 % de pertes en ligne », ajoute-t-il.
L’activité au ralenti
Anthony Lebon est inquiet pour la santé des quelque 2500 entreprises employeuses du secteur et le sort des 18 000 salariés du BTP de l’île « après une année 2024 qui a été la plus basse enregistrée avec un chiffre d’affaires d’environ 1,2 Md€. » « Nos entreprises ne sont pas frappées juste pendant les deux jours de tempête », prévient-il. « Le territoire continue d’être impacté longtemps après : l’activité est désorganisée, les réseaux routiers sont ralentis, entraînant des pertes d’exploitation et d’activité. Ce n’est donc pas simplement un vendredi de « chômé ». Nous n’avons pas pu reprendre l’activité normalement lundi. Tous les compagnons sont mobilisés par le nettoyage, l’enlèvement des détritus et des objets envolés sur les chantiers, la remise en état, les réparations. »
A un autre bout de la chaîne, le directeur général du promoteur immobilier Bécarré, Matthias Bertetto, se veut plus rassurant. « Le cyclone a bouleversé notre activité mais sur quelques jours. La Réunion dispose d’un bon maillage d’entreprises résilientes et solides sur tous les corps de métier pour faire face à ce type de situation. Ainsi, les principales voies de communication du département ont rapidement pu être rétablies », assure-t-il. Sur ses deux chantiers en cours, l’un au nord de l’île dont les fondations sont achevées et l’autre au sud en cours de livraison, le promoteur annonce, logiquement, des retards. « Nous avons dû décaler une partie des livraisons d’une semaine. De légers retards seront à anticiper pour la levée des réserves de livraison du fait de la mobilisation d’une partie des entreprises sur d’autres chantiers plus impactés », explique-t-il.
Repenser les infrastructures
C’est en réalité à plus long terme qu’il faut évaluer les conséquences de Garance assure Anthony Lebon. « Le cyclone a été intense et violent avec des vents conséquents et beaucoup de pluie. Le normatif et la réglementation insistent beaucoup sur les contraintes liées au vent, ce qui est normal avec les vents cycloniques. Le maintien à une réglementation des vents à 34 m/s dans le dimensionnement des ouvrages nous apparaît nécessaire et suffisant, mais il ne faut pas négliger la pluie. Avec le passage de Garance, c’est la pluie qui a causé des décès, c’est l’eau qui a fait des dégâts. Il y a des barrages naturels qui se créent avec des arbres, de la végétation, des détritus et qui lâchent d’un coup, impactant fortement les ouvrages … Une réflexion doit donc se porter au-delà des effets du vent cyclonique, à la prise en compte des effets de l’eau (ruissellement des eaux, inondation, marées de tempête et houle cyclonique, poussées hydrostatiques) qui sont aussi dévastateurs », avance-t-il.
« Cette nouvelle catastrophe, c’est aussi l’occasion pour nous et le territoire de penser l’entretien et le redimensionnement du réseau routier, des infrastructures, des réseaux électriques, des réseaux d’eau potable au regard des conséquences du changement climatique. En effet, à la Réunion, il n’y aura pas plus d’événements mais ils pourraient être plus intenses. L’idée est donc d’avoir une visibilité à 5,10 et 15 ans : que prioriser ? La réparation ? La maintenance ? L’entretien ? Car on voit bien que dès qu’il y a un point de faiblesse sur un ouvrage, il ne résiste pas à une catastrophe naturelle », conclut-il.
Les assurances attendues
« Après le passage de Belal, en 2024, il semble que particuliers et entreprises aient été correctement indemnisés par les assurances. Ce sont les collectivités qui ont fait savoir qu’elles n’avaient pas toutes été indemnisées au niveau espéré. Cette nouvelle crise intervient dans un moment conjoncturellement compliqué. La réactivité de nos élus et les dispositifs étatiques pour reconstruire rapidement, consolider et développer nos infrastructures vont être décisifs pour le territoire », juge Anthony Lebon.