Reprise des chantiers: l’inquiétude des architectes

Dans les agences, les professionnels déplorent le manque de cohérence de décisions qui appellent au confinement d’une part, et la «continuité de l’activité» sur les chantiers d’autre part. Après l’accord passé entre le gouvernement et les fédérations d’entreprises du BTP, le 21 mars, les architectes doutent de la possibilité de relancer les opérations en toute sécurité.

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Alors que débute la deuxième semaine de confinement, les architectes s'interrogent sur la possibilité de relancer les chantiers dans des conditions de sécurité optimales.

Il y a une semaine, les agences d’architecture fermaient leurs portes, pour respecter les obligations de confinement.

«Logiquement, nous avons obéi aux directives et le mardi 17 mars, à midi, tous les membres de l’équipe étaient à la maison mais dotés des outils nécessaires pour travailler à distance. Cela faisait plusieurs jours que nous avions anticipé, notamment en achetant des licences du logiciel BIM 360 d’Autodesk, permettant de gérer les maquettes à distance», raconte Ludovica di Falco, la fondatrice de l’agence franco-italienne Scape, qui compte neuf salariés à Paris et une à Rome.

Son confrère Cyril Trétout, architecte associé de l’agence ANMA renchérit : «pendant que nous mettions nos 60 collaborateurs en télétravail, nos 16 chantiers en cours s’arrêtaient, à la demande des promoteurs, des aménageurs ou des entreprises.»

A Nantes, Hervé Potin, de l’agence Guinée-Potin, note d’ailleurs que «certaines entreprises étaient très claires, en fin de semaine dernière, sur le fait qu’elles ne reprendraient pas le travail. Nous-mêmes avons écrit à nos maîtres d’ouvrage que nous ne nous déplacions plus…»

« Incohérence »

Mais tout ça, c’était avant que le gouvernement et les fédérations des professionnels du BTP signent, samedi dernier, le 21 mars, un accord favorisant la relance des travaux dans une optique de «continuité de l’activité». Une annonce qui plonge aujourd’hui les architectes dans la plus grande perplexité.

Pour Ludovica di Falco, «l’incohérence» est totale. Tout en reconnaissant que «cette crise peut durer et qu’il est difficile de tout stopper trop longtemps», l’architecte s’interroge : «si une entreprise décide de reprendre un chantier, comment puis-je y consentir sans me déplacer ? Car d’un point de vue contractuel et même déontologique, je ne peux pas ne pas y aller. Mais, en même temps, je risque alors de mettre ma santé ou celles de mes collaborateurs en danger

Au-delà de leur propre sécurité et de celles de leurs confrères, les architectes s’inquiètent de la situation des compagnons. «Comment les ouvriers peuvent-ils travailler à distance quand il faut être deux ou trois pour porter une charge lourde ? Et puis, ils passent leur journée à se passer des outils. Ils ne vont pas en permanence se laver les mains au gel hydroalcoolique. Ca ne peut pas marcher», estime Laurent Machet, architecte associé de l’agence Ad Lib. «Surtout qui va contrôler tout cela ?» demande son confrère Marc Sirvin, qui travaille en solo sur des projets pour des particuliers. Ce dernier poursuit avec circonspection: « je ne veux pas entrer dans une polémique politique mais on ne comprend pas très bien pourquoi tout le monde doit s’arrêter sauf certains métiers, dont ceux du BTP…»

Un rôle « incontournable »

Dans les agences, on déplore aussi que le gouvernement n’ait consulté que les instances représentatives des entreprises en omettant de convier les autres acteurs de la construction. A la suite de Denis Dessus, le président du Conseil national de l’Ordre des architectes (CNOA), puis de celui de l’Union nationale des syndicats français d’architectes (Unsfa), Jean-Michel Woulkoff, la profession tient à rappeler combien son rôle est incontournable.

Ainsi Cyril Trétout observe : «il y a bien des documents qu’on peut valider à distance, mais l’architecte a tout de même besoin de suivre le déroulement des travaux. Certains oublient que, dans le cadre de missions complètes, l’architecte est le patron du chantier et rien ne peut être fait sans concertation avec lui

Le même note enfin que, «de toute façon, si on parle de chantiers d’architecture, leur redémarrage ne pourra pas être pour demain quand on voit, notamment, les problèmes d’approvisionnement… Les usines fermes et les matériaux ne sont plus fournis.»

Hervé Potin souligne aussi le cas des opérations menées en lots séparés : «sur un de nos projets, l’entreprise de faux plafond se demandait si elle allait retourner travailler puisque l’électricien, lui, s’était arrêté. On se rend là compte que si tous les corps de métiers ne reprennent pas, les autres, de toute façon, seront bloqués. Tout cela est donc loin d’être simple. »

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