Politique urbaine : la logistique regagne le cœur des villes

Pour limiter l’impact du transport de marchandises en centre urbain, collectivités publiques et entreprises privées cherchent à réintroduire des fonctions logistiques dans les grandes villes françaises. Des expériences innovantes commencent à être menées mais le coût du foncier reste un frein majeur.

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
Franprix estime le bénéfice environnemental du transport par voie fluviale à une réduction de 37% d'émissions de CO2.

Trente-deux millions de tonnes. Voilà ce que dévore une ville comme Paris chaque année. Autant de marchandises qu’il faut livrer dans les magasins et chez les particuliers. L’alimentation des centres urbains suppose donc une noria incessante de camions avec tout ce que cela comporte de voiries encombrées et de pollution. Le fret est responsable de 25 à 30 % des émissions urbaines de gaz à effet de serre liées aux transports.

Jusqu’à une période encore récente, les collectivités territoriales semblaient pourtant rechigner à s’attaquer à ce sujet complexe, impliquant des intervenants privés nombreux (transporteurs, enseignes de la grande distribution…). Les villes françaises avaient laissé partir leurs équipements logistiques, jugés peu valorisants, à la périphérie. Puis, notamment sous la pression citoyenne, les politiques se sont rendus à cette évidence résumée par Philippe Duong, du bureau d’études Samarcande : « La logistique est un peu l’appareil digestif des villes. Il n’est pas glamour mais ne peut bien fonctionner que s’il est à l’intérieur de l’organisme. »

La réintroduction d’entrepôts et autres lieux de distribution est devenue un objectif, soutenu jusqu’au niveau national. Le plan d’urgence pour la qualité de l’air, présenté le 6 février par le ministère de l’Ecologie, souligne la nécessité de créer des lieux dédiés en ville. Il peut s’agir d’équipements de plusieurs milliers de m² tels que les hôtels logistiques, ou d’espaces logistiques urbains (ELU) de quelques centaines de m², plus centraux. Des structures qui peuvent être approvisionnées par le transport de masse, de préférence non polluant comme le train, et permettent de redistribuer la marchandise alentour par des véhicules de moindre taille et, idéalement, électriques.

Sites identifiés

Des projets ont déjà été lancés. Ainsi à Paris, la société Sogaris a aménagé un centre urbain de distribution de 3 000 m² sous la dalle de Beaugrenelle dans le XVe arrondissement et ouvrira en 2016 une halle de 35 000 m² dans le XVIIIe arrondissement (lire ci-après). Un équipement équivalent est prévu dans le secteur des Batignolles (XVIIe), à l’arrière du futur tribunal de grande instance. A Bordeaux, des espaces ont été identifiés, notamment à proximité d’infrastructures ferroviaires, avec l’objectif de créer trois hôtels logistiques. Et les agglomérations tendent à inscrire cette fonction logistique dans leur règlement d’urbanisme. Ce sera notamment le cas du PLU de la communauté urbaine de Strasbourg, à l’automne prochain.

Le prix du foncier dans les centres reste toutefois un obstacle à lever. Les entreprises de logistique, tout en nécessitant de grandes surfaces, assurent ne pas dégager une rentabilité suffisante pour assumer les mêmes prix au m² que le commerce ou le logement.

Au-delà de la question immobilière, c’est toute la chaîne qui est à repenser, insistent les professionnels. Cela implique donc aussi le mode de transport. Alors que des expériences innovantes comme celle de Franprix (lire ci-après) sont lancées, les Villes de Paris, Bordeaux ou Strasbourg étudient la possibilité de charger le fret à bord de leur tramway. Des projets toutefois complexes quand les réseaux n’ont pas été prévus à cette fin dès la conception.

Quelques expériences

Paris

L’alimentation des magasins Franprix passe par la voie fluviale

Image d'illustration de l'article
Franprix estime le bénéfice environnemental du transport par voie fluviale à une réduction de 37% d'émissions de CO2. Franprix estime le bénéfice environnemental du transport par voie fluviale à une réduction de 37% d'émissions de CO2.

Depuis près de six mois, une centaine des 350 magasins Franprix de Paris est réapprovisionnée quotidiennement en produits alimentaires par voie fluviale. Une barge en provenance de Bonneuil-sur-Marne (Val-de-Marne) décharge 26 containers au port de la Bourdonnais (VIIe arrondissement) qui sont ensuite embarqués sur des camions. Le dispositif bénéficie de la proximité de l’entrepôt de Franprix, à Chennevières-sur-Marne, avec l’infrastructure portuaire. « Il est aussi rendu possible, à Paris, par la densité importante de magasins sur un périmètre restreint », souligne Jean-Paul Mochet, directeur de l’enseigne. L’expérience fait écho au système lancé en 2007 par Monoprix, autre marque du groupe Casino, qui lui permet d’acheminer un train cinq jours par semaine depuis la Seine-et-Marne jusqu’à Bercy (XIIe). Mais si ce convoi reste cher pour Monoprix, l’expérience fluviale de Franprix « a un coût identique à la livraison par camion », assure Jean-Paul Mochet. Désormais, Franprix teste l’arrivée de marchandises depuis Le Havre qui, via le port de la Bourdonnais, rejoindront Chennevières en profitant du retour de la barge. Un doublement de la capacité du convoi entre le Val-de-Marne et Paris est aussi à l’étude. L’enseigne, enfin, réfléchit à adapter cette solution à d’autres grandes villes.

Paris (XVIIIème)

L’hôtel logistique agrégera d’autres activités et programmes pour rentabiliser la charge foncière

Image d'illustration de l'article
Sur deux hectares, la toiture de l'entrepôt sera à la fois une 5ème façade et un lieu de vie. Sur deux hectares, la toiture de l'entrepôt sera à la fois une 5ème façade et un lieu de vie.

Le projet fera école. Le programme du secteur Chapelle International (XVIIIe arrondissement), dont l’aménagement a été confié aux urbanistes de l’AUC pour Espaces ferroviaires (filiale de la SNCF), comprendra, en 2016, un hôtel logistique de 35 000 m², parmi les futurs bureaux et logements. L’entrepôt, dont la conception a été confiée à la Sogaris, une foncière spécialisée dans ce domaine, sera une porte d’entrée idéale des marchandises vers le cœur de Paris. Connecté au réseau ferré, le bâtiment, long d’environ 450 m, pourra engloutir deux convois sur 24 heures. « Pour que le fret n’entraîne aucune nuisance, tout se passera à l’intérieur », souligne l’architecte Philippe Gallois, de l’agence SAGL. Innovant, le projet le sera aussi par son montage économique. « Pour répartir la charge foncière du projet, le bâtiment fera cohabiter des activités diverses », note Christophe Ripert, directeur immobilier chez Sogaris. Le projet abritera aussi une pépinière d’entreprises, des lieux de formation, un restaurant et un centre de fitness.

Lyon

Donner aux entrepôts de marchandises « leur juste place dans la ville dense »

Image d'illustration de l'article
Idéalement situé près de la place Bellecour, l'espace logistique urbain des Cordeliers esr géré par l'entreprise Deret. Idéalement situé près de la place Bellecour, l'espace logistique urbain des Cordeliers esr géré par l'entreprise Deret. (Guillaume ATGER)

Fin janvier, le conseil de la communauté urbaine du Grand Lyon affirmait, par délibération, son ambition de « donner à la logistique urbaine sa juste place dans la ville dense ». Dans l’agglomération, le transport de marchandises représente en effet 10 à 15 % de l’ensemble du trafic. La collectivité entend notamment agir via son plan local de l’urbanisme et de l’habitat (PLU-H), aujourd’hui en cours de révision, pour « réserver à la logistique des emprises d’échelles différentes », explique Diana Diziain, chargée de mission Marchandises et Logistiques au Grand Lyon. Mais déjà, un premier espace logistique urbain (ELU) de 300 m², géré par le groupe Deret, a été mis en service en avril 2012 dans le parking des Cordeliers (ci-dessus), dans le secteur central de la presqu’île. Un autre devrait voir le jour dans le secteur de la Part-Dieu (ci-contre). A plus grande échelle, la création d’un centre de consolidation des matériaux, permettant d’alimenter les chantiers de second œuvre, est envisagée sur le port Edouard-Herriot.

A lire aussi :

« Le manque de foncier risque de déséquilibrer le marché des entrepôts »

Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires