« Les services urbains font partie intégrante de la ville intelligente », Ana Giros, directeur général Europe-Amérique latine de Suez

Arrivée en 2015 chez Suez, cette Catalane qui a fait toute sa carrière chez Alstom transport, est en charge du métier de conception-construction d’infrastructures sur sa zone. Une interlocutrice incontournable pour les groupes de BTP intéressés par les chantiers de génie civil initiés par le géant français de l’eau et des déchets. 

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
Ana Giros, directeur général Europe-Amérique latine de Suez

Quels sont les métiers de Suez ?

Le groupe en a trois. Le recyclage et la valorisation des  déchets, la gestion et la distribution d’eau et, enfin, les métiers de conception-construction d’infrastructures, que ce soit des stations de traitement d’eau potable ou résiduelle, des incinérateurs ou des unités de valorisation énergétique de déchets… La conception-construction, dont je suis responsable au sein du groupe dans la zone Europe et Amérique Latine, est un métier différent de ceux liés à la gestion des services municipaux de l’eau, même si on vend à nos clients municipaux également  une prestation de maintenance des infrastructures construites.

Comment ces métiers ont-ils évolué avec le temps ?

Dans ce qui a trait à l’eau, nous sommes passés à une étape nouvelle, celle d’une économie circulaire afin de sauvegarder et, recycler une ressource en eau devenue rare et précieuse. Cette illustration de l’économie circulaire peut se retrouver dans plusieurs solutions que nous proposons à nos clients. Toute la partie "smart water" a été développée, notamment la détection des fuites. Et dans les déchets, le phénomène se traduit par une réutilisation à l’infini des ressources. Les déchets des uns deviennent les matières premières des autres. Ce qui change aussi, c’est notre portefeuille-clients. Nous étions assez axés sur les acteurs municipaux. Aujourd’hui, nous sommes en plein dans le développement de nos activités auprès des industriels, et ceci dans toutes les filières, l’industrie  pharmaceutique, l’alimentaire, l’énergie…

Nous avons développé pour eux des offres spécifiques.

Est-ce la conséquence des déficits publics, qui restreignent les projets publics ?

Non, cela tient à la vigueur du marché venu des industriels. Il y a deux raisons à cela. D’abord, l’évolution des réglementations environnementales, que les industriels doivent respecter et qui sont de plus en plus complexes. Ensuite la prise de conscience environnementale. Et les PDG des groupes industriels portent ce souci de réutilisation de la ressource afin qu’elle fasse du sens économique et pas uniquement sociétal. L’objectif, c’est par exemple de réduire de 30% la consommation d’eau, pour optimiser les effluents de plusieurs usines plutôt que d’une seule. Au final, il y a pour nos clients industriels un apport économique, puisque ce que nous proposons fait diminuer de beaucoup les coûts. C’est un schéma assez gagnant-gagnant pour eux comme pour nous.

Les pays en phase d'intégration à l'UE

Quelle est la stratégie géographique de Suez ?

L’international est un axe de développement très important du groupe. Nous avons créé au sein de Suez une division internationale, à laquelle ma "business unit" appartient, qui réunit en Europe les métiers des infrastructures de traitement de l’eau au service des municipaux et des industriels et en dehors de l’Europe, l’ensemble des trois grands métiers de Suez. Sous l’autorité de Marie-Ange Debon, qui est directeur général adjoint en charge de l’International, nous avons divisé le monde en cinq régions : la zone États-Unis/Canada, l’Australie, l’Asie avec une activité très forte Chine/Hong-Kong, puis après deux zones très larges en termes de territoire, Afrique/Moyen-Orient-Inde, et Europe/Amérique latine. La méthode est la suivante : nous entrons dans un pays ou une région sur un projet précis, puis nous nous y ancrons. Par exemple, au Panama, Suez a remporté l’appel d’offres pour une centrale de traitement de l’eau. De là, nous avons créé un "hub" pour l’Amérique centrale et les Caraïbes, et maintenant, nous travaillons à Saint-Domingue et nous prospectons l’Amérique Centrale.

Quel est votre regard sur l’Europe, dans le cadre de votre métier de conception-construction d’infrastructures ?

Il est difficile de globaliser pour l’ensemble du continent. Disons qu’il y a deux niveaux de demande. Un, basique, au niveau de la construction dans les pays les moins avancés, notamment les Balkans. Par exemple, nous travaillons en Croatie sur des stations d’épuration d’eau pour délivrer les services d’assainissement traité basiques. Idem à Prague, en Tchéquie. Le soutien de fonds européens pour des pays qui  doivent s’adapter aux normes des  États membres  ou qui sont en phase d’intégration est important. Nous sommes encore très peu présents en Roumanie et en Bulgarie, mais ils rentrent dans cette catégorie. Nous avons pour ambition de nous développer de manière ciblée dans des pays en phase d’intégration à l’Union européenne. Nous avons justement répondu à l’appel d’offres de la ville de Belgrade pour la construction d’infrastructures de traitement des déchets, notamment avec un premier incinérateur.

Existe-t-il des grands pays européens qui sont en retard au niveau de l’eau et des déchets ?

L’Espagne est bien équipée, mais pour l’Italie, dans l’eau, nous voyons des différences entre le nord, qui a des infrastructures de très haut niveau, et le sud. Nous sommes ainsi en phase d’appel d’offres pour Naples sur des niveaux d’infrastructures basiques. Les régions du sud de l’Italie du Sud payent énormément de taxes à Bruxelles pour la pollution des eaux.

Et dans les pays les plus en avancés en Europe ?

Le premier constat, c’est que le marché ne s’effondre pas. On aurait pu le craindre au moment de la crise, en Espagne, en Italie, et même en France avec la loi "Nouvelle organisation territoriale de la République" (Notre), mais finalement, il y a toujours des investissements, car les besoins sont là. Les procédures d’appels d’offres durent plus longtemps, les financements sont plus compliqués, mais il continue à y avoir une demande soutenue des deux côtés, industriels comme municipalités. Le deuxième constat, c’est que les clients ne veulent plus d’infrastructures cachées à l’extérieur de la ville, dont personne ne sait qu’elles existent. Il y a donc tout un aspect de création architecturale dans nos infrastructures. Plutôt que de cacher, on intègre. Suez vient ainsi de construire un important incinérateur à Bilbao, un bâtiment fermé, tout en métal, très intégré à cette ville marquée par la renaissance de l’industrie lourde du Pays basque.  Dans ce cadre, Suez  fait appel à des agences spécialisées d’architecture, ainsi qu’à de grandes agences ou de petites qui ont envie de bâtir une infrastructure de traitement de l’eau ou même de déchets dans leur ville. Tous ces métiers autour des ressources et de leur préservation au sein même de la ville, avec une réelle prise de conscience environnementale, font du sens pour tous et le monde des architectes commence à s’intéresser à cela. Cela fait partie de la "smart city", des villes connectées intelligentes pour améliorer la qualité de vie de ses habitants. Et travailler avec des architectes peut être un plus pour nos clients, notamment les élus publics qui sont souvent inquiets de l’intégration de ces infrastructures dans la ville.

Gaspillage de l’eau

Le gaspillage de l’eau constitue-t-il un marché à haut potentiel ?

C’est un marché très porteur dans lequel les "smart solutions" sont importantes : détection et résolution des fuites, mesure du débit de l’eau dans les compteurs individuels via le télérelevé sur smartphone. Il y a encore une énorme déperdition d’eau dans les pays européens, mais aussi dans une zone que je connais bien, l’Amérique latine. Au Mexico, ils ont des taux de perte de plus de 50%. La priorité est donc avant tout de travailler à moderniser les réseaux de distribution d’eau pour détecter et limiter ces fuites.

Quel est justement l’état du marché en Amérique latine ?

Il y a une demande énorme en eau, autant en traitement des eaux usées qu’en eau potable, qui ne coule parfois que quelques heures par jour. Il y a des améliorations qui doivent être menées de façon forte, mais aussi intelligente, car le continent connaît des problèmes de financement. Suez propose donc souvent des modèles sous forme de partenariats public-privé PPP, des modèles sur mesure  en fonction de la demande de nos clients. Certains contrats de type BOT ("Build, Operate & Transfert") nous permettent  de construire l’infrastructure et de l’exploiter pendant une durée moyenne de 20 ans, période durant laquelle elle paye le capex. Chaque situation est différente et s’adapte aux besoins du client. C’est vraiment des business model sur mesure où  Suez  a cette capacité à aller chercher des partenaires au-delà de l’analyse technique.

Comment le sous-continent est-il divisé ?

Ce marché d’Amérique latine a été découpé en trois zones.

Le Mexique qui est un marché en soi, de par la puissance de la demande municipale, mais aussi industrielle, portée par la proximité avec les États-Unis. L’Amérique centrale et les Caraïbes. Nous y avons une base très forte au Panama, nous sommes présents en République dominicaine et nous commençons à prospecter Salvador. À Cuba, nous n’avons plus d’implantations, mais nous regardons le pays depuis la fin de l’embargo. Il y a enfin la partie sud du continent qui est dynamique, avec le Brésil, l’Argentine, le Chili, l’Uruguay. Sao Paulo, au Brésil, reste notre base  historique depuis laquelle nous développons nos activités auprès des industriels, mais nous analysons les opportunités de nous développer davantage auprès des clients municipaux, en fonction de l’évolution de la situation économique et politique.  Au Mexique, nous avons quatre BOT qui fonctionnent très bien. Nous regardons l’Argentine, qui est un marché assez important aussi bien en terme industriel que municipal. Il était bloqué jusqu’à présent, mais avec les dernières élections présidentielles, les choses pourraient changer et de nouvelles opportunités se créer.

Suez et les constructeurs

Quels sont les rapports entre Suez et les constructeurs ?

Des rapports de partenariat. Nous travaillons ensemble et nous sommes très complémentaires. Ils peuvent s’intégrer dans tous les modèles. Il y a les projets très importants où la partie génie civil est capitale. Dans ce cas, des consortiums sont créés. Quand il s’agit d’un BOT ou d’un PPP, trois entités sont souvent mises en place. La SPC ("special purpose compagny") de "tête", qui est une entreprise ad hoc et contracte avec le client. Dedans, il y a Suez, un financeur, voire le constructeur. Après, la SPC passe deux contrats. Un contrat EPC ("Engineering, procurement, and construction") qui concerne la construction dans lequel sont présents Suez et les constructeurs et après, l’O&M qui porte sur l’exploitation et maintenance des infrastructures.

Les missions du constructeur peuvent-elles porter sur l’exploitation ?

Les constructeurs peuvent intervenir dans la maintenance. Tout dépend du contrat. Mais les constructeurs français sont rarement des concurrents à la différence des grands Espagnols, qui ont des filiales exploitation comme FCC avec Aqualia…

Suez peut-il construire lui-même les infrastructures qu’il initie ?

En principe non. Nous avons seulement la compétence de l’ingénierie. Nous avons d’ailleurs parfois recours à des bureaux d’études pour des missions particulières, même si nous avons des compétences importantes en interne, notamment avec notre filiale Safege. En revanche, le chantier sera dans la plupart de cas confié à un constructeur. Parfois, nous sommes en groupement avec lui, parfois, nous sous-traitons à des génies-civilistes locaux. Tout dépend des pays et des contrats. La question des charges ou de l’implantation va notamment jouer. Si c’est un petit ouvrage et s’il y a une bonne couverture d’entreprises de travaux publics sur place, nous privilégions cette piste, car les entreprises locales connaissent bien les aspects réglementaires du pays. Si ce sont de grands chantiers, nous pouvons confier le travail à des majors européens ou de la région. Avec les Français, nous n’avons pas de préférence. Nous travaillons avec Vinci comme Bouygues, en Amérique latine on travaille souvent avec des constructeurs locaux. Néanmoins, pourquoi ne pas imaginer des collaborations avec Vinci ou Bouygues dans des pays où ils sont présents. Il faut que le mariage ait du sens : soit l’offre locale est insuffisante, soit il s’agit d’une grosse opération et nous avons besoin de quelqu’un de solide avec nous, soit le major a une implantation forte.

Plus d’informations avec Le Moniteur Export

Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Construction et talents
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires