Une vraie surprise. Le calcul du volume d'affaires de la distribution bâtiment-bricolage pour 2023 révèle une augmentation, à 86,8 Md€, soit l'exercice le plus élevé jamais relevé dans le cadre de ce Top 100 de la distribution bâtiment-bricolage. Devant notre étonnement, nous avons refait ce calcul plusieurs fois. Pourtant, pas d'erreur, c'est bien 86,8 Md€. Soit 200 M€ de plus que lors du précédent record enregistré en 2022. Pour donner une idée, ce montant correspond à la 54e place du classement, entre les groupements spécialisés en menuiserie Univerture (220 M€) et Batiman (190 M€). Bref, une vraie performance.
C'était loin d'être gagné. Si l'activité du bâtiment était dynamique en 2022 (+ 2,4 %, d'après la Fédération française du bâtiment, FFB), l'année 2023 a été « d'un tout autre acabit », comme le quotidien Les Échos l'a souligné.
De l'épargne et des loisirs
Outre le contexte économique incertain (crises géopolitiques, prix de l'énergie), traversé de fortes tensions autour du pouvoir d'achat des ménages notamment en raison d'une inflation encore élevée (+4,9% en moyenne), l'année a été plombée par plusieurs facteurs circonstanciels et multiformes.
Parmi les marqueurs les plus structurants, il faut noter la poursuite de l'augmentation des taux moyens de prêts immobiliers, qui flirteront avec la barre des 4,05 % en fin d'année (soit un quadruplement sur deux ans) et la chute concomitante des montants de crédits accordés par les établissements financiers. Ce recul a concerné tous les types d'emprunts, qu'ils aient été destinés à l'achat de logements neufs (-40,6%), anciens (-38,7%) ou au financement de travaux d'amélioration-entretien (-40,3%). La production de nouveaux crédits à l'habitat – hors renégociation – est même passée sous la barre des 10 Md€ (9,9 Md€) en août 2023. Il faut remonter à mars 2016 pour retrouver un tel niveau.
Qui plus est, les Français ont réorienté leur budget vers les loisirs (+17% pour les voyages, +10% pour les jeux vidéo, +9% pour la restauration hors foyer) et, surtout, vers l'épargne. L'encours cumulé du Livret A, du Livret de développement durable et solidaire (LDDS) et autres outils d'épargne populaire a progressé de 7%, pour atteindre 682,6 Md€, selon la Banque de France.
Chute historique de l'ancien
Les conséquences de cette situation et de ces choix sont nombreuses. La première a été l'effondrement de la demande immobilière dans le neuf : le nombre d'autorisations de permis de construire a chuté de 23,7% ; le nombre de mises en chantier s'est écroulé de 22% (et même de 25,8 % dans l'individuel). Résultat, la FFB n'hésitait plus à parler « de crise », lors de son bilan annuel : « Seuls 286000 logements sont sortis de terre, [un] niveau proche de ses plus bas historiques relevés au début des années 1990, aux environs de 275 000 unités. »
De son côté, l'immobilier ancien s'est sérieusement grippé. « Ce marché a connu une décélération extrêmement brutale, la plus forte chute des ventes depuis cinquante ans », commentait même, lors d'un point presse, Loïc Cantin, président de la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim). D'après les statistiques de Notaires de France, les ventes ont plongé de 21,1 %, pour s'établir à 885 000 transactions en France (hors Mayotte) en cumul sur un an par rapport à 2022.
La rénovation en sursis
Malgré tout, un segment a progressé : les passoires thermiques. Devant les difficultés des ménages à se financer auprès des établissements bancaires, et en raison d'une décote pouvant aller jusqu'à 25% du prix de vente, il s'était même envolé. D'après Notaires de France, la part des logements classés F et G dans les transactions globales a bondi de 7 points en deux ans. De 11 % en 2021, elle a grimpé à 16 % en 2022 pour atteindre 18 % au deuxième trimestre 2023. Fin 2023, près d'un logement sur cinq vendus en France était une résidence mal isolée. C'est plus que leur poids total (17%) dans le parc immobilier. Une manne normalement pour le marché et les artisans.
Il est vrai qu'après l'élan observé en 2021 et 2022, la rénovation énergétique était censée accélérer la cadence. Pourtant, en dépit d'une communication soutenue sur le dispositif MaPrimeRénov', elle n'a cessé de piétiner, selon le bilan publié par l'Agence nationale de l'habitat (Anah) en janvier 2024. Les ménages ont sollicité moins d'aides que les deux années précédentes. Ils ont aussi réalisé moins de travaux chez eux. Ainsi, le nombre de logements rénovés a baissé au cours de l'exercice : 624 000, contre 670 000 en 2022. L'objectif était d'atteindre les 700 000 logements. Quant au nombre de chantiers financés par MaPrimeRénov', il a diminué de 15% sur un an, avec un peu plus de 570 000 chantiers réalisés. Au point d'ailleurs que 300 M€ budgétés n'avaient pas trouvé preneur.
Déjà en difficulté sur la construction neuve (-2,3%), les petites entreprises du bâtiment (moins de 20 salariés) ont enregistré une nette dégradation sur l'entretien-rénovation (à « seulement » +1,5% en 2023 ; 0 au quatrième trimestre) et sur les travaux d'amélioration de performance énergétique (+1,8% en 2023 ; +1,5% au quatrième trimestre). Au final, elles ont terminé l'exercice dans le rouge : -0,6% sur l'année (en glissement annuel), d'après la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb).
Les faillites en forte hausse
Sans surprise, ce ralentissement s'est matérialisé par une forte hausse des sauvegardes, procédures de redressement et liquidations judiciaires. Avec plus de 14 100 entreprises du bâtiment et des travaux publics en faillite, la filière a même concentré à elle seule un quart (24 %) de toutes les banqueroutes comptabilisées par Altares en 2023, soit une augmentation de 40,7% par rapport à l'exercice précédent. « Ce bilan nous ramène à des seuils similaires à 2016, une période marquée par les crises financières et européennes », analysait alors Thierry Millon, directeur des études du cabinet d'analyse. Les activités ayant subi le plus fort impact sont évidemment le gros œuvre (+44,1%) avec la maçonnerie générale (+50,5 %), mais également le second œuvre (+38,9%), et notamment les travaux d'installation électrique (+48,3%).
Crise en perspective
Nonobstant un tassement du rythme de l'inflation (+2,1% sur un an en juin 2024) et la détente en cours sur le marché du crédit (la Banque centrale européenne a encore abaissé son taux directeur en septembre, à 3,50%), la situation ne s'arrange pas en 2024. À fin juillet, les mises en chantier reculent encore de 13,4%. À ce rythme, la FFB prévoit la construction d'environ 260 000 logements pour la fin de l'année, soit « un niveau proche de celui de la fin des années 1950 ». Les permis, qui reculent encore de 9,9% sur la même période, « ne laissent pas espérer de rebond prochain ».
L'amélioration-entretien, elle, progresse encore, mais de moins en moins vite. Au deuxième trimestre 2024, elle est en hausse de 1,1% par rapport à la même période de 2023, hors effet prix. Toujours selon la FFB, cette activité est « toujours pénalisée par la réforme ratée de MaPrimeRénov' tout début 2024. Malgré l'assouplissement bienvenu de ce dispositif en mai, la rénovation énergétique n'a progressé que de 0,4%. De plus, les remontées de terrain ne laissent guère espérer d'accélération d'ici à la fin d'année ». Face à tant de paramètres contraires, les ventes s'affalent et aucun acteur du négoce ne sort indemne. D'après plusieurs acteurs des matériaux de construction, les baisses sont même « extrêmement fortes », et presque toutes les familles de produits « sont dans le rouge ». Pourtant, les enseignes se préparent à une sortie de crise prévue, pour les plus optimistes, sur la seconde partie de 2025. Elles investissent dans les systèmes d'information, décèlent des opportunités en pariant sur de nouvelles familles de produits, développent de nouveaux concepts. Bref, elles n'abandonnent pas. Pour reprendre Jack Ma, créateur et patron d'Alibaba, « aujourd'hui est difficile, demain sera probablement pire, mais après-demain sera ensoleillé. Si tu abandonnes demain, tu ne verras jamais le soleil ».