Le « 7 familles » de l'archi 5/7 - Les Dubuisson ou l'héritage accepté

 

La lignée a légué nombre de réalisations iconiques à la France. Son dernier représentant, Thomas, est aujourd'hui amené à travailler sur ce patrimoine.

 

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Thomas Dubuisson dans les volumes mis à nu, en attente de leur transformation, de l'ancien musée des Arts et Traditions populaires (ATP) que son grand-père Jean avait réalisé.

Quand Thomas était petit, il jouait du piano chez son grand-père, Jean, un homme doux, mélomane, amateur d'opéra et de peinture. Leur relation, très affectueuse, tournait autour de discussions sur la culture : « Nous avons dans la famille une sensibilité artistique très marquée, et cela me manquait à l'école, raconte aujourd'hui Thomas. Alors je faisais beaucoup de musique, mais pas mes devoirs. Je m'ennuyais à l'école, tout comme mon père et mon grand-père… Je m'en fichais, mon grand-père aussi. » Ce n'est que bien plus tard, alors qu'il était étudiant en école d'architecture, qu'il apprit que son nom, Dubuisson, était connu. Et qu'il l'était déjà depuis quatre générations.

Impulsion initiale. Car avant Thomas, il y eut Sylvain. Avant Sylvain, il y eut Jean. Avant Jean, Emile, et avant Emile, Alphonse. C'est lui qui, au XIXe siècle, donna l'impulsion initiale. Rien ne le prédestinait à l'architecture, il avait débuté comme dessinateur dans les nouvelles mines de Lens (Pas-de-Calais) en 1855 avant d'embrasser la profession qui allait rendre son patronyme célèbre. C'est lui aussi qui, le premier dans la famille, fit de la question du logement un point central de sa pratique : « Dans le Lille du début du XXe siècle, le thème de l'amélioration de l'habitation, véritable antienne dans le discours d'Alphonse Dubuisson, est aussi celui auquel se consacrent bientôt Emile et Jean », souligne l'historienne de l'architecture Elise Guillerm, dans son ouvrage « Jean Dubuisson - La main et l'esprit moderne », paru en mars dernier aux éditions MétisPresses.

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Alphonse, comme Emile et Jean après lui, fut aussi un enseignant doué. Il donna cours aux Ecoles académiques de Lille, devenues « Ecole régionale des Beaux-Arts ». Emile enseignera, lui, à l'Ecole régionale d'architecture de Lille, et Jean à l'Ecole d'architecture Saint-Luc de Tournai, en Belgique. Si Alphonse fut un notable connu dans le Nord, « un homme vertueux, un honnête homme », selon Elise Guillerm, Emile fut le premier à accéder à une renommée nationale : il fut l'architecte de l'hôtel de ville de Lille, livré en 1932, magistrale réalisation avec son beffroi haut de 105 mètres, véritable phare rayonnant sur toute la métropole. « J'ai découvert les plans de l'hôtel de ville il y a une dizaine d'années, raconte aujourd'hui Thomas, et c'est phénoménal : il y a plus de 1 000 documents, la maîtrise du dessin est dingue. Emile avait une vision à la fois globale et très précise, c'est sidérant. » Cette faculté de concevoir l'ensemble tout en étant capable de s'intéresser au plus petit détail a été transmise au fils d'Emile, Jean, la superstar de la famille. Malgré une courte période de désamour à la fin du XXe siècle, il est aujourd'hui reconnu comme l'un des grands maîtres de l'architecture des Trente Glorieuses, lorsqu'il était urgent de remettre un toit au-dessus de la tête de chaque Français. La monumentale barre de la rue du Commandant-Mouchotte (Paris XIVe), la résidence du parc de Rocquencourt et le Shape Village à Saint-Germain-en-Laye, tous deux dans les Yvelines, des dizaines et des dizaines d'immeubles gigantesques partout en France, c'est lui.

« La personnalité d'un architecte est faite d'une “sédimentation d'images”, écrit Elise Guillerm. Les représentations qui appartiennent à Jean Dubuisson sont celles d'un bâtisseur, grand constructeur de logements, redoutable patron d'agence. »

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Personnalité écrasante. Pour ses enfants, sa personnalité est écrasante, sa notoriété à la fois une chance pour s'insérer dans le métier, ce que feront deux de ses fils, Sylvain et François, et un poids parfois bien lourd à porter.

Sylvain, en particulier, va choisir une voie diamétralement opposée. En réaction au gigantisme de Jean, il répond par l'infiniment petit, raconte Thomas : « Mon grand-père construisait des bâtiments d'un kilomètre de long, mon père dessine une tasse, à la main et à l'échelle ; Jean avait une ribambelle de collaborateurs, Sylvain travaille seul. » Pourtant, ce dernier n'est pas si éloigné de son père qu'il n'y paraît : Jean, comme Emile avant lui, s'est toujours intéressé à l'ameublement et aux objets.

Thomas, lui, s'est longtemps cherché. Le premier nom de son agence, cofondée en 2006 avec son épouse Caroline Barat, était d'ailleurs Search. Le couple revendiquait son « apprentissage itinérant » chez les plus grands, Rem Koolhaas et Frank Gehry pour lui, Thom Mayne pour elle. En 2019, le couple finit par assumer son héritage, et Search devient Dubuisson Architecture. Car entre-temps, Thomas Dubuisson a été appelé à travailler avec les équipes de Frank Gehry pour rénover l'un des bâtiments iconiques de Jean, le musée des Arts et Traditions populaires (ATP), à Paris, dont la sobre pureté vieillissante fait face, dans le bois de Boulogne, à l'aérienne fondation Louis-Vuitton. « C'est un bel alignement de planètes : je connaissais et admirais Frank Gehry, les équipes de LVMH étaient venues me consulter sur la volonté de la famille… c'est magique. Cette association fait prendre une autre échelle à notre agence et nous fait avancer professionnellement et intellectuellement », se réjouit Thomas. Qui retrouve ainsi son grand-père, dix ans tout juste après le décès de celui-ci.

La semaine prochaine : la famille Sirvin.

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