Solal, 3 ans, incarnera-t-il la quatrième génération de Dottelonde architecte ? « Ça me botterait bien ! » confie son père David qui exerce, comme son épouse Gabrielle Toledano, ce « métier épanouissant ». A moins que ce ne soit leur petit dernier, Noah, âgé de quelques mois, qui assure la relève ? En attendant, le regard bleu de René, 90 ans, pétille devoir son arrière-petit-fils déjà lire le Neufert, la bible des professionnels de la construction. Le patronyme de son grand-père, David a choisi de ne pas l'afficher sur la porte de son agence en 2014 et œuvre de manière plus anonyme au sein d'un collectif, l'Atelier Senzu. « Ce nom, Dottelonde, m'attirait beaucoup de sympathies, mais j'avais besoin de faire mon propre chemin », explique-t-il. Pourtant, au départ, il s'était inscrit dans les pas de son aïeul, puisque l'un comme l'autre ont été formés à l'architecture dans l'école de la rue Jacques-Callot, à Paris (VIe).

Reconstruction. L'adresse était encore celle des Beaux-Arts quand René y a débarqué de Normandie. Né en 1931 au Havre, ce dernier a grandi « dans une ville détruite par la guerre qu'il a fallu reconstruire ». Et le patriarche d'ajouter : « Face à ce chantier, la vocation d'architecte me paraissait évidente. » Fils de navigateur à l'origine viking revendiquée - d'où, peut-être, son indéfectible moustache - René est « parti de zéro ». Il s'est fait un nom en édifiant en 1972, avec l'aide des ingénieurs Jean Prouvé et Léon Pétroff, l'ensemble universitaire de Lyon-Bron (Rhône), caractérisé par son architecture dite proliférante. Il était aussi épaulé par Inge-Lise Wunsch-Weeke, une consœur danoise et francophile rencontrée lors d'une fête de l'AUA en 1965. Ensemble, ils auront une fille, Phine. « Inge-Lise était une femme éblouissante, brillante et tellement cultivée par rapport aux architectes français de l'époque », souligne René.

Détour scandinave. Phine, qui s'appelle Weeke-Dottelonde, a si souvent vu ses parents « s'engueuler autour de projets » qu'elle ne voulait pas se lancer dans la même carrière. Refusée aux Arts décoratifs, mais acceptée à l'école d'architecture Paris-Belleville, elle a suivi le cursus jusqu'au diplôme. Mais avant de le passer, elle s'interrogeait encore sur son avenir. Architecte ou pas ? Sa mère, qui est décédée en 2017, l'emmenait depuis toute petite sur les chantiers et lui avait parlé de l'architecture scandinave. Il n'en fallait pas plus pour que la jeune Phine parte visiter les bâtiments d'Alvar Aalto. « A Seinäjoki, en Finlande, j'ai rencontré par hasard Edith Girard, ma professeure d'architecture. Nous avons fait un sauna et plongé nues dans un lac ! J'en suis revenue en me disant que j'avais peut-être ce métier dans la peau. » Phine non plus ne souhaitait pas être « la descendante de… » et a d'abord pris le large pour aller étudier et travailler à New York.
A son retour, René passait le cap des 70 ans. « J'ai alors accepté la main qu'il me tendait et que j'avais jusqu'alors toujours refusée », raconte-t-elle. Ils remportent notamment le concours pour la bibliothèque universitaire du Havre, inaugurée en 2006, à laquelle ils apportent une touche scandinave en donnant à son atrium des lignes sinueuses inspirées du vase Savoy d'Alvar Aalto. « René n'était pas le bienvenu sur ses terres natales, il était considéré comme un Parisien. Mais ce bâtiment que nous avions conçu ensemble a été très bien accueilli localement », remarque Phine. Son demi-frère Pierre, père de David et né d'une première union de René avec l'urbaniste Annik Osmont, est historien et contribue à sa façon au récit familial : « Je publie des portraits de villes, dont bien sûr plusieurs sur celle qui nous est si chère : Le Havre ! »
La semaine prochaine : la famille Moga