L’organisation du groupe NGE a été modifiée depuis le 1er juillet. Pourquoi ce changement ?
Antoine Metzger : En cinq ans, notre chiffre d’affaires est passé de 870 millions à 1,4 milliard en 2013. Pour nous adapter à cette forte croissance, Joël Rousseau a fait le choix de modifier l’organisation du groupe. Mais ce n’est pas la révolution ! Joël Rousseau, Gilbert Roux et moi-même dirigions déjà l’entreprise de manière collégiale. Nous nous sommes répartis les rôles différemment. Joël Rousseau, qui demeure actionnaire contrôlant du groupe, prend la tête du Conseil stratégique : à lui la vision à long terme, le pilotage de la stratégie en matière de croissance externe, ainsi que les relations avec les partenaires financiers et les grandes institutions. Gilbert Roux, devient quant à lui directeur général du groupe et membre du Directoire. L’autre évolution consiste à faire entrer au Comité exécutif un certain nombre de jeunes directeurs opérationnels, ce qui permet de rajeunir la direction de l’entreprise et d’augmenter encore la proximité avec les acteurs de terrain. Cette nouvelle organisation va nous permettre d’être encore plus réactifs et agiles face à l’accélération des grandes mutations des travaux publics.
Quelles sont ces mutations des TP que vous identifiez ?
A.M : Depuis quelques années les travaux publics se sont orientés vers les problématiques urbaines alors qu’ils étaient longtemps restés cantonnés aux « campagnes ». Parmi les grandes mutations figurent aussi les projets financés en partenariat public-privé (PPP et concessions). Même si les PPP et les concessions ont parfois mauvaise presse, le manque de budget des collectivités les rendra incontournables. Certains de nos concurrents ont eu tendance à s’en désintéresser. Pas nous. Nous avons décidé de conserver au sein de l’entreprise une expertise sur les PPP, et nous avons structuré et renforcé nos équipes dans le domaine. Nous sommes actifs sur de nombreux PPP, en cours d’exploitation, comme l’A88, en cours de travaux (A150), ou en cours d’appel d’offres.
Comment percevez-vous la conjoncture économique en France ?
A.M : Je ne suis pas particulièrement inquiet. D’abord parce que l’entrepreneur que je suis est d’un naturel optimiste et voit toujours le verre à moitié plein. Les bouleversements sont des opportunités de croissance ou d’adaptation, non pas des potentiels de décroissance. Ensuite parce qu’un certain nombre de grands sujets comme le plan de relance autoroutier, le Grand Paris, la nécessaire rénovation des réseaux ferroviaires sont porteurs d’espoir. Cela étant, si je ne suis pas inquiet, je suis néanmoins préoccupé. La commande publique représentant 80% de notre chiffre d’affaires, la dégradation de l’état des finances publiques ne fait évidemment pas notre affaire. Mais je suis convaincu que des solutions vont être trouvées pour pallier à ces difficultés : le pays ne peut pas cesser de s’équiper.
Comment vous positionnez vous sur le marché des travaux ferroviaires ?
A.M : Il y a aujourd’hui une vraie concurrence dans les travaux ferroviaires. En attendant le futur GIU (gestionnaire de l’infrastructure unifié, qui regroupera notamment RFF et SNCF Infra, ndlr), la politique de travaux mise en place par RFF est efficace : le marché croît, mais l’offre et la demande s’équilibrent, si bien que les prix ne grimpent pas. Cela dit, certains chantiers sont difficiles financièrement pour les entreprises. Plutôt qu’en tirant les prix, nous sommes persuadés que les économies recherchées par la création du GIU viendront de la visibilité donnée aux entreprises à moyen terme, qui leur permettront de réaliser les lourds investissements propres aux matériels ferroviaires. Il ne faut pas oublier que les travaux ferroviaires sont très capitalistiques : lorsque notre filiale ferroviaire TSO achète une bourreuse ou une dégarnisseuse, c’est un investissement sur les trente à quarante ans à venir.
Qu’en est-il de votre parc matériel ?
A.M : A l’heure où de nombreuses entreprises restreignent leur parc matériel, nous continuons à le développer. C’est une preuve de confiance que nous donnons à nos clients. 70 millions ont été investis en 2013, en hausse par rapport à 2012, et nous allons y allouer la même enveloppe en 2014. Nos six métiers sont concernés, en particulier le ferroviaire et le terrassement, mais aussi le génie civil, auquel nous croyons beaucoup.
Quels sont vos objectifs dans le génie civil ?
A.M : Nous avons un objectif clair : être le quatrième génie civiliste français dans les trois ans. Nous sommes partis de rien dans le génie civil il y a quinze ans. A force d’opiniâtreté, nous nous sommes fait une place dans le secteur, nous avons formé des jeunes selon nos valeurs. Aujourd’hui, le chiffre d’affaires de cette activité atteint 200 millions d’euros et croît de manière organique de 15 à 20% par an. Notre filiale NGE Génie civil est présente sur toutes les régions, et en particulier en Ile-de-France. Mais nous misons aussi beaucoup sur les grands chantiers, pour lesquels nous avons beaucoup de références, la plus marquante étant ce que nous avons réalisé sur la LGV Sud Europe Atlantique.
Quelle place accordez-vous à la formation ?
A.M : NGE possède la particularité de mettre les hommes au cœur de sa stratégie, et nous le prouvons. Notre plateforme de formation interne, créée il y a quinze ans, a prodigué 150 000 heures de formation cette année à 5 800 stagiaires. Nous avons aussi la conviction qu’insérer les jeunes est l’un de nos devoirs, et nous avons eu 250 contrats de professionnalisation en 2013. Par ailleurs, nous avons recruté plus de 1 000 personnes en 2013.
Quelles sont vos ambitions à l’international ?
A.M : L’international est une des pistes de développement du groupe. Aujourd’hui, il ne représente que 5% de notre activité. Nous allons tout d’ abord nous appuyer sur notre filiale ferroviaire TSO, que nous avons acquise en 2011, qui est présente depuis 40 ans partout dans le monde. Avec elle, nous participons aux deux plus grands projets ferroviaires d’Europe : TSO est le pilote des superstructures sur la LGV SEA, et est présente sur le projet Cross Rail, à Londres. Ce sont deux magnifiques vitrines qui devraient nous ouvrir les portes d’autres grands projets dans le monde. Nos cinq autres métiers sont fédérés à l’international sous la bannière NGE Contracting. NGE contracting a obtenu des marchés seule en Côte d’Ivoire, au Maroc, où nous venons d’intégrer une entreprise routière (Générale Routière, 500 personnes, 30 millions d’euros de CA). NGE Contracting est en plein essor : nous voulons doubler son chiffre d’affaires en deux ans. Cela passera notamment par un développement en Europe et au Moyen Orient, où nous sommes en phase de recherche avancée : nous attendons des réponses à des appels d’offre pour cet automne.
Quelle place accordez-vous à l’innovation ?
A.M : Avec la sécurité, l’innovation est l’une des valeurs essentielles du groupe. Elle est présente sur tous nos métiers, où elle s’y décline très différemment. Dans les terrassements par exemple, chaque chantier est un prototype, et l’innovation se niche dans l’approche méthodologique, qui doit s’adapter à chaque nouvelle situation pour optimiser les mouvements de terres. Nous misons aussi sur les innovations technologiques. Nous allons par exemple révolutionner le marché de la géotechnique avec la paroi ad/hoc, une innovation de rupture dans le domaine des parois clouées, portée par notre filiale GTS en lien avec l’Ifsttar. Dans le ferroviaire, l’innovation la plus emblématique est le BOA, une machine qui renouvelle les rails. Elle a certes cinq ans, mais à l’échelle de la durée de vie de quarante ans de l’engin, c’est encore une nouveauté !
Notre complémentarité et notre expertise sur les différents métiers des travaux publics nous permettent de concevoir l’innovation de manière transverse. La pose des rails sur une voie béton rassemble des expertises qui ne sont pas très éloignées. Un comité d’innovation réunit des représentants de tous les métiers.
Quelles sont vos perspectives de croissance ?
A.M : Nous allons continuer à grandir, car nous sommes convaincus que c’est la seule stratégie viable. En termes de croissance externe, nous sommes à l’écoute du marché, et saurons saisir les opportunités pour nous adapter aux besoins des clients. Les travaux maritimes font partie des sujets que l’on regarde. En France, nous voulons étendre la palette « métiers » (terrassement, chaussée, génie civil, canalisations) à nos quatorze régions. L’objectif est que chacune de nos régions soient actives dans les quatre métiers. Pour acquérir plus vite un métier dans une région, il n’est pas impossible que nous ayons recours à de la croissance externe si l’opportunité se présente. Côté croissance organique, nous allons plutôt chercher à développer les activités dans le génie civil et en travaux ferroviaires. Nous allons aussi pousser les travaux souterrains, et nous n’excluons pas de nous présenter en co-traitance sur les marchés du Grand Paris, bien que nous ne possédions pas de tunnelier.
Comment une Entreprise de Taille intermédiaire (ETI) comme NGE se positionne-t-elle par rapport aux majors ?
A.M : Plus qu’une ETI, je considère NGE comme une PME ! C’est en tout cas l’état d’esprit que nous conservons, avec nos 7 500 salariés. La notion de PME renvoie en effet aux notions d’esprit de famille, de réactivité. Dans notre entreprise, l’individu n’est pas noyé dans un système. C’est l’une des valeurs que nous entendons conserver tout en grandissant. Si nous nous rendons compte que le prix à payer de la croissance est la perte de nos valeurs, nous changerons de stratégie. Mais nous n’avons pas encore atteint ce plafond de verre !