Fondée en 2014, l’agence d’architecture Buzzo Spinelli est installée sur le port de plaisance de Bonifacio (Corse-du-Sud), à portée de regard sur deux de vos réalisations : la Maison des pêcheurs, inaugurée en juin 2016, et la crèche Montlaur, ouverte en avril 2023. Comment gérez-vous cette hyper-proximité ?
Isabelle Buzzo : Construire ici, dans ce territoire que nous connaissons par cœur, c’est engageant pour la vie. Car on sait que les maîtres d’ouvrage, les usagers et les habitants se tourneront toujours vers nous pour parler de telle ou telle réalisation. Ça n’est pas évident à gérer au quotidien lorsque les projets rencontrent des difficultés. Mais on essaye de faire de la proximité une force, en Corse comme ailleurs, en étant hyper-présents sur nos chantiers.
Jean-Philippe Spinelli : Etre près des gens permet d’établir une relation de confiance avec eux. Ça les encourage aussi à nous challenger, et réciproquement, pour le bien du projet. Plusieurs mois après la livraison de la crèche Montlaur, on s’y rend encore pour vérifier avec les utilisateurs ce qui fonctionne ou pas et apporter des améliorations. C’est très important d’avoir leurs retours, d’autant que nous les côtoyons dans la vie de tous les jours. Et dans un territoire aussi resserré que celui de Bonifacio, bien ou mal, tout se sait.

Vous dites que la crèche Montlaur « cristallise » certains des principes essentiels qui guident la fabrication de vos projets. Lesquels en particulier ?
I.B. : Le respect de l’héritage patrimonial d’un site est primordial pour nous. A Bonifacio, et plus précisément dans l’ancien quartier militaire Montlaur, les traces du passé sont très prégnantes : casernes, églises, moulins à vent et axe historique reliant le centre-ville au cimetière marin. La crèche tisse un lien urbain entre tous ces éléments en créant un nouveau maillage piéton autour d’elle. La nouvelle esplanade paysagère n’était pas demandée dans le programme, ni même celle de la Maison des pêcheurs, mais nous essayons de mettre l’espace public au cœur de chacun de nos projets.
J.-P. S. : Nous cherchons aussi à remettre les artisans au sein du processus de construction et utiliser les matériaux disponibles sur place. Ici, sur cette falaise de calcaire, bâtir une enceinte en béton de chaux avait du sens. Il nous a fallu huit mois pour mettre au point la formulation. La chaux, qui sert de liant à ce béton non armé, a été mélangée à des agrégats issus des déroctages effectués durant le chantier. Le tout a ensuite été damé par des maçons, strates après strates, comme du pisé. Cette empreinte de la main de l’homme apporte une autre dimension au bâtiment.

En plus de Bonifacio, vous avez une autre agence à Paris (IIe). Comment fonctionne-t-elle ?
I. B. : On nous pose souvent la question sur la coexistence de ces deux agences. A nos yeux, ce sont juste deux lieux géographiques différents, mais avec une philosophie commune. Les architectes à Paris travaillent sur des projets en Corse et vice versa. C’est très important pour nous.
J.-P. S. : Nous abordons les sujets exactement de la même manière. A Paris, l’environnement que nous rencontrons est plus bâti qu’en Corse. Nous y avons plus de chantiers de réhabilitations et/ou de surélévations de bâtiments. Néanmoins, il s’agit dans un cas comme dans l’autre de construire sur une topographie existante et dans un contexte patrimonial fort. Tous ces projets, et les échanges qui les accompagnent, nourrissent notre pratique.