Pour tout Bordelais, le patronyme Moga évoque d'abord quatre frères, Alfred, Alphonse, André et Alban, qui ont marqué la chronique locale par leur passion du rugby, un goût pour la chose publique mais aussi le grand boulevard d'entrée de ville ainsi baptisé en leur honneur. Aujourd'hui, le nom est aussi celui d'une affaire d'architecture en famille puisque Michel, le fils d'André, travaille avec sa nièce Cécile au sein de l'agence MOG, créée en 2015 avec leur confrère Julien Mogan.
Racontée par Michel, cette histoire singulière, qui fait écho à celle de la ville, est d'abord celle de l'immigration : « Nous ne sommes pas de vieille famille bordelaise ; mon grand-père paternel, Miguel Moga, est venu du val d'Aran [source de la Garonne en Catalogne, Espagne, NDLR] à Bordeaux en 1908. » Il dirige une entreprise de transport de bestiaux entre l'abattoir et le marché des Capucins. Quant à sa grand-mère, Marceline, elle tient un atelier de charcuterie. Des commerçants donc, qui s'impliqueront dans la Résistance pendant la guerre. « Marceline a caché l'officier allemand renégat qui avait neutralisé les explosifs destinés à détruire le port de Bordeaux », relate Michel.

Vie de la cité. Dès la fin des années 1930, Alphonse, André et Alban se font connaître sur les terrains de rugby : ils sont joueurs accomplis, et Alban devient même international. Quant à André, il sera le président du club de Bègles de 1958 à sa mort en 1992, et vice-président de la Fédération française de rugby de 1966 à 1991. Engagés, les frères le sont aussi dans la vie de la cité : « Ami avec Jacques Chaban-Delmas [maire de 1947 à 1995, NDLR] qu'il avait connu à Paris à la fin de la guerre, André ramenait celui-ci à dîner chez ma grand-mère. Mon père a d'ailleurs été conseiller municipal pendant vingt ans », poursuit Michel.
Ce dernier devient donc le premier architecte de la famille. Avec une mère formée aux Beaux-Arts et une grand-mère fille d'entrepreneurs creusois, il trouve sa vocation vers 14 ans : « Enfant, j'étais le roi du Meccano. Je voulais être architecte. Après le bachot, obtenu avec mention, j'ai pu m'inscrire à l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich, en Suisse. » Celle d'Albert Einstein, mais aussi des Suisses Herzog & de Meuron qui y ont été étudiants un an après lui. Là-bas, Michel suit en allemand l'enseignement de disciples de Le Corbusier, d'anciens du Bauhaus et croise Aldo Rossi. En 1976, il s'installe à Bordeaux avec son épouse, Jo. Suivent deux décennies de travail dans la métropole, la réhabilitation de beaux immeubles anciens et celle du stade Lescure. En Aquitaine, l'apport de Michel Moga à la discipline passe aussi par l'ordre régional, qu'il préside de 2007 à 2013.

Enseignants exigeants. Quant à Cécile, sa nièce, elle assure avoir trouvé sa voie dès son plus jeune âge : « Mon père peignait beaucoup, ma grand-mère Léa réalisait des maquettes, et mes parents m'ont fait visiter les villes européennes. Surtout, mon oncle Michel m'adonné le goût de l'architecture. J'ai fait très tôt des stages dans son agence. » Photographe de l'urbain, elle découvre les réalisations de Souto de Moura et rencontre Alvaro Siza alors qu'elle étudie en Erasmus à Lisbonne (Portugal). Entrée à l'école d'architecture de Bordeaux, elle suit l'enseignement de Jacques Hondelatte et de Xavier Leibar, « terriblement exigeants ». Montée à Paris, elle travaille trois ans chez Jean-Michel Wilmotte avant de revenir à Bordeaux.
Des diverses influences de Michel, Cécile et de leur associé Julien Mogan se dégage le fil commun de leurs projets : un dessin épuré qui valorise le bâti, y compris ancien, avec les techniques contemporaines et une conception qui anticipe les modes actuelles de sobriété des formes et matériaux. Le tout fabrique une architecture à vivre, à Bordeaux ou ailleurs.
La semaine prochaine : la famille Dubuisson.