Interview

« La défiscalisation doit être fléchée vers le logement de qualité », Christine Leconte, présidente du conseil national de l'Ordre des architectes (Cnoa)

Architecture -

Pour la présidente du Cnoa, la prise en compte des enjeux sociétaux et environnementaux doit mener à un élargissement des pratiques.

 

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« Une récente étude montre l’importance des mètres carrés sans utilité préétablie dans les logements. »

La qualité du logement fait débat en France. Partagez-vous l'analyse du récent rapport Girometti-Leclercq ?

Oui. Depuis la loi Elan (2018), les architectes alertent sur la nécessaire prise en compte des critères qualitatifs dans la fabrication du logement neuf : lumière, surface, volume, espace, réversibilité, parties communes, etc. Et aussi sur la valeur d'usage : où mettre le lit ? pourquoi la cuisine est-elle reléguée au fond du salon ?, etc. Le confinement du printemps 2020 a mis en exergue le manque d'espaces extérieurs, l'exiguïté des pièces… Pour entrer dans l'épure économique, le carcan des normes, le coût du foncier et du portage ont fini par donner naissance à des logements uniformisés, inadaptés aux besoins actuels, qui oublient l'utilisateur final pour ne répondre qu'à des dispositifs de défiscalisation.

Au-delà du constat, que propose l'Ordre des architectes ?

Le logement n'est pas qu'un produit économique. L'argent public doit contribuer à un patrimoine urbain de qualité : s'il y a défiscalisation, via un « Pinel » par exemple, alors des critères doivent être appliqués. Au niveau territorial, des chartes peuvent aider les élus à construire une offre qualitative, après concertation avec leurs administrés. La question est de les faire accepter par les promoteurs… L'Etat doit réunir les acteurs sur ces sujets, notamment la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI). L'alternative ne se résume pas à la maison individuelle versus le collectif de logements.

D'autres modèles existent : habitat participatif, maison de ville, habitat intermédiaire, etc. Mais j'insiste : toute aide à la défiscalisation doit être fléchée vers du logement de qualité.

Précisément, qu'est-ce qui fait la qualité d'un logement ?

Là réside la question de la création architecturale, de la plus-value apportée par l'architecte dans l'intelligence d'un plan de logement, dans la conception d'un bâtiment et de la fabrication de la ville. Une large part repose sur du ressenti, de l'immatériel : ambiances lumineuse, thermique, acoustique ; sensation d'espace ; usage ; confort.

La récente étude de l'Institut des hautes études pour l'action dans le logement (Idheal) montre l'importance des « mètres carrés du hasard », sans utilité préétablie. L'important, c'est la manière dont les gens s'approprieront leur logement.

Ce sont ces « mètres carrés impensés » qui font la différence, et qui sont absents des espaces très contraints. L'architecte apportera cette qualité pour sortir du standard et habiter un lieu et un territoire.

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Offrir davantage de mètres carrés, de hauteur sous plafond, n'est-ce pas aller contre la compacité et l'économie de matériaux ?

Un juste équilibre est à trouver entre enjeux sociétaux et exigences environnementales. L'idée n'est pas de faire plus grand mais de faire mieux et autrement : que partager ? que conserver ? Pour freiner l'étalement urbain, densité et compacité doivent aller de pair avec de nouvelles formes d'habitat, de nouvelles typologies. Les architectes sont légitimes pour imaginer des espaces ingénieux, avec des lieux de l'intime et des lieux de partage, à l'échelle du bâtiment, de l'îlot, de la ville. Une nouvelle pensée architecturale et urbaine est possible en inventant des communs domestiques et urbains, des espaces partagés, etc.

Les élus locaux sont-ils sensibles à ces préoccupations ?

Oui, et de plus en plus. J'aurais aimé le dire devant la commission Rebsamen (pour la relance de la construction) mais le maire de Dijon, son président, était seul lors de notre audition. Lorsque l'espace bâti est médiocre, les habitants le rejettent. L'alliance élus-architectes est indispensable pour co-construire un « récit de ville » et renouer le dialogue avec les habitants qui sont rarement les interlocuteurs de l'architecte face aux acteurs de la filière (développeur urbain, aménageur, promoteur, services techniques, etc.) A Bordeaux, le bailleur Aquitanis propose du participatif social : il suffit de voir le bonheur des habitants - au même coût de sortie - pour comprendre l'importance de la concertation.

Nous y avons conduit la ministre du Logement, Emmanuelle Wargon, lors du récent congrès HLM : elle a reconnu combien la qualité spatiale pouvait changer la vie. Les bons exemples ne manquent pas : aidons-les à émerger partout, dès l'amont, pour influer sur l'élaboration de la commande et sur son suivi.

Comment expliquer l'absence d'architectes dans la commission Rebsamen ?

Cette commission démontre l'échec de la loi Elan pour ce qui devait contribuer à un « choc de l'offre ». J'ai pris la présidence de l'Ordre après que la commission a été constituée par le Premier ministre : visiblement, nous n'étions pas utiles au tour de table… Nous avons tout de même été auditionnés pour porter la parole du collectif créé pour l'occasion (Ordre, syndicats, MAF, Académie, conseils régionaux des architectes). Mais ce n'est pas comme participer aux travaux… Nous avons élargi le débat parce que la feuille de route nous semblait focalisée sur la seule quantité de logements. L'enjeu est d'articuler quantitatif et qualitatif. Les programmes de qualité stimulent le désir d'architecture.

Vous avez récemment déclaré au « Figaro » être « prête à construire moins ». Comment faut-il l'entendre ?

Le propos a fait réagir… Construire, ce n'est pas que construire du neuf. C'est aussi, et de plus en plus, réhabiliter l'existant, composer avec le déjà-là, le réparer, le transformer, et cesser de démolir. Plus de 80 % de la ville de demain existe déjà, et c'est notre rôle d'intervenir sur cet existant. Face à la pénurie naissante de matériaux, au gaspillage du territoire, il est grand temps de privilégier le réemploi, l'économie circulaire, les ressources locales. L'image de l'architecte démiurge qui part de la page blanche a vécu.

Comment peser sur les enjeux de la présidentielle de l'an prochain ?

L'aménagement du territoire, la transition écologique et la question du logement ne sauraient être oubliés ni dissociés. Les Gilets jaunes et le confinement nous l'ont rappelé. Ce sont des enjeux de société portés par les architectes, mais pas seulement. Le logement doit devenir une grande cause nationale. Nous avons besoin d'une vision politique de l'Etat et d'initiatives ambitieuses. Si l'exigence sur le neuf est non négociable, la réhabilitation devient quasiment la norme : « moins de matière première et plus de matière grise ».

La profession évolue vers un élargissement des pratiques. Ce qui interroge nos missions, nos honoraires, nos assurances, etc. Ces prestations intellectuelles doivent être valorisées et rémunérée à leur juste valeur.

La frugalité est-elle l'avenir de l'architecture ?

Une certaine sobriété est désormais de mise. La frugalité n'exclut pas la créativité, on peut faire beaucoup avec peu. C'est ce que savent nombre d'architectes : sous la contrainte, la création prend le pas. La jeune scène architecturale en prend conscience, dans une grande diversité des pratiques et un engagement sociétal et environnemental fort. La tension sur les matériaux souligne l'importance de chaque ressource.

Il faut revaloriser les savoir-faire, développer le réemploi, les filières locales, le biosourcé, etc. Les architectes mettent l'intérêt général au cœur de leur pratique. Nous ne sommes pas des amish ni des décroissants ! Tous les outils du XXIe siècle nous permettront de répondre aux défis de l'époque.

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