"L'ouverture totale du capital des sociétés d'architecture est un danger pour les architectes" Catherine Jacquot, présidente de l'Ordre

Alors que s'est tenue à Marseille la journée de clôture des Universités d'été des architectes, la présidente du conseil national de l'Ordre réagit aux propositions d'ouverture totale du capital des sociétés d'architecture. Catherine Jacquot évoque également son premier entretien avec Fleur Pellerin, ministre de la Culture.

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Catherine Jacquot, présidente du conseil national de l'Ordre des architectes

L'ouverture totale du capital des sociétés d'architecture est demandée par le Conseil de simplification des entreprises et proposé dans un rapport de l'Inspection général des finances récemment rendu public par Emmanuel Macron, ministre de l'Economie. Pensez-vous que la présence d'un actionnaire majoritaire non architecte dans les sociétés d'architecture représente un danger pour la profession ?

Oui je pense que la présence d’un actionnaire majoritaire non architecte est un grand danger pour la profession.

Concernant les deux propositions que vous évoquez, elles ne signifient pas tout à fait la même chose. Le Conseil de simplification des entreprises demande que l'ouverture de capital soit largement faite aux sociétés d'architecture européennes. Dans ce cas, la personne morale étrangère serait inscrite au tableau de l'Ordre en France et j'y suis favorable à condition qu’elle réponde aux mêmes exigences que celles imposées aux sociétés d'architecture françaises.

Quant à la possibilité d'ouverture totale du capital à toute personne morale, ou physique, non-architecte, évoquée par les auteurs du rapport de l'Inspection général des finances (IGF), j'y suis fermement opposée.

L'architecte est certes un bâtisseur, mais il a un rôle social fondamental. Il agit pour son client et pour l'intérêt général. La qualité d'usage du bâti, sa beauté et celle des paysages urbain et ruraux, son économie au regard de la solvabilité de son client... sont d'intérêt public. C'est cette valeur qui fonde aujourd'hui la profession d'architecte. C'est pour cela que le législateur lui a confié l'exclusivité du projet architectural en contrepartie de règles d'exercice exigeantes. Ces règles ne peuvent s'appliquer qu'à des professionnels qui ont fait le choix de s'engager sur cette voie.

Or, avec un actionnaire majoritaire étranger à cet engagement, la société d'architecture ne fera pas grand cas de cet intérêt public. L'architecte salarié d'une telle société serait amené à signer sous contrainte des projets architecturaux essentiellement motivés par le critère financier. Cette perspective, dangereuse, n'est pas acceptable.

Le projet de l'IGF ne vise que les Sociétés d'exercice libéral (SEL), soit 4% de la profession. C'est peu car cette forme d'exercice n'est pas très adaptée à notre profession, mais c'est « le pied dans la porte ». Un élargissement aux autres sociétés d'architecture est imaginable ultérieurement. L’Ordre est vigilant sur l'évolution de cette proposition.

Ces propositions génèrent de l'inquiétude. Elle s'ajoute à celle qu'engendre une activité économique à la baisse qui entraine parfois la cessation d'activité.

Un de nos  indicateurs est le nombre de suspension d'exercice de la profession prononcé par l'Ordre pour défaut d'assurances. Elles risquent d’être multipliées par 10 en 2013 pour atteindre environ 500 suspensions en Ile-de-France. Par ailleurs, nous estimons de 10 à 15% la baisse de chiffre d'affaires de la profession. Un autre indicateur de la tension dans la profession est le nombre de candidats par concours d'architecture qui ne cesse d'augmenter pour atteindre parfois 150 pour un équipement public de moyenne importance.

Les élections municipales ont accentué le ralenti de l'activité. Je suis d'ailleurs choquée de constater que quelque 20 000 logements sociaux en projet ont été stoppés à cette occasion alors que nous avons 1,7 millions de demandes insatisfaites.

J’ai présenté la situation très fragilisée de notre profession. C’est la viabilité économique des agences qui est en jeu.

J'ai évoqué lespriorités de l'Ordre : renforcer les agences d’architecture et conforter leurs missions,  le rétablissement du recours obligatoire à l'architecte au niveau où il se situait avant la création de la surface de plancher (en abaissant le seuil de 170 à 150 m2 pour compenser le changement du mode de calcul) serait un signe important pour la profession, l'ouverture du capital des sociétés d'architecture qui doit rester sous le contrôle des architectes comme je viens de l'indiquer.J'ai plaidé auprès de la ministre pour que les conditions d'exercice de la profession en marché public comme en marché privé soient adaptées à l'intérêt public de l'architecture.

Oui. J'ai fait part à la ministre de l'inquiétude de la profession : la réhabilitation est un projet architectural qui nécessite, avant tous travaux un peu important, un diagnostic global qui définira un état du bâti et les travaux à entreprendre. L’isolation par l’extérieur (un procédé technique parmi d’autres) rendue obligatoire en cas de ravalement de façade est une absurdité.

Cette journée a surtout pour objet d'évoquer l'évolution de la commande et de production de l'architecture. La privatisation de la commande, l'évolution de la gouvernance dans les marchés publics et la réforme territoriale bousculent les pratiques. De nouveaux outils, telle la maquette numérique, apparaissent et  nous intéressent s’ils respectent le rôle de chaque acteur dans la procédure de conception et d’exécution. Les universités d'été des architectes visent à dégager une vision prospective de notre métier dans un monde qui change.

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