L’ingénierie privée se mobilise pour les projets d’infrastructures

A l'occasion du congrès de la Chambre de l’ingénierie et du Conseil de France (CICF), les 17 au 18 mars à Deauville, son président François Amblard évoque, dans une interview accordée au "Moniteur", les grandes préoccupations de la profession, notamment les difficultés rencontrées par les collectivités locales pour confier la maîtrise d'œuvre des projets d'infrastructures.

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François Amblard, président du CICF

La Chambre de l’ingénierie et du Conseil de France (CICF) réunit son congrès du 17 au 18 mars à Deauville. L’organisation qui rassemble quelque 1 500 adhérents, dont 60 % d’ingénieristes du BTP. y présentera un "Contrat guide de marché public de maîtrise d'oeuvre Infrastructure". Parmi les grandes préoccupations de la profession, François Amblard insiste sur les difficultés rencontrées par les collectivités locales pour confier la maîtrise d’œuvre des projets d’infrastructures, mais aussi sur la concurrence des Sociétés publiques locales (SPL) ou encore sur le défi technique posé par les bâtiments à basse consommation. Il pose la question de la juste rémunération de l’obligation de résultat exigée par la maîtrise d’ouvrage.

L’innovation au cœur du BBC

Le congrès 2011 de la CICF a pour thème « 99 ans, le pari de la jeunesse ». Pourquoi ?

Parce que la jeunesse n’est pas une question d’âge ! Et si la CICF entre dans sa 100e année au congrès de Deauville, elle n’en reste pas moins très tournée vers les jeunes et mobilisée par les questions de son temps. Nous avons engagé depuis quatre ans un fort rapprochement avec le monde universitaire, via les IUT principalement (formation en alternance), que nous poursuivons avec les écoles d’ingénieurs, dans le but de faire connaître nos métiers et de mieux répondre aux objectifs du Grenelle de l’environnement.

La réponse au Grenelle de l’environnement passe-t-elle par la jeunesse ?

Oui, les jeunes sont à l’écoute du défi écologique d’aujourd’hui. Ce défi impose des réponses innovantes réglementaires et techniques. Exemple : l’obligation annoncée pour les copropriétés de plus de cinquante lots, qui sont souvent des gouffres énergétiques, de faire un audit énergétique du bâti en vue de leur remise à niveau. C’est, entre autres, en utilisant la caméra thermique et la porte soufflante pour mesurer l’étanchéité des bâtiments que l’ingénierie mettra réellement le bâti au niveau du BBC.

L’obligation de résultat au juste prix

Les ingénieurs se forment-ils suffisamment pour faire du vrai BBC ?

Il y a un gros déficit sur la prise de conscience des professionnels quant à la nécessité de se former. La CICF réfléchit à la motivation de formation de la profession. Mais la question est également posée aux maîtres d’ouvrage : cette formation ne peut-elle devenir un critère de sélection des professionnels pour réaliser une opération ? De son côté, la CICF a créé depuis 1985 l’Iptic (Institut de la promotion des techniques de l’ingénierie et du conseil) pour mettre en place des formations ciblées, dans l’actualité réglementaire et technique. Nous avons là un chantier permanent d’éducation et d’incitation.

Le Grenelle tend vers l’obligation de résultat sur les performances des bâtiments. Les ingénieristes sont-ils prêts à assumer cette nouvelle responsabilité ?

En matière de responsabilité, chacun doit tenir son rôle. En rénovation énergétique, l’audit qui comporte des préconisations est le début de la mission de maîtrise d’œuvre. Ces préconisations engagent le maître d’œuvre dont l’activité est nettement distincte de celle du contrôleur technique. Ceci pour éviter tout conflit d’intérêt.

S’agissant des performances, cette obligation de résultat existe déjà en réalité. En revanche, nous ne maîtriserons jamais les comportements plus ou moins énergivores des utilisateurs.

Les ingénieristes ne rejettent-ils pas l’obligation de résultat ?

Mieux, ils l’assument mais posent la condition de la juste rémunération. La maîtrise d’ouvrage doit donner à sa maîtrise d’œuvre les moyens nécessaires à l’acquisition des compétences et à leur développement (recrutement et formation). C’est la raison pour laquelle la CICF se mobilise maintenant depuis plusieurs mois dans le cadre de son tour de France pour la présentation aux maîtres d’ouvrage de sa méthode d’analyse des offres de prestations intellectuelles. Quelque 700 d’entre eux ont été informés à ce jour.

L’infrastructure en panne de maîtrise d’œuvre

Les entreprises de travaux publics s’alarment du manque de maîtrise d’œuvre sur les opérations d’infrastructures. Partagez-vous ce constat et quelle en est la cause ?

Les opérations d’infrastructures ne manquent pas d’ingénierie privée. Mais, les collectivités locales qui travaillaient jusqu’ici avec les services déconcentrés de l’Etat (DDE) ont perdu leurs repères. Sont-elles organisées pour trouver des ingénieristes ? Connaissent-elles le prix auquel ils se rémunèrent ? Enfin, savent-elles leur passer une commande ? La maîtrise d’œuvre privée est bien présente en infrastructure (aménagements urbains, routes…) mais elle ne peut être missionnée dans les mêmes conditions que celles des anciens services des DDE.

Pourquoi ?

Parce que les services techniques des DDE fonctionnaient sur des budgets ne reposant pas sur la loi du marché. Avec le retrait de l’ingénierie publique d’Etat, les collectivités locales sont désemparées. La réalité est qu’elles ne savent pas programmer et missionner l’ingénierie privée qui de plus, à leurs yeux, coûte souvent trop cher.

La CICF peut-elle guider les collectivités locales à travailler avec l’ingénierie privée ?

Oui. La CICF présente à son congrès de Deauville le « Contrat guide de marché public de maîtrise d’œuvre infrastructure ». Cet outil élaboré par la CICF avec les architectes (Ordre et Unsfa), les économistes de l’Untec et la Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques (MIQCP), éclairera les collectivités sur la commande d’ingénierie privée dans le domaine de l’infrastructure. Il faut aussi les former à l’analyse des offres de prestations intellectuelles.

La concurrence du secteur public

Craignez-vous que les Sociétés publiques locales ne deviennent, entre autres, la réponse à la disparition des services techniques des DDE ?

En effet, ces Sociétés publiques locales (SPL) peuvent « succéder » à l’ingénierie des DDE sans passer par la mise en concurrence. C’est intéressant pour les petites communes qui ne sont pas déjà dotées de services techniques. Mais au fond, peut-on reprocher à un maître d’ouvrage qui construit pour lui-même de se doter d’une telle structure ?

La commande publique ne mérite-t-elle pas d’être mise en concurrence pour tendre vers le meilleur prix ?

Sans doute, mais c’est peut-être ce qui finira par se passer dès lors que ces SPL devront prouver leur équilibre budgétaire prenant en compte des vrais salaires d’ingénieurs, des coûts réels d’entreprises, à commencer par ceux de l’assurance.

Nous engageons actuellement un dialogue sur ce sujet avec l’Association des maires de France (AMF) et l’Institut des routes, des rues et des infrastructures pour la mobilité (Idrrim) que nous voulons sensibiliser à ces questions.

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