L'ÉCOLE DES BEAUX-ARTS AU CŒUR DES « ÉVÉNEMENTS »

1968 -

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En 68, tout est politique ! Et l'architecture est avant tout politique. Ce qui trop souvent veut dire « l'architecture est LA politique ».

De là à l'idée de faire la révolution par l'architecture, la marge, étroite, est parfois allègrement franchie. Tout est politique, slogan vaguement paralysant ? Surtout pour des architectes ! A l'image des autres avant-gardes du moment, ils sont saisis par le prophétisme autodestructeur qui caractérise les moments de crise : l'architecture sera vivante lorsque le dernier architecte sera mort ! Mort de l'auteur ! Tous créateurs !

L'imagination étant comme chacun sait la chose la mieux partagée au monde…

Mots de désordre

En 68, tout est politique ! Et si les étudiants en sociologie à Nanterre perçoivent les sociologues comme les chiens de garde du régime, les étudiants en architecture voient dans les architectes des pacificateurs sociaux mettant la ville en coupe réglée.

Ils rejettent l'urbanisme qui collabore au fonctionnement de l'appareil répressif du pouvoir. Lorsque les étudiants des Beaux-Arts injurient la statue de Melpomène en la traitant de « salope » dans le numéro 2 de Melp ! , les enragés quittent la salle du conseil de la faculté de Nanterre, le 22 mars, en inscrivant sur les murs que les syndicats sont des bordels et l'Unef une putain. Des mots de désordre plutôt que des mots d'ordre…

En 68, tout est politique ! Et l'atelier populaire entame à l'Ecole des beaux-arts sa brève histoire exemplaire. Il débute effectivement le 14 mai, au moment où sort la première affiche lithographiée en 30 exemplaires, celle des « trois U », Usine-Université-Union, symbole de la synchronisation des crises et de l'extension du « mouvement ». Il prend fin le 27 juin, lorsque les gardes mobiles occupent l'école et ferment l'atelier vers 5 heures du matin.

Une toute dernière affiche paraîtra cependant, grâce à Gérard Fromanger qui a réussi à transporter son matériel de sérigraphie jusqu'au siège de la CFDT pour imprimer « La police s'affiche aux Beaux-Arts, les Beaux-Arts affichent dans la rue ». Si l'expérience aura au fond tenu aussi longtemps que le « rire de Mai », transcendant des clivages idéologiques qui ne demanderont qu'à se réactiver, elle n'en aura pas moins durablement marqué les esprits, au-delà de son activité réelle, jusqu'à superposer le style de ses affiches sur toutes les images de manifs et de cortèges. Aux Beaux-Arts, les ateliers jusqu'ici renfermés sur eux-mêmes, s'ouvrent aux quatre vents de la contestation. Avec l'Odéon, la Sorbonne et Billancourt, l'école devient l'une des scènes majeures d'un mouvement social.

Dilution de l'artiste dans le collectif

En 68, tout est politique ! Et le mot d'ordre de cet atelier est de mettre les images au service de la lutte et faire de la représentation une lutte. « Sous les pavés la plage », rapport direct entre le texte et l'image : l'affiche frappe. Jouant à fond des contrastes et des larges aplats noirs ou rouges, elle a cette beauté convulsive chère à André Breton. L'art est un débordement. Qui s'affiche dans la rue. Comme en Chine, que l'on mythifie encore pour quelques années. En 68, tout est politique ! Et d'abord le collectif - donc la sérigraphie - et la dilution de l'artiste dans le collectif. On débat du sujet, puis on s'y met dans la foulée.

L'atelier est un lieu de formation à la technique de la sérigraphie, notamment pour les ouvriers des usines en grève qui viennent y chercher un relais graphique.

Etudiants et travailleurs, la jonction s'établit - fait rare ! Il n'y a pas de lien affiché aux groupuscules : les projets qui ligotent le mouvement à un parti sont rejetés. Sur les affiches, apparaissent peu de visages connus : de Gaulle, incarnation du pouvoir ; Pompidou, de la répression ; et Cohn-Bendit, de la contestation. La police est un peu partout, et la foule toujours désarmée. Le CRS est sans yeux ni visage (casque et lunettes). Dans un style usine : l'ouvrier à casquette et bleu de chauffe, la clé à molette et bien sûr, l'usine, sa cheminée et son toit à sheds, sont des figures récurrentes. Le tirage (en continu, par équipes, de jour comme de nuit) s'élèvera à 2 000 exemplaires, et atteindra jusqu'à 5 000. Près d'un million d'affiches seront imprimées sur le site des Beaux-Arts, quitte à faire de l'atelier populaire le centre névralgique d'un mouvement qui n'en eut point (car il en connut cent). L'agitation se montrant ainsi parée de beautés plastiques et de vertus poétiques. Retrouvera-t-on un jour chez les architectes l'humour libertaire des affiches de Mai-68 ?

Image d'illustration de l'article
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