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Julien Denormandie : «Elan n'attaque aucun acteur du logement mais propose des solutions ciblées»

Le projet de loi Elan sera voté définitivement ce 3 octobre à l’Assemblée nationale et le 16 au Sénat. Les décrets d'application de la loi Logement seront ensuite publiés sous six mois. Le secrétaire d'Etat à la Cohésion des territoires a accordé un entretien exclusif au Moniteur.

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Julien Denormandie
Julien Denormandie, le 25 septembre 2018, lors d'un entretien exclusif avec Le Moniteur.

Députés et sénateurs se sont accordés sur la loi Elan. Comment êtes-vous parvenu à un consensus ?

Un accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat, avec deux majorités différentes, constitue un symbole. Cela démontre que cette loi n’est ni anti-locataires, ni anti-propriétaires. Elle n’attaque aucun des acteurs du logement mais propose des solutions ciblées pour répondre aux problèmes des Français : des logements trop chers ou devant être rénovés. Pour la première fois, c’est une loi logement qui ne rajoute pas de nouvelles normes, et qui repose sur la confiance donnée aux acteurs.

Cela confirme également la pertinence de la méthode suivie : consultation des professionnels, celle des Français, conférence de consensus, débats parlementaires, commission mixte paritaire…

Quels effets attendez-vous de l’application de ce texte ?

Nous entendons mener une politique du logement adaptée aux territoires, avec deux objectifs forts. D’abord, là où cela est nécessaire : construire plus vite, moins cher et mieux. Pour cela, je souhaite « libérer la construction » tout en visant la qualité. Ensuite, dans les zones moins tendues : réhabiliter, rénover ou revitaliser les territoires. La rénovation des territoires constitue un gisement d’emplois très important.

Julien Denormandie
Julien Denormandie Julien Denormandie (C.BOULZE)

Pour « libérer la construction », vous avez déjà lancé, avec la loi Confiance du 10 août dernier, les travaux de réécriture du Code de la construction et de l’habitation…

Nous voulons changer la logique des normes aujourd’hui prescriptive et sclérosante pour l’innovation. L’Etat fixera les objectifs et laissera les professionnels choisir les moyens de les atteindre. Nous passons d’une économie de rattrapage à une économie de l’innovation. Nous sommes donc en train de réécrire [par ordonnance, NDLR] le Code de la construction, avec les professionnels. Cela sera achevé sous 18 mois.

Cette réécriture permettra-t-elle, selon vous, de construire davantage de logements ?

Oui, grâce aux nouvelles technologies et aux matériaux innovants, elle permettra de construire plus vite et moins cher avec la même qualité. Mon rôle consiste à fixer cette qualité à atteindre. Le rôle des professionnels est de trouver les moyens pour atteindre cette qualité. L’Etat prescripteur de moyens, c’est fini. Nous faisons confiance aux acteurs et libérons la construction.

"Dynamiser l’aménagement, en tenant compte de la spécificité territoriale"

Les acteurs, justement, se saisiront-ils de cette liberté ? Le « permis de faire », prévue par la loi LCAP de juillet 2016, n’a quasiment pas été utilisé.

Inscrire des dispositifs dans la loi ne suffit pas, il faut une volonté politique pour les faire vivre et animer les projets. Prenez le permis d’innover qui permet lui aussi de déroger aux normes, dans le cadre d’opérations d’aménagement : la loi Elan permettra de recourir au permis d’innover au-delà des seules opérations d’intérêt national.

Afin que la dynamique prenne, nous avons d’ores et déjà demandé à trois aménageurs -Bordeaux Euratlantique, Euroméditerranée et Grand Paris Aménagement- de lancer un appel à manifestation d’intérêt sur ce thème. Huit lauréats ont déjà été distingués mais nous allons continuer à solliciter les aménageurs : c’est du concret et la transformation s’opère.

Vous évoquez l’aménagement. Que change la loi Elan dans ce domaine ?

L’aménagement c’est essentiel, car c’est ainsi que l’on fabrique collectivement des morceaux de ville avec du logement, des commerces, de la mobilité, des équipements publics, etc. Nous facilitons l’acte d’aménager, sans instaurer de nouvelles procédures, mais en créant des cadres. Il s’agit du projet partenarial d’aménagement (PPA), de la grande opération d’urbanisme (GOU) et des opérations de revitalisation du territoire (ORT).

A chaque fois, il s’agit de dynamiser l’aménagement, en tenant compte de la spécificité territoriale, en accompagnant les élus locaux. Elan simplifie aussi des procédures, par exemple par des procédures électroniques de participation du public ou encore la fusion de procédures de concertation amont pour les ZAC et les projets : il faut privilégier le projet à la procédure dans le respect de la participation du public.

Julien Denormandie
Julien Denormandie Julien Denormandie (C.BOULZE)

Des collectivités sont-elles déjà intéressées par les PPA ?

A ce jour, nous sont remontés plus de 85 projets qui pourraient faire l’objet d’un PPA. Nous les analyserons prochainement. Ce qui importe, c’est de privilégier la dynamique locale de projets de territoire de toute taille. Le rôle de l’Etat est de faciliter les solutions et de permettre aux élus de porter des projets d’aménagement au service des habitants.

Les professionnels ont bien identifié les mesures permettant de construire moins cher et plus vite. Mais où sont celles pour construire mieux ?

La loi Elan comporte des mesures sur la qualité de l’air, la prise en compte des risques géotechniques sur les sols argileux, et rend applicable la mesure relative au compteur individuel d’énergie portée par la loi Transition énergétique. Elle fait aussi en sorte qu’à l’horizon 2022, 100% des logements pourront être raccordés au numérique très haut débit. Par ailleurs, comme je l’ai dit, la réécriture du Code de la construction [via la loi Confiance, NDLR] libère l’innovation afin de mieux répondre aux besoins.

"Nous ne voulons absolument pas revenir sur l’importance du métier d’architecte"

Vous n’avez pas réussi à embarquer les architectes dans la loi Elan. Sont-ils les grands perdants de ce texte ?

Je veux être très rassurant, et tuer les idées fausses. Non, la loi Elan ne revient pas sur l’obligation pour les bailleurs sociaux de construire avec un architecte ! Cela s’impose toujours pour tout projet au-delà de 150 m². C’est le concours d’architecte qui devient optionnel, ainsi que l’application du titre 2 de la loi MOP qui fige les missions de la maîtrise d’œuvre. Il s’agit de donner aux organismes HLM la souplesse nécessaire à leur activité. Ce que nous voulons c’est conjuguer la qualité et la souplesse des procédures, mais absolument pas revenir sur l’importance du métier d’architecte.

Le concours n’est-il pas garant de l’égalité de traitement des candidats ?

S’il permettait de faire émerger sur tous les territoires de nouveaux architectes et notamment de petites agences, cela se saurait ! De plus les bailleurs sociaux doivent continuer d’appliquer la réglementation des marchés publics et donc leurs obligations de mise en concurrence. Et ils peuvent continuer à organiser des concours s’ils le souhaitent.

Etait-il nécessaire de réduire les pouvoirs des architectes des bâtiments de France ?

Nous ne remplaçons l’avis conforme par un avis simple que dans deux cas très particuliers et seulement ceux-là : l’habitat insalubre et la construction des pylônes de téléphonie mobile. J’ai rencontré un maire isérois qui a mis dix ans à installer un pylône, et entretemps tous les jeunes avaient quitté son village… Le numérique n’est pas un luxe, mais un droit ! Et, jusqu’à preuve du contraire, la passion d’un élu local n’est pas de dégrader son patrimoine... bien au contraire !

Nous le voyons avec le plan « Action Cœur de ville » lancé par Jacques Mézard où les élus se mobilisent pour des projets de revitalisation de centre-bourgs et de préservation du patrimoine. L’Etat vient aider ces projets à hauteur de 5 md€ avec Action Logement, la Caisse des Dépôts et l’Anah.

Julien Denormandie
Julien Denormandie Julien Denormandie (C.BOULZE)

La réforme HLM est actée. La méthode – une coupe budgétaire d’abord avec la baisse des APL, puis une réforme structurelle avec la loi Elan – a-t-elle été la bonne ?

Il est toujours très compliqué de mener d’un même front une réforme structurelle et une réforme budgétaire. Pour différentes raisons, nous avons lancé ces deux chantiers en même temps, et nous arrivons au bout du cycle. Ce débat est derrière nous, j’appelle à aller de l’avant pour mettre en œuvre cette réforme qui a été bâtie dans un climat constructif, avec toutes les familles des bailleurs sociaux.

Comment allez-vous suivre le regroupement des bailleurs sociaux ?

Nous avons nommé des chefs de programme chargés de veiller au bon déroulement des plans que nous avons lancés. Pierre Quercy, président du conseil d’administration d’Habitat Réuni, nous épaule dans le suivi de la mise en œuvre du regroupement des bailleurs sociaux qui gèrent moins de 12 000 logements. Nous avons également demandé à nos services et à ceux de la Caisse des Dépôts d’être à la disposition des bailleurs partout sur le territoire.

Lutte contre les recours abusifs : "Nous prenons des dispositions sans précédent"

Vous avez l’ambition de lutter contre les recours abusifs. Vous n’êtes pas le premier…

Oui, mais nous, nous prenons des dispositions sans précédent, identifiées par les professionnels et le rapport Maugüé. Nous rendons en particulier obligatoire la « cristallisation des moyens » (qui contraint à définir les motifs de contestation à un instant t, NDLR).

Enfin, nous avons conclu un accord très clair avec la garde des sceaux pour que ces affaires ne soient plus réglées en 24 mois, mais en 10 mois.  Le décret a été publié le 18 juillet dernier. Ces sujets constituent donc une priorité d’action pour le pouvoir judiciaire.

Quel est votre calendrier pour rendre la loi Elan effective ?

Le plus rapide possible ! Vous pouvez compter sur moi. Certaines mesures, comme le bail mobilité, les PPA et les GOU sont d’application immédiate. D’autres seront prises par ordonnances dans les 6 à 18 mois selon les cas : la politique des loyers, la réforme de la copropriété, la lutte contre l’habitat indigne ou encore la hiérarchisation des normes d’urbanisme, qui s’annonce complexe.

Enfin, plus de cinquante décrets sont attendus. Notre objectif est de les publier sous six mois. Celui sur la notion d’évolutivité des logements pour les rendre accessibles est déjà quasiment ficelé.

Au final, la loi Elan comporte peu de mesures environnementales, pourquoi ?

Non, la transition écologique est très présente dans le texte : les mesures en faveur de la construction écologique bas-carbone, la lutte contre l’étalement urbain sont présentes. Les économies d’énergie dans le secteur tertiaire trouvent enfin une base légale : cela faisait 10 ans que la loi Grenelle ne s’appliquait pas sur ce sujet : ce sera désormais le cas.

Mais tout n’est pas législatif en la matière : par exemple, le gouvernement mobilise 14 milliards d’euros dans le plan de rénovation énergétique des bâtiments, on avance sur l’expérimentation E+C- avec les professionnels, etc.

Julien Denormandie
Julien Denormandie Julien Denormandie (C.BOULZE)

Dans le budget 2019, vous reconduisez tels quels les dispositifs fiscaux Pinel et PTZ, alors qu’ils ont été dégradés en 2018 et que les mises en chantiers et les permis de construire reculent…

Je veux insister sur un point : nous donnons de la lisibilité sur le long terme à ces dispositifs. Nous les avons reconduits sur plusieurs années et nous n’y touchons plus car la lisibilité est essentielle pour les acteurs.

En 2017, le dispositif Pinel et PTZ a permis d’accompagner le financement de près de 150 000 logements, dont seulement 6 000 en zone B2 et C (territoires les moins tendus, NDLR). L’impact du recentrage de cet outil sur les zones B1 et A reste donc limité même si j’ai bien conscience de la difficulté sur certains territoires.

La loi prévoit que ce zonage soit revu au deuxième semestre 2018. Où en êtes-vous ?

Nous n’avons pas remis à plat le zonage, nous souhaitons travailler plus finement sur ce sujet, pour réussir à terme, à étudier la faisabilité d’une territorialisation de ces aides. Dans certains territoires en zone B2, il faut parfois aider à la revitalisation des centres villes dégradés, alors qu’ailleurs, toujours en zone B2, il serait préférable d’aider la construction de logements. Nous travaillons au lancement d’une expérimentation en Bretagne en ce sens.

"Le plan transition numérique dans le bâtiment sera reconduit"

Quelle sera la prochaine grande réforme ? Celle de l’assurance construction ?

Un vrai sujet est soulevé. Est en cause l’équilibre du système d’assurance français à double détente, avec une question d’équité entre assureurs traditionnels et assureurs en libre prestation de services. Nous devons continuer à nous battre au niveau européen pour faire valoir nos intérêts, même si cela prendra du temps.

Quelle va être la suite du PTNB, qui prend fin prochainement ? Quelle forme prendra la relève, et avec quel budget ?

Le plan transition numérique dans le bâtiment sera reconduit : d’abord parce que nous visons l’objectif « BIM 2022 », c’est-à-dire la généralisation du recours au BIM dans la construction neuve en fin de quinquennat. ; ensuite parce que la filière est plus que consciente que le BIM sera un enjeu structurant pour la qualité dans la construction. Nous sommes en train de finaliser les modalités du plan avec la filière, et visons à conclure avant la fin de l’année.

Propos recueillis par Barbara Kiraly, Sophie d'Auzon et Fabien Renou

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