"Inacceptable", "indécent », "absurde", « ridicule ». Dix-neuf architectes, historiens de l’art, urbanistes et sociologues demandent l’abandon du projet de rénovation de la gare du Nord à Paris, qui prévoit notamment la création de plus de 50 000 m² de surfaces construites nouvelles, dont un centre commercial de 20 000 m².
Ils le font savoir dans une tribune publiée dans Le Monde daté du 4 septembre 2019. « La gare du Nord n’a pas besoin de ce projet pharaonique. Des transformations aussi efficaces, beaucoup plus légères en coût et en temps, peuvent lui être apportées pour qu’elles remplissent son rôle premier, celui d’une gare ».
Parmi les signataires figurent de grands noms de l'architecture, dont Jean Nouvel, Roland Castro, Marc Barani et Dominique Perrault ainsi que des urbanistes de référence, comme Jean-Louis Subileau et Laurent Théry.
Première gare d'Europe, la gare du Nord doit être rénovée de fond en comble d'ici aux Jeux olympiques de Paris en 2024. Un projet à 600 millions d'euros qui vise à tripler sa surface pour répondre à la hausse du trafic. Mené par une coentreprise entre Auchan, via sa foncière Ceetrus (66%) et SNCF Gares &Connexions (34%), le projet prévoit l'ajout d'une aile entière afin d'y créer un terminal de départs séparé des arrivées. Parallèlement, les espaces de services, de commerces et de restauration doivent être multipliés.
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"Or le projet prévoit d'interdire l'accès direct aux quais tel qu'il se pratique aujourd'hui", regrettent les signataires de la tribune, affirmant que les voyageurs devront forcément passer par la partie commerciale, sur le modèle de nombreux aéroports. "Une grave offense aux usagers du transport", regrette le collectif. « Qu’il aille à Soissons ou à Bruxelles, le voyageur devra d’abord monter à 6 mètres de hauteur dans le centre commercial, tout à l’est de la gare, puis accéder aux quais par des passerelles, des escaliers et des ascenseurs. Cela veut dire : plus de distance à parcourir, des temps d'accès nettement augmentés. Indécent."
Doutes sur les délais
Les signataires, qui estiment par ailleurs que le projet va défigurer de manière "inacceptable" la gare, critiquent aussi les plus larges conséquences de la création d'un aussi gros site commercial en plein Paris : ils jugent qu'il va siphonner des clients au détriment des banlieues desservies par la gare. "Implanter une telle masse de commerces et d'activités à la gare du Nord, dans un ensemble fermé sur lui-même, dans une zone déjà saturée de trafic, à une station de RER de Saint-Denis, (...) est une atteinte à la volonté de rééquilibrer les activités dans Paris, et plus encore dans l'espace du Grand Paris", jugent-ils. "On comprend l'attrait que représente pour Auchan l'énorme flux de la gare du Nord, mais cette captation se fera au détriment des territoires desservis par la gare", ajoutent les signataires.
Enfin, ils ne croient pas que les travaux soient achevés dans les délais prévus et craignent donc que le projet perturbe le fonctionnement de la gare en pleins JO de 2024, alors qu'elle jouera un rôle crucial pour gérer les transports vers le gros des sites olympiques, en Seine-Saint-Denis.
Avis défavorable
Cette tribune marque un revers en matière d'image pour le projet, qui a déjà subi un contre-temps administratif cet été: une commission spécialisée dans l'aménagement commercial a rendu un avis défavorable sur une partie du projet, bloquant de fait l'octroi d'un permis de construire.
StatioNord, la société chargée du projet, a fait appel de cette décision et compte toujours commencer les travaux au tournant de 2019 et 2020. "La gare du Nord desservira la plupart des sites pour les Jeux olympiques et paralympiques 2024 de Paris: nous tiendrons nos engagements pour être au rendez-vous", a assuré mardi Claude Solard, directeur général de Gare et Connexions, dans un communiqué.
En réponse à la tribune publiée dans Le Monde, il a défendu une transformation "complète et ambitieuse", assurant qu'elle bénéficierait d'abord aux usagers des RER et des trains de banlieue, tout en jugeant possible de concilier les besoins des voyageurs avec une place importante accordée aux magasins. "Pour nous, il est aussi important de veiller sur le voyageur pressé de prendre son train que d'offrir des services innovants à celles et ceux dont le temps n'est pas compté", a expliqué Claude Solard, évoquant aussi les futurs bureaux et espaces de restauration. Au-delà des critiques émises, il a par ailleurs défendu le partenariat entre la SNCF et Auchan, soulignant qu'il permettrait de rénover des espaces publics sans peser sur le contribuable et le prix des billets de train.