Quelle est la genèse de votre démarche ?
Cela part tout simplement d’un échange entre les membres du bureau du Croa Paca au lendemain des terribles inondations qui ont ravagé les trois vallées de la Tinée, de la Roya et de la Vésubie. Nous avons décidé de proposer notre aide aux pouvoirs publics locaux pour venir au secours des sinistrés des zones affectées. A cet effet, nous leur avons écrit, précisant que nous nous appuyons sur la fondation Architectes de l’urgence qui a une véritable expertise en la matière. Aidé de deux confrères, Yves Justin et Florence Hannin, et d’un ingénieur, Eric Lavelaine, Patrick Coulombel, le président de la fondation, a monté une formation d’une journée, le samedi 10 octobre, à laquelle ont participé une vingtaine d’architectes suite à un appel de notre part. Elle comportait deux volets : l’un sur l’approche psychologique des habitants sinistrés, l’autre sur les risques inondations et parasismiques.
Comment ont réagi les pouvoirs publics suite à votre appel ?
La direction départementale des territoires et de la mer (DDTM06) a réagi immédiatement nous invitant à participer à la réunion de lancement de la « cellule bâtimentaire »(1) qu’elle était en train de mettre en place. Au lendemain du passage de la tempête Alex, nous nous sommes trouvés face à une situation inédite avec trois vallées quasiment isolées. Les agents de la DDTM06 nous ont expliqué qu’ils avaient besoin d’une cartographie à l’instant « t ». Ils avaient en effet besoin de comprendre ce qui se passait sur le terrain faute de moyens de communication permettant de faire un état des lieux par visioconférence. Le seul moyen était d’envoyer des experts sur le terrain et de faire remonter les informations. La vingtaine d’architectes formés par la fondation Architectes de l’urgence a été répartie dans des groupes de trois personnes, également composés d’un sapeur-pompier et d’un ingénieur, transportés en 4x4 dans les vallées de la Tinée et de la Vésubie, et en hélicoptère dans celle de la Roya. Nous avions comme mission de vérifier les structures des bâtiments emportés par la crue, l’état de ceux encore debout. Ensuite, selon les pathologies rencontrées, nous les avons classés par couleur.
La mission devait durer 20 jours. Mais compte tenu de la forte mobilisation, le diagnostic des bâtiments dans les secteurs sinistrés a été réalisé en seulement cinq jours.
« Disposer, par région, d’un noyau d’architectes spécialisés dans les thématiques de résilience »
Quelles leçons en tirez-vous ?
Il est encore un peu tôt. Nous sommes encore dans l’urgence. Mais évidemment, va se poser la question de l’après et comment on construit le territoire. Il s’agira de formuler les bonnes interrogations aux élus locaux et aux autres acteurs de la construction. Il s’agit de trouver quelle matière tirer du terrain. Nous souhaitons entrer dans la boucle et participer à la prospective territoriale. Dans ce sens, le Croa prépare deux événements. L’un permettra de réunir les architectes formés à l’urgence et d’entendre leur témoignage sous forme de retour sur expérience. Nous formulerons ensuite des premières pistes de réflexion que nous soumettrons à la DDTM06. Accueillis par le Forum d’architecture de la Ville de Nice, nous préparons le deuxième rendez-vous qui consistera à présenter la position et/ou la place de l’architecte dans ces moments d’urgence. Il s’agit de dire comment les architectes sont préparés ou non à ce genre d’événements ; de quelle formation ils ont besoin.
Au Croa, nous estimons qu’il serait intéressant de disposer, par région, d’un noyau d’architectes spécialisés dans les thématiques de résilience et qui pourraient à tout moment intervenir en cas d’urgence.
Quelle part comptez-vous prendre dans la reconstruction ?
Là encore, nous nous mettons à disposition des pouvoirs publics locaux. Avec le Syndicat des architectes de la Côte d’Azur, le Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) 06 et la Maison de l’architecture de Cannes, nous aimerions constituer un groupe d’architectes qui pourrait contribuer aux réflexions et aux actions initiées par les élus des Alpes-Maritimes ». Je pense, par exemple, à l’étude annoncée par la métropole Nice-Côte d’Azur dont le territoire couvre les vallées de la Tinée et de la Vésubie. Lors de son dernier conseil métropolitain du 16 octobre, les élus ont voté une délibération par laquelle la collectivité confie à sa toute nouvelle agence de sécurité sanitaire et de gestion des risques une étude pour « caractériser, cartographier et partager l’impact du phénomène hydrométéorologique ». En effet, les fortes crues ont modifié la morphologie des vallées et des milieux aquatiques. Il est évident qu’il ne sera pas possible de reconstruire à l’identique. Mais, ces vallées doivent continuer de vivre. Il y aura un subtil équilibre à trouver. Nous comptons apporter notre part à cette réflexion.
Cela reste à construire. D’ailleurs, ce que nous avons appliqué lors du diagnostic bâtimentaire était une méthode appliquée en Ardèche après un séisme. Il faudra l’analyser et l’améliorer avec les services de l’Etat.
(1) Les experts de la « cellule bâtimentaire » ont réalisé des diagnostics visuels de quelque 2 000 bâtiments selon une méthode de l’Association française du génie parasismique (AFPS) basée sur des fiches analytiques. Les communes sinistrées s’appuieront sur ces données pour prendre des arrêtés d’évacuation des bâtiments à démolir. Ces derniers permettront d’enclencher le processus de relogement d’urgence pris en charge par le fonds d’aide au relogement. Sur l’ensemble, 174 bâtiments sont « rouge » et donc fragiles, 106 sont « noir » car détruits, et 224 « marron ». Cette dernière couleur signifie que des études géologiques sont nécessaires. Par exemple, à Saint-Martin-Vésubie, il faut vérifier la stabilité des maisons au bord d’une falaise, suite au creusement du lit de la rivière. Au total, près de 300 maisons pourraient être acquises via le fonds Barnier.