« Ce sont des TGV entiers qui partent de Paris et qui y reviennent à vide », nous dit le sociologue Jean Viard. Pourquoi ? Les passagers sont restés en Province, les retraités les premiers. Mais restés où ? Entre cet afflux de populations nouvelles et des migrations pendulaires intenses, le visage des petites villes moyennes et des « gros bourgs » de l’Ouest s’est donc profondément modifié ces dernières années. Passée la première vague d’expansion, anarchique et non maîtrisée, nombre de ces petites entités urbaines, très souvent dépourvues de services d’urbanisme internes, ont décidé de réagir en faisant appel à des architectes susceptibles d’imposer leurs vues aux promoteurs et lotisseurs alléchés par ce dynamisme, démographique et économique. Ainsi, à propos des Herbiers (Vendée -15 000 habitants), l’architecte Pierrick Beillevaire, en charge depuis 2003 du lotissement du Val-de-la-Pellinière, a-t-il salué « l’objectif d’autocontrôle de la ville », tout en reconnaissant qu’« en urba, il est facile d’engager et bien plus difficile de mener jusqu’à la poignée de porte livrée ». Mais l’affaire est lancée. 25 projets sont attendus avec à chaque fois un architecte différent, à 76 € /m2 le lot clos et paysagé. La procédure est originale : au préalable, un entretien « de motivation » d’une heure environ avec Philippe Sousa, l’architecte recruté par la Mairie en 2002, l’incitation réitérée à faire appel à un architecte, et puis la sélection par le crayon : « le crayon est un moyen pédagogique exceptionnel et je n’ai malheureusement jamais vu un banquier dessiner alors que de lourdes déceptions pourraient être facilement évitées », a lancé Sousa. En écho, le maire, Marcel Albert a souhaité « que les banquiers soutiennent, par une attribution préférentielle des prêts, la proximité du lieu de travail et la bonne conception thermique et architecturale d’un logement ».
A Clisson (44), c’est la crise de la vache folle qui, à la fin des années 1990, a accéléré la déprise du foirail, vaste emprise à proximité immédiate du centre de la petite ville (6 000 habitants) mais isolée jusqu’ici par la voie ferrée Nantes-Bordeaux. Territoire municipal contraint, nombreux monuments classés et proximité immédiate des zones viticoles AOC : c’est l’équivalent d’un Clisson II comme on disait dans les années 1960. Aussi la municipalité a-t-elle engagé une procédure lourde de marché de définition où les trois équipes en lice ont rendu plusieurs projets aboutis. Le projet lauréat de Bruno Gaudin, enchaîne ainsi les gradations de l’espace du public au privé où s’articulent porches et courées, avec le rétablissement de liens avec le centre ancien et la translation d’équipements comme l’ancien cinéma.
A Servon-sur-Vilaine (35), gros bourg de 3 500 habitants en croissance rapide, à proximité de la technopôle de Châteaugiron entre Rennes et Vitré, c’est l’architecte Jean-Marc Bichat du cabinet JAM qui a donné de son temps et de son énergie pour d’abord reconfigurer un projet de lotissement déjà parti, puis densifier fortement le centre-bourg, profitant d’une vaste emprise d’un seul tenant conservée jusqu’ici par un riverain-propriétaire. Il a sorti 48 logements, collectifs et individuels, en trois tranches sur 6 ans dans ce qui est devenu la ZAC des Vignes. Perçue au début comme « la ZUP de Servon », l’opération a progressivement pris place au bord de la Vilaine. La fougue et l’enthousiasme du maire, Marie-Claude Gatel, présente à ce débat et convertie chemin faisant à l’architecture « contemporaine » par ce « parisien aux bottes crottées », n’y sont probablement pas pour rien. Au cours du débat de clôture, Jean-Michel Roux, expert auprès de la Caisse des dépôts, inventeur avec Gérard Bauer d’un terme qui fit florès, la rurbanisation, et auteur récemment Des villes sans politique (2006), l’équivalent d’un précis de ce qu’il ne faut pas faire et que l’on a pourtant fait, et puis bien entendu de ce qu’il faudrait faire à l’avenir, a constaté pour finir que « si nous avions su ce que nous voulions au fil de toutes ces années, nous ne nous serions pas retrouvés dans une telle situation d’instabilité foncière et juridique ».