Guillaume Delemazure, coureur de fond de l'architecture rhénane

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Guillaume Delemazure, architecte

Le jour de mars 2008 où il a vissé sa plaque au bord du canal du Rhône au Rhin, près de la gare de Mulhouse, le gérant de Delemazure et Associés (DeA) a embauché trois salariés, choisis parmi ses étudiants en architecture à l'Insa de Strasbourg : "Une suite naturelle des relations de travail que nous avions établies", commente Guillaume Delemazure, indifférent aux mises en garde sur les risques financiers consécutifs aux trois embauches. Un an plus tard et après un premier exercice légèrement bénéficiaire, bouclé avec un chiffre d'affaires de 170000 euros, le gérant peut se sentir conforté dans l'audace sereine qui, associée au goût du travail d'équipe, constitue déjà sa marque de fabrique.

Impression mulhousienne

Le créateur de DeA fêtera ses 40 ans en juin, mais son visage de jeune homme et sa haute silhouette de coureur de fond ne trahissent guère la décennie qui le sépare de ses coéquipiers. Le franchissement du premier cap économique s'ajoute à la consécration d'une nomination au prix d'architecture de la Première œuvre 2008, pour sa "maison sur le rocher" d'Abreschviller (Moselle), dans les Vosges du Nord.

Chef d'entreprise, enseignant à mi-temps qui commence sa seconde journée de travail vers 20 h après un début de soirée auprès de ses trois enfants : tout cela semble n'avoir prise ni sur l'ardeur du créateur, ni sur le plaisir du partage et de l'écoute... Après avoir passé, depuis la silencieuse rue du Rhône, la cour envahie de végétation sauvage, puis l'étroit escalier de l'ancienne imprimerie où siège provisoirement l'agence, le visiteur oublie les contraintes du temps... Un effet de contagion, sans doute, face à un interlocuteur totalement habité par la conversation. Mais aussi le résultat d'une méthode qui lui permet de se concentrer sur le présent: "Chacun de mes collaborateurs connaît ses projets de A à Z. Je suis le seul à les suivre tous".

Leçons bâloises

Au patron revient l'arbitrage, selon le scénario qu'il a connu chez Herzog et De Meuron : "Les chefs de projets proposent les hypothèses A, B ou C, qui, après un travail collégial, aboutissent à D". Les décisions résultent généralement de simulations matérielles sur des maquettes en carton et polystyrène : le refus du tout virtuel fait aussi partie des leçons bâloises, et l'un des prochains investissements portera sur l'achat d'une machine à bois. Chargé des projets français du tandem suisse au début des années 2000, Guillaume Delemazure avait révélé dès l'automne 2006 le secret de la tour Triangle de la porte de Versailles aux journalistes du Moniteur qu'il avait introduits chez Jacques Herzog. Qui aurait pu croire alors que le diplômé de Strasbourg, ancien associé de François & Henrion à Nancy, allait renoncer à l'enviable statut d'unique associé français des lauréats du Pritzker Prize (2001) et de l'Equerre d'argent (2001). Hypothèse d'autant plus incongrue qu'il n'avait forcé la porte de Herzog & De Meuron qu'après six candidatures et un passage par un Master of Architecture au Pratt Institute de Brooklyn à New York...

Mémoire lilloise

Sans doute la vocation venait-elle de trop loin pour se satisfaire d'un second rôle, même auprès d'une star mondiale : Guillaume a choisi son métier à l'âge de cinq ans, au contact de l'oncle Luc Delemazure. L'architecte lillois de Johnny Hallyday a aussi contribué à maintenir le lien avec le pays des Corons et des Ch'tis : l'enfant du nord quitte sa ville natale à l'âge de quatre ans pour rejoindre Mulhouse, suivant la logique du plan de carrière paternel dans l'industrie textile. "Pour m'inciter à renoncer à mon projet, on m'a poussé à des stages précoces chez mon oncle : ça n'a pas marché !", sourit l'indomptable. La maison de l'innovation du technopôle de Mulhouse portera la trace de l'attachement à l'étoffe, mais le motif de ce lien entre la terre natale et la ville d'adoption reste encore secret.

Un instant, l'idée d'un retour à Lille l'a effleuré : "C'est aussi une région frontalière en mouvement. Mais après tant d'effort pour maîtriser l'allemand, je n'aurais pas voulu renoncer à cette langue. Je ne veux pas non plus manquer la métamorphose que va connaître Mulhouse dans les années à venir, particulièrement dans ce quartier Gare". L'enseignement à Strasbourg constitue un autre motif puissant : avec ses élèves originaires de toute la France, dans une institution qui ressemble plus aux Polytechniques suisses qu'aux écoles d'architecture françaises, Guillaume Delemazure conforte une posture de passerelle de l'architecture rhénane.

Ancrage rhénan

Tous les projets de DeA expriment cet enracinement : en acoustique et génie climatique, des bureaux d'études suisse et allemand accompagnent systématiquement l'agence. Le projet le plus emblématique résulte d'un concours transfrontalier, remporté en tandem avec les architectes de Pfeiffer.Kuhn, de Fribourg-en-Brisgau : l'équipe franco-allemande réalisera l'extension de l'ancien poste de douane de Lauterbourg, reconvertie en siège du groupement européen de coopération territoriale Pamina rassemblant l'Alsace du nord, le Palatinat du Sud et le Nord-Ouest du Bade-Wurtemberg, autour de Karlsruhe. Inutile de préciser que Marcello, François et Stéphane, les trois salariés de DeA, maîtrisent comme leur patron la langue allemande.

L'enracinement transfrontalier ne ferme aucun horizon géographique. Déjà présent de la Lorraine à la Franche-Comté, l'agence mulhousienne répond à des concours parisiens et débordera bientôt des marches de l'Est : Guillaume Delemazure sait prendre son temps, mais pas renoncer.

www.dea-architectes.com

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