Grand Prix de l'urbanisme : l'AUC ou l'art du contrepied

Créée en 1996, l'agence parisienne se distingue par son audacieuse capacité à remettre en cause les modèles éprouvés et à proposer des solutions décalées.

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De gauche à droite, Caroline Poulin, François Decoster, Alessandro Gess et Djamel Klouche. Après une dizaine d’années passées à l’AUC, Alessandro Gess en est devenu le quatrième associé en 2020 et est surtout engagé dans la dimension architecturale du travail de l’agence.

« L'urbanisme, c'est d'abord trouver la bonne question. » Et bien souvent, Djamel Klouche comme les deux autres associés fondateurs de l'AUC, Caroline Poulin et François Decoster, considèrent que ce n'est pas celle qui leur a été posée. L'agence parisienne, qui devait se voir remettre le 15 décembre le Grand Prix de l'urbanisme 2021, a une tendance manifeste à faire fi des attendus de concours et à voir plus loin que la commande formulée par les maîtres d'ouvrage.

Faut-il construire plutôt bas, comme requis sur la zone de Chapelle International à Paris (XVIIIe ) ? Ils proposent une collection d'immeubles de logements variant de 28 à 50 mètres. On requiert la démolition de l'existant ? Ils décident de tout garder, quelle que soit la valeur patrimoniale des lieux. Et quand il s'agit de planifier l'avenir de la métropole suite au protocole de Kyoto, à l'occasion de la consultation sur le Grand Paris de 2008, ils répondent que c'est impossible. Le trio considère que l'essentiel de la métropole est déjà là. Il ne s'agit donc pas tant de penser de grands aménagements rutilants que d'accompagner en souplesse l'évolution de l'existant. De la part de la plus jeune des 10 équipes alors mobilisées sur cette réflexion, voulue par le président de la République Nicolas Sarkozy en personne et sur laquelle les professionnels, mais aussi le grand public, ont les yeux braqués, c'est osé.

Théories nouvelles. Pour les trois associés, choisir l'urbanisme était déjà faire un pas de côté. Nés tous trois en 1966, venus d'horizons éloignés les uns des autres - Neuilly-sur-Seine pour François Decoster, la Champagne pour Caroline Poulin et l'Algérie pour Djamel Klouche - et formés à l'architecture, ils ont opté ensemble pour cette discipline alors que, selon eux, elle n'intéressait pas grand monde. Tandis que l'époque est à l'urbanisation frénétique, ils sont de cette génération bercée par des théories nouvelles sur la ville, notamment celles du néerlandais Rem Koolhaas. « Nous avions l'impression que l'échelle des choses avait changé et que le sujet à venir serait de savoir remettre l'objet architectural dans une dimension urbaine », disent-ils. En 1996, ils fondent l'AUC… Pour « Ab urbe condita », soit « depuis la fondation de la ville ».

« Leur ouverture d'esprit les amène à trouver des réponses justes et adéquates, toujours uniques. » Bas Smets, paysagiste

Dès lors, ils laissent à d'autres les recettes classiques du projet urbain, les décalcomanies de ZAC et les trames viaires génériques. « Avant de nous lancer, nous n'avons pas de but prédéterminé. Le premier pas, c'est regarder et comprendre », assure Caroline Poulin. Avec l'ambition de définir non pas des projets, « mais des projets qui marchent », l'AUC exerce son sens aigu de l'observation des situations. « Elles sont toutes intéressantes, et nous les abordons sans jugement de valeur », assurent ses membres. L'agence élargit la focale pour évaluer les conditions sociales, géographiques ou politiques d'un secteur de projet. Elle entend ainsi repérer tout ce qui permettra « le passage d'un état à un autre ».

Potentiels de transformation. La directrice générale d'Espaces ferroviaires Fadia Karam, leur maître d'ouvrage sur le secteur parisien Chapelle International, reconnaît que « la force de l'équipe tient à sa capacité à contextualiser sa réponse par une analyse des territoires à différentes échelles. Cette vision plus large que le sujet urbain lui-même lui permet d'apporter des solutions décalées par rapport aux prérequis. C'est audacieux. » Le paysagiste belge Bas Smets, qui travaille en collaboration avec l'AUC depuis treize ans, confirme : « Cette ouverture d'esprit l'amène à trouver des réponses justes et adéquates, toujours uniques. » Les associés, qui sont désormais quatre (voir ci-contre) , ne rechignent pas à se jeter dans des situations complexes. « Mais, interroge François Decoster, pourquoi faudrait-il que ce soit facile ? La ville, c'est compliqué. » Pour raconter l'urbain, ses états et ses potentiels de transformation, ces architectes urbanistes usent d'un discours érudit, d'esquisses et de plans beaux comme des gravures. Le propos n'est pas dénué de poésie, mais il est aussi parfois ésotérique. Qu'on le leur fasse remarquer les contrarie. Leurs réalisations, de toute façon, parlent pour eux. Et prouvent qu'ils avaient pressenti un certain nombre de sujets qui font aujourd'hui presque consensus, comme le refus de démolir ou la nécessité de se préoccuper de la ville périphérique, tout bonnement parce qu'elle existe. « Au moment du Grand Paris, nous envisagions le risque que la ville compacte lâche la ville diffuse, rappelle Djamel Klouche. Et c'est arrivé, comme l'a illustré le mouvement des Gilets jaunes… »

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