François Amblard (CICF) : "Ne sacrifions pas la qualité de l’ingénierie à la crise"

A l’occasion du congrès 2009 de la chambre de l’ingénierie et du conseil de France (CICF), qui s’est tenu à Saint-Malo les 19, 20 et 21 mars, son président, François Amblard, évoque l’innovation comme démarche pour affronter la crise, sa lutte contre les offres d’ingénierie anormalement basses, et la responsabilité des maîtres d’ouvrage publics dans l’application du Grenelle de l’environnement.

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Francois Amblard, président de la CICF interviewé par Dominique Errard

Largement réélu, François Amblard qui ne se succèdera à lui-même que dans un an, présidera la CICF jusqu’en 2013. Son action depuis deux ans s’est notamment portée sur le recrutement de délégués régionaux et les spécialistes qu’il qualifie de « haut niveau » parmi les permanents de la CICF. Son objectif est notamment d’améliorer la communication de la CICF pour mieux faire connaître et reconnaître le rôle des ingénieriste et du conseil.

Cette interview a été publiée dans « Le Moniteur » du 20 mars 2009, p 22.

Vous avez réuni à Saint-Malo les adhérents de la CICF pour évoquer « L’innovation au cœur de notre futur ». Ce thème est-il une réponse à la crise économique actuelle ?

Ce thème a été choisi il y a un an au congrès de Beaune en pleine prospérité de nos métiers, alors que le prix du baril de pétrole flirtait avec les 150 dollars. Il est amusant de constater qu’avec une situation qui a diamétralement changé en un an – le baril est sous les 50 dollars et la crise bat son plein –, l’innovation reste le meilleur moyen d’accompagner le changement et les remises en cause. Innover c’est aborder autrement nos métiers, travailler à de nouvelles offres, utiliser de nouveaux outils, offrir de nouvelles réponses techniques aux besoins changeants de nos clients… Nous invitons nos adhérents à débattre de cela à Saint-Malo.

Comment mettre à profit ce retournement brutal ?

Après une surchauffe de 3 à 4 ans, c’est le moment d’écouter davantage nos clients et de se mettre au niveau des connaissances qui résultent de l’évolution de leurs besoins. Nous avions des difficultés à trouver des collaborateurs il y a un an, profitons de ce ralentissement pour les former aux dernières évolutions : la rénovation thermique et la conception bioclimatique des bâtiments, les technologies alternatives de production d’énergie… passionnent les jeunes qui se destinent à notre secteur.

Accueillez-vous autant d’étudiants que l’an dernier ?

Nous avons signé un accord avec les IUT de génie thermique et énergie l’année dernière. Nous signons cette année le même type d’accord avec les IUT de génie civil. Nous accueillons d’ailleurs à ce congrès l’assemblée générale des 25 chefs de département des IUT de génie thermique et énergie qui viennent avec une centaine d’étudiants participer à nos débats.

Quels sont les autres temps forts de ce congrès ?

Franck-Yves Escoffier, vainqueur de la Transat Québec/Saint-Malo nous accompagne dans nos débats pour évoquer la prise de risque face au changement. Ce grand navigateur illustre parfaitement le courage dont nous devons faire preuve pour naviguer parfois avec des vents contraires… Par ailleurs, une délégation de nos amis ingénieristes québécois participe à notre congrès, en écho au congrès de la Fédération internationale des ingénieurs conseils (Fidic) qui s’est tenu à Québec l’année dernière. Quand on sait les liens historiques qui unissent Saint-Malo et le Québec, on comprend le bonheur que nous avons de les accueillir ici.

Au-delà de ces liens, que vous apportent les Canadiens ?

Il est très intéressant d’observer qu’au Canada, en matière de dévolution de marchés, le prix n’est pas un critère d’appréciation de l’offre. La sélection de l’ingénieriste se fait sur la pertinence de son projet et sur ses capacités à le réaliser. En revanche, et contrairement à ce que nous pratiquons en Europe, le prix est encadré dans un mode de calcul préétabli, ce qui bien sûr en limite la portée.

Cette rémunération est une question délicate…

La CICF qui est très bien implantée en région constate depuis quelques semaines que des prestataires font des offres anormalement basses. Selon nos statistiques, la journée consolidée de technicien et ingénieur se rémunère entre 600 et 800 euros. Or, des offres sont faites jusqu’à moitié prix pour garnir les carnets de commandes. Ces prestataires sont dans un système de vente à perte ou, encore plus grave, en dessous de ce qui est nécessaire pour bien faire leur travail. Il y a là un risque fort de générer des relations contractuelles conflictuelles, des prestations incomplètes voire pas faites, des sous-traitances dans les pays à bas coûts, des sinistres à retardement… Ne sacrifions pas la qualité de l’ingénierie à la crise.

L’externalisation des prestations dans les pays à bas coût est-elle condamnable ?

Cette externalisation, outre qu’elle détruit l’emploi chez nous, doit être surveillée de très près. Elle induit des pratiques à risques : méconnaissance des données locales, du client, déresponsabilisation… C’est une spirale vicieuse et hasardeuse lorsqu’elle n’a pour objectif que de réduire les coûts.

Que comptez-vous faire ?

J’ai écrit à plus de 3 500 maîtres d’ouvrage, principalement publics, pour qu’ils ne cèdent pas à cette tentation à l’heure où l’ingénierie doit se mettre en ordre de marche pour le développement durable. Avec notre aide, il leur est facile de vérifier le juste prix d’une offre et de rejeter les excès.

L’externalisation vers les prestataires d’ingénierie en portage salarial n’est-elle pas non plus à craindre ?

Le portage n’est pas destructeur d’emploi. Il est plus souple, moins contraignant et moins cher. Il doit être encadré. Le Syndicat national des entreprises de portage salarial, adhérent de la CICF, joue ce rôle.

Quelle est la situation économique des ingénieristes ?

Les carnets de commandes sont encore bien garnis mais avec des opérations suspendues. Il y a de quoi occuper les équipes mais sans savoir quand. Les collaborateurs qui surfaient sur la vague des salaires élevés due à la pénurie sont les premiers à souffrir de la crise qui les place au-dessus des moyens des entreprises. Les secteurs liés au Grenelle devraient tirer leur épingle du jeu. Mais dans le domaine des infrastructures, les ingénieristes risquent de souffrir.

Le plan de relance profitera-t-il à l’ingénierie ?

Oui, mais si la relance se fait par l’investissement, c’est pour qu’il irrigue les entreprises, sauve l’emploi, développe la consommation, génère des investissements… Si l’on cherche à priver les entreprises des marges qui alimentent ce processus, le plan de relance ne fera pas son effet. Les maîtres d’ouvrage publics qui travaillent avec notre argent à tous doivent être conscients de leurs responsabilités.

Les maîtres d’ouvrage négligent l’ingénierie…

Il y a absence de reconnaissance. Osons dire ce que notre travail peut faire gagner à nos clients. Prenons le risque, quand il le faut, de mettre en jeu notre rémunération par rapport à cette économie. C’est une façon d’innover dans nos pratiques. De même, adhérer à la CICF est une démarche innovante pour ceux qui veulent nous rejoindre. Agir pour nos métiers au Grenelle de l’environnement, travailler avec les autres organisations du BTP, dialoguer avec les élus font partie d’une démarche de développement durable. C’est pourquoi je renouvelle ma candidature à la présidence de la CICF à ce congrès pour un second mandat, jusqu’en 2013.

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