« Etre français peut être un avantage compétitif », selon Stéphane Aubarbier, président de Syntec-Ingénierie

 

 

 

 

A l’occasion des 12emes  Rencontres de l’ingénierie (Meet.ING 2013), le 7 novembre à Paris, le président de Syntec-Ingénierie, Stéphane Aubarbier, fait le point pour le Moniteur sur le secteur et entrevoit plus que jamais l’avenir à l’international.

 

 

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Stéphane Aubarbier, président de Syntec-Ingénierie

Comment se porte le secteur de l'ingénierie ?

Malheureusement, la conjoncture ressemble à ce que l’on peut imaginer. La vigueur du secteur de l’ingénierie, dans toutes ses composantes, est proportionnelle au niveau d’investissement réalisé par les grands acteurs économiques. En France, la santé financière des grands investisseurs, l’instabilité fiscale conduisent à un recul des investissements. Cela induit un contexte plutôt morose. Ce contexte présente néanmoins des spécificités. Les secteurs de l’énergie et du transport restent porteurs : si les projets nouveaux diminuent, ils sont compensés par  des dépenses de maintien en conditions opérationnelles et de modernisations d’infrastructures existantes. A titre d’exemple, dans le secteur ferroviaire, les investissements de la SNCF/RFF vont rester constants sur les années à venir avec une inversion des poids respectifs des projets neufs et de modernisation et maintenance. Par ailleurs, le secteur de l’industrie souffre beaucoup, le bâtiment énormément.

Et à l’international ?

A l’export, les grandes sociétés d’ingénierie françaises ayant les capacités financières et humaines se sont, depuis plus de 24 mois, largement tournées vers l’international. Ces dernières continuent à parler de croissance parce qu’elles bénéficient d’un marché plus porteur, d’un dynamisme qu’il n’y a plus en France. Et puis il y a les plus petites sociétés. Elles n’ont souvent ni les ressources économiques ni les ressources humaines pour se déployer. Pour elles, la situation est parfois très difficile. Alors l’écart entre PME et grandes structures continue de se creuser. D’autant que les petites sociétés ne sont généralement pas très diversifiées. Lorsque le segment sur lequel elles sont positionnées est en difficulté, elles n’ont pas d’amortisseurs.

Les ingénieristes français, malgré leurs tailles relativement modestes,  ont-ils les armes pour s’imposer à l’international ?

Les compétences, l’expertise de l’ingénierie française sont reconnues à l’étranger. Etre français n’est pas un handicap ! Ce peut même être un avantage compétitif. En revanche, leur taille les oblige à se grouper, soit entre elles, soient avec des anglo-saxons, pour s’imposer à l’international.

Les ingénieristes militent-ils pour faire baisser la pression fiscale, à l’instar d’autres entrepreneurs ?

Nous souffrons de l’incertitude liée à la fiscalité des entreprises en général. Et les évènements des semaines passées depuis la rentrée matérialisent bien les errements du gouvernement en la matière : nous sommes passés de la taxe sur l’EBE à une surcote de l’IS, etc… Nous voulons de la visibilité ! C’est une requête de tous les entrepreneurs. En outre, nous sommes particulièrement sensibles aux réformes ayant pour assiette la masse salariale. Je rappelle que, dans nos métiers, environ 70% du chiffre d’affaires est constitué de frais inhérents au personnel.

Concrètement, y a-t-il des signaux qui vous inquiètent ?

Tous les ans, nous avons une mauvaise nouvelle. Qu’il s’agisse de l’augmentation du forfait social sur les mutuelles d’entreprise ou des différents quotas quasi impossibles à respecter et qui, dans ce cas, nous coutent quelques points de masse salariale. Alors, oui, les signaux sont peu rassurants.

Comment avez-vous accueilli le plan de rénovation énergétique du gouvernement ?

La meilleure énergie est celle que l’on ne consomme pas. La politique énergétique et donc la transition énergétique sont des sujets importants, et dans ce contexte, ce qui est fondamental c’est de savoir comment on va faire pour moins consommer. Pour le neuf, la RT 2012 a le mérite de fixer un cadre définissant nos attentes en termes de performance énergétique. Néanmoins, la question continue à se poser pour la rénovation qui est le levier le plus important en ce qui concerne les économies d’énergie possibles. Les objectifs ambitieux du gouvernement sur le nombre de bâtiments à rénover n’ont pas d’intérêt si il n’y a ni niveaux de performance requis, ni délai, ni financements.

Que pensez-vous de Vivapolis, l’initiative de Nicole Bricq pour constituer une offre française à l’export dans le domaine de la ville durable ?

Je trouve que c’est une très bonne initiative, c’est très bien en terme de marketing. L’initiative intègre l’essentiel des acteurs de la filière, industriels, constructeurs, ingénieries. L’annonce se traduit dans les faits. Désormais, il y a systématiquement des sociétés d’ingénierie, grandes et petites, qui sont intégrées dans les voyages ministériels. Assurons-nous maintenant de la pérennité d’une telle démarche.

Pourquoi avoir choisi le thème de l’intelligence des réseaux dans le cadre du 12ème meet.ING de l’ingénierie ?

Les réseaux sont le cœur de l’activité de l’ingénierie. Une grande part, croissante, des investissements est dirigée, de manière directe ou indirecte, vers les réseaux. Ils ne sont plus limités aux frontières des états. Nous sommes déjà dans des logiques d’interconnexion, de collaboration, de concurrence internationale et intersectorielle. Nous ne pouvons plus exclure désormais l’émergence d’appels d’offre européens. Nous évoluons dans un monde de plus en plus maillé, avec une segmentation entre les réseaux physiques et numériques de moins en moins forte. Cette porosité induit elle-même de nouveaux modes de penser, de travailler, de concevoir des ouvrages. Nous avons donc choisi ce thème pour réfléchir à la manière d’appréhender cette porosité et ses incidences systémiques et de s’y inscrire, parce que c’est notre avenir.

Dans quelle mesure l’intégration de nouvelles technologies change-t-elle la manière de concevoir les projets pour les ingénieristes ?

L’intégration des systèmes dans les réseaux physiques est un agent de transformation du système en tant que tel. Cela conditionne l’évolution du comportement du client, de l’usager, et donc celui du maître d’ouvrage, et par conséquent le nôtre. Passer au tout numérique dans les systèmes a des conséquences qui vont bien au-delà d’un simple changement technologique. Par exemple, dans des secteurs présentant des caractéristiques de sûreté et de sécurités primordiales, le nucléaire ou le transport, passer au tout numérique requiert de repenser les démonstrations de sécurité aux autorités locales, la démontrabilité elle-même étant complexe à modéliser. Evidemment, cela a des conséquences importantes pour les ingénieries chargées de concevoir ces systèmes.

Le secteur du BTP est en retard sur l’industrie en matière de maquette numérique. Pour autant, est ce que le mouvement est lancé ?

L’utilisation de la maquette numérique incarne parfaitement les mutations que nous avons évoquées. C’est une autre façon d’aborder les projets, de gérer les données techniques, l’information, et donc le retour d’expérience, la productivité, la complexité. Dans les secteurs qui bénéficient de longues années d’expérience en la matière, l’enjeu est aujourd’hui de comprendre comment utiliser à l’avantage de l’usager, du donneur d’ordre, de celui de l’ingénierie la quantité incroyable de données accumulées. Savoir utiliser maquette numérique et bases de données est un argument de compétitivité. Mais, attention, ces systèmes coûtent cher en investissement. Ceux qui n’auront pas les capacités culturelle, technique et financière pour se mettre au niveau auront un problème de survie. L’utilisation de la maquette numérique deviendra un critère d’attribution dans le cadre d’appels d’offre publics et privés. Il y a déjà des projets, tel que ITER par exemple, où la démonstration de sa capacité à utiliser la maquette numérique sur des bâtiments était un critère de sélection.

Cela va encore accentuer un secteur de l’ingénierie à deux vitesses …

Absolument. Nous sommes dans une logique de mutation technologique qui va requérir des ressources financières et humaines importantes. Dans une logique où la gestion du risque est faite en allant chercher des relais de croissance à l’international. La structuration du marché français pousse à la consolidation des acteurs. L’incertitude, c’est le temps que cela va prendre, mais d’autres sociétés d’ingénierie vont se rapprocher. Il pourrait y avoir un appétit des gros acteurs internationaux pour des français. Des mouvements arriveront prochainement.

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