Durant ces soixante dernières années, les problématiques de la société française sont passées d’une logique de reconstruction et d’aménagement du territoire à celle d’une réhabilitation et d’un ménagement des territoires. Outre la réforme territoriale et le désengagement de l’Etat, un profond changement de regard sur le monde est en jeu en ce début de siècle. Dans le contexte de cette évolution, partout en France comme en Europe, émergent de nouvelles pratiques sociétales et environnementales. Après des millénaires de conquête de la nature, elles répondent à une prise de conscience de la finitude de la planète et de ses ressources spatiales et naturelles. Elles ébranlent les modes traditionnels de gouvernance et imposent une relation réinventée au territoire. Elles impliquent une appréhension large et innovante de l’aménagement de l’espace à toutes ses échelles et de l’architecture dans toutes ses composantes.
Modestie individuelle versus ambition collective
Dans la région du Vorarlberg, en Autriche, la démarche écoresponsable de toute une société, portée par plusieurs générations et incarnée dans une culture partagée, a permis l’émergence d’aspirations et d’une réflexion critique, un renouvellement des idées et des comportements. Au-delà de la découverte d’un mode de vie et de production du cadre bâti, au-delà de la rencontre avec des acteurs divers impliqués localement, au-delà de l’image idyllique parfois véhiculée par les media, le séminaire annuel des ACE s’est centré sur une approche des conditions qui ont permis ce foisonnement inventif, caractérisé par une grande modestie individuelle et une ambition collective étonnante. La dynamique d’un mouvement collégial a favorisé l’éclosion d’architectures remarquables réparties sur tout le territoire : une production discrète, fruit d’un véritable savoir-faire, d’une prise de risques partagée par tous les acteurs de l’acte de bâtir, le ministre du Land, le maire, le citoyen, l’architecte, l’ingénieur, l’entreprise et la filière industrielle dans son ensemble.
Débat national
Si l’exemplarité d’une démarche trentenaire à l’échelle d’un petit département n’est pas immédiatement transposable sur le territoire français, elle questionne toutefois nos modes de réflexion, d’organisation, de production sur les thèmes d’actualité qui occupent aujourd’hui le débat national :
- relation entre centralisme, équité républicaine et fédéralisme, autonomie régionale, dans le cadre de la réforme territoriale ;
- rapport entre la loi, la règle et le contrat négocié autour du projet, dans le cadre de la réforme de l’urbanisme de projet ;
- lien entre le service de la chose publique et la gestion des intérêts privés, avec la prolifération des partenariats publics-privés ;
- relation entre la tradition, l’ancrage dans l’histoire et la géographie et une modernité à réinventer pour le siècle qui vient ;
- rapport entre la vie économique et une production architecturale dont elle s’est progressivement dissociée, pour se réduire trop souvent à la production d’objets médiatisés déconnectés de leur contexte.
Les échanges lors des séances plénières et des ateliers de travail ont révélé, à partir des expériences concrètes des ACE dans leurs missions de terrain, l’acuité des questions posées et la nécessité de débats de fond qui interpellent directement à la fois la chose politique et la citoyenneté.